Malaisie : équilibre précaire
Contexte
La démocratie malaisienne est-elle en danger ? Le 1er août, une nouvelle loi sécuritaire, le National Security Council Act, est entrée en vigueur en Malaisie : elle inquiète aussi bien les Nations Unies que les groupes de défense des droits de l’homme et le peuple malaisien. Si officiellement son objectif est de lutter contre le terrorisme islamiste, cette législation, votée en décembre dernier au Parlement, renforcerait le pouvoir du Premier ministre, Najib Razak, lui permettant de faire taire ses critiques. Mêlé au scandale de corruption du fonds d’investissement étatique 1Malaysia Development Berhad (1MDB), Najib est accusé d’avoir détourné des centaines de millions de dollars et est vivement contesté, aussi bien par l’opposition que par sa propre coalition, le Barisan Nasional. Le National Security Council Act permettra au Premier ministre de déclarer des zones délimitées « d’état d’urgence » où les forces de sécurité bénéficieront de pouvoirs considérables et d’une certaine immunité. Dans sa quête de légitimité, Najib Razak, en plus de renforcer son autoritarisme, attise les tensions interethniques à des fins électorales et met en péril l’équilibre déjà fragile d’une Malaisie fracturée.
La Malaisie, un modèle de société multiethnique ?
Les Malais détiennent en revanche le pouvoir politique : les officiers coloniaux placent exclusivement des Malais au sein du gouvernement, et les forment progressivement à les remplacer. Il en découle une représentation forte et très ancrée dans la société malaisienne, notamment après l’indépendance : les Malais détiendraient le pouvoir politique et les Chinois le pouvoir économique. Dans les faits, ces pouvoirs sont monopolisés par une élite restreinte, où Chinois et Malais n’hésitent pas à coopérer.
Un paysage politique divisé en deux coalitions
En mai 1969, l’équilibre s’écroule. La monopolisation du pouvoir par l’Alliance est remise en question pour la première fois par une coalition d’opposition menée par le Democratic Action Party (DAP), à majorité chinoise, qui remporte 25 sièges. Conséquence, des émeutes raciales éclatent le 13 mai 1969 à Kuala Lumpur, opposant des Malais et des Chinois et causant plusieurs centaines de morts. Pour que ces événements ne se reproduisent plus jamais, le gouvernement a mis en place un système de discrimination positive pour les Malais, la « Nouvelle politique économique », qui étend les droits spéciaux de l’ethnie majoritaire en termes d’éducation, d’accès aux crédits bancaires et d’emplois publics afin de l’aider à rattraper son retard économique par rapport aux Chinois. L’Alliance se renomme Barisan Nasional (Front National) et s’élargit en incluant les partis Gerakan ou PPP (People’s Progressive Party), ainsi que des partis locaux de Sabah et Sarawak, les deux Etats de la partie insulaire de la Malaisie. Aujourd’hui, la coalition, composée de 13 partis, est largement dominée par l’UMNO.
Les rassemblements organisés en août 2015 par Bersih 2.0 étaient majoritairement constitués de Chinois et Indiens. Leur objectif : réunir les Malaisiens pour combattre la corruption, et contre le gouvernement actuel accusé d’exploiter les différences de son peuple pour se légitimer. Dr Ahmad Farouk Musa, président adjoint de Bersih 2.0, analyse : « L’objectif du gouvernement était de s’assurer que les manifestations échouent. Il y a eu une propagande de la part des médias tenus par le pouvoir pour faire de Bersih un mouvement chinois, chrétien, soutenu par le DAP et qui essaie de faire tomber le gouvernement malais. Il y a beaucoup de Chinois à ces rassemblements, mais aussi des Malais. Cela s’explique par le retrait de PAS de la coalition Pakatan Rakyat. Le parti islamiste, qui jouait un rôle important dans l’organisation des manifestations précédentes du mouvement, a décidé en 2015 de ne pas s’impliquer.
En réponse, un contre-mouvement s’est organisé pour soutenir le Premier ministre Najib Razak : une manifestation à Kuala Lumpur le 16 septembre 2015, nommée Malay Dignity Gathering (Rassemblement pour la dignité malaise), et clairement anti-chinoise.
Un islam instrumentalisé pour légitimer le pouvoir
Après le vote massif de la communauté chinoise et indienne pour la coalition d’opposition, Najib Razak a crié au « tsunami chinois ». Désormais, la stratégie électorale de son parti consiste à se concentrer sur le vote malais, en marchant sur les plates-bandes du parti PAS, isolé après s’être retiré de la coalition d’opposition, en conflit avec le parti laïque DAP. Dans le même temps, l’homme fort de l’UMNO tente de faire diversion face aux accusations de corruption et à l’économie en berne. Le pays reste dépendant de ses exportations en ressources naturelles vers la Chine, dont le ralentissement handicape l’économie malaisienne, tandis que le taux de change du ringgit par rapport au dollar a chuté. Pour se maintenir, Najib mise sur une alliance avec les partis islamistes, en instrumentalisant l’islam radical, bien qu’il lui manque l’aura pieuse et la vision politico-religieuse de ses prédécesseurs, Mahathir et Abdullah Badawi. Ainsi, l’actuel Premier ministre autorise des institutions religieuses et des membres de son parti à afficher des positions fondamentalistes, des positions qui touchent de plus en plus les non musulmans. Pour gagner le vote des Malais conservateurs, son gouvernement soutient les Etats de la fédération qui souhaitent appliquer les hudûd, châtiments prescrits par le Coran et la Sunna, défendus par le PAS. Si les hudûd sont légalisés, ils ne seront appliqués qu’aux musulmans. Vivre dans une société aussi conservatrice effraie néanmoins les communautés chinoise et indienne.
Le Sarawak aux Sarawakiens : la perspective d’une scission de la Malaisie ?
L’UMNO, guidé par Najib Razak, est de plus en plus contesté, au sein même de sa coalition. Pourtant, l’homme fort de la Malaisie est prêt à tout pour rester au pouvoir, quitte à compromettre son parti et même l’unité de son pays. Une peine d’emprisonnement pour corruption plane sur la tête de Najib comme une épée de Damoclès : une perspective d’avenir qu’il évite tant qu’il est au pouvoir. Son objectif est donc clair : remporter les élections législatives de 2018. Pour cela, il joue sur les tensions interethniques et interreligieuses de la Malaisie, fragilisant ainsi son unité, et n’hésite pas à supprimer les quelques libertés civiles restant au peuple malaisien. La Malaisie, un pays divisé mais stable, va-t-elle perdre son équilibre ? Ou pourra-t-elle un jour, comme l’opposition l’offre, devenir une nation unie dans sa diversité, et franchir les lignes ethniques et religieuses ?
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