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Expert - Indonésie plurielle

Les langues de l’Indonésie

L’inscription de Talang Tuwo (VIIe siècle) témoigne d’une forme écrite archaïque de la langue malaise et donc, de l’indonésien. (Crédit : Louis Constant Westenenk / Wikimedia Commons)
L’inscription de Talang Tuwo (VIIe siècle) témoigne d’une forme ancienne de la langue malaise dont vient l’indonésien. (Crédit : Louis Constant Westenenk / Wikimedia Commons)
Selon le site ethnologue.com, l’Indonésie compte 706 langues différentes et se range en deuxième derrière la Papouasie-Nouvelle-Guinée voisine, qui en dénombre 836.
On parle plus de sept cents langues en Indonésie, ce qui en fait le deuxième pays du monde pour le nombre. Ces langues se répartissent en deux groupes : la famille des langues austronésiennes et les langues dites « papoues ».
*La première est la famille des langues nigéro-congolaises parlées en Afrique sub-saharienne, dont la branche la plus connue est celui des langues bantoues.
Avec plus de mille deux cent langues répertoriées, soit près du cinquième des langues actuellement parlées dans le monde, la famille austronésienne est la deuxième la plus nombreuse*. Outre les langues de la majorité des Indonésiens, cette famille comprend les langues aborigènes de Taïwan, les langues des Philippines, de Malaisie, de minorités du Cambodge et du Vietnam, du Pacifique, et le malgache de Madagascar. Les langues austronésiennes sont ainsi parlées dans une aire qui va de Taïwan au Nord à la Nouvelle-Zélande au Sud, et de Madagascar à l’Ouest à l’île de Pâques à l’Est. Avant l’expansion européenne à travers le monde qui commence à la fin du XVe siècle, c’était la famille linguistique qui avait la plus vaste extension géographique.
Les langues dites « papoues » ne constituent pas une famille unique. Pour le linguiste néo-zélandais Darrell Tryon, «  »papou » est un terme commode pour les langues non-austronésiennes de Papouasie-Nouvelle-Guinée et d’Indonésie orientale, dont toutes ne sont pas apparentées de façon démontrable ». Les linguistes identifient ainsi quelque huit cents langues, essentiellement parlées en Nouvelle-Guinée et dans les îles voisines, mais également dans des enclaves dans les Moluques et dans les Petites îles de la Sonde orientales situées à des centaines de kilomètres à l’ouest de la Nouvelle-Guinée. Ce qui suggère que les langues papoues étaient présentes dans ces enclaves avant l’arrivée des populations de langue austronésienne, la plupart de leurs locuteurs adoptant la langue des nouveaux venus.
Scott Paauw, « One Land, One Nation, One Language: An Analysis of Indonesia’s National Language Policy »,University of Rochester Working Papers in the Language Sciences,2009.
Une langue, le malais, va progressivement devenir la lingua franca de l’archipel, permettant à des marchands et marins des différentes îles de communiquer entre eux. Selon le linguiste américain Scott Paauw, l’usage du malais était répandu dans les ports de l’archipel depuis peut-être plus de deux mille ans. Vers l’an 700, la montée en puissance de Sriwijaya, une cité-Etat qui va rapidement contrôler le trafic maritime dans le détroit de Malacca, acquérant ainsi une position dominante dans le commerce de la région, se traduit par la diffusion du malais dans les ports de l’ouest de l’archipel. Sriwijaya était située à l’emplacement de l’actuelle ville de Palembang dans le sud de Sumatra. Sa langue est considérée comme du malais. Un autre facteur qui va étendre la diffusion du malais à l’ensemble de l’archipel est l’essor de Malacca, fondée vers 1400 par un prince de Sumatra, dont la langue est le malais. Au cours du XVe siècle, Malacca, qui à son tour contrôle le trafic dans le détroit qui porte son nom, devient le principal port d’Asie du Sud-Est.
Antonio Pigafetta, un Italien de Vicence qui en 1519 part avec Magellan pour tenter de gagner en passant par l’Ouest les « îles aux épices », c’est-à-dire les Moluques, en rapporte une liste de plus de quatre cents mots malais, qu’il dit être la langue que parlent les musulmans de ces îles. Le malais est donc la langue de communication de Sumatra aux Moluques. Lorsqu’ils arrivent dans l’archipel au début du XVIIe siècle, les Hollandais constatent son importance.
Jusque vers 1800, les Hollandais ne contrôlent qu’une partie de l’est de l’archipel et de Java. Avec la fin de la guerre de Java en 1830, ils peuvent entreprendre de soumettre le reste de l’archipel. Ils utilisent le malais pour certains aspects de leur administration des territoires dont ils prennent le contrôle : d’abord pour diffuser le christianisme, puis comme langue d’enseignement dans les écoles chrétiennes. Plus généralement, les Néerlandais communiquent avec la population indigène en malais. Ce dernier devient officiellement la deuxième langue d’administration en 1865, aux côtés du néerlandais.
Le malais n’est en réalité aujourd’hui plus une langue mais un groupe de langues résultant de l’évolution de la langue initiale dans différentes parties de l’archipel et de la péninsule de Malacca. Le fait qu’il existe un pays qui s’appelle « Malaisie » est un héritage du colonialisme britannique. Celui-ci appelait « British Malaya » la partie du monde malais qu’il contrôlait, c’est-à-dire la péninsule. Or, l’autre partie dudit monde malais se trouve dans l’actuelle Indonésie.
Dans les années 1920, alors que le mouvement national prend de l’ampleur dans la colonie néerlandaise, ses membres conviennent que le malais est la seule langue susceptible de créer une culture commune et un sens de l’unité aux différentes populations de l’archipel. En 1926, il est décidé de rebaptiser le malais « indonésien », puisque le nom « Indonesia » est devenu l’étendard du mouvement national dans ce qui est encore les Indes néerlandaises (lire l’un de mes précédents posts sur le sujet).
*Ann Laura Stoler, Carnal Knowledge and Imperial Power, 2002.
Les Néerlandais qualifiaient le malais de « langue simple, enfantine »*. Néanmoins en 1900, il existe déjà une presse et une littérature en malais bien vivantes. Le mouvement national donne naissance dans les années 1930 à une littérature moderne qui se veut « indonésienne » et non plus « malaise ». Pendant l’occupation japonaise (1942-1945), l’usage des langues européennes est interdit et celui de l’indonésien encouragé, ce qui favorise le développement de ce dernier. Avec la proclamation de l’indépendance en 1945, l’indonésien peut prendre son essor comme langue nationale.
*Le site ethnologue.com donne 22,8 millions d’individus pour 2000, année où le recensement national donnait une population totale de 204 millions.
Certes même aujourd’hui, moins de 12%* des Indonésiens ont l’indonésien comme première langue, celui-ci étant la plupart du temps la langue régionale ou locale. Mais on reconnaît que la politique linguistique de l’Indonésie est une réussite. Il n’était pas évident de construire une nation à partir de populations aux langues, cultures et religions aussi diverses. L’indonésien a été un facteur d’unification. Il a permis de créer une identité nationale. Il est la langue de 250 millions d’Indonésiens.

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
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