Religion et évolution socio-politique de la Malaisie
Parmi les mouvements dakwah influents, on peut relever Angkatan Belia Islam Malaysia (ABIM – Muslim Youth Movement of Malaysia) – fondé en 1971 par des étudiants de la Faculté des Etudes Islamiques de l’Université Nationale de Malaisie (UKM) -, le mouvement Jama’at Tabligh et le Darul Arqam. Ces mouvements touchaient, et continuent de toucher, en majorité la classe moyenne éduquée et urbanisée. Certaines dakwah comme ABIM avait même des programmes plus larges qui proposaient des solutions « islamiques » pour régler des problèmes sociétaux ; ou mettait par exemple l’accent, toujours dans le cas d’AIBM, sur l’activisme des jeunes et se concentrait sur des actions éducatives.
**Jan Stark, « Constructing an Islamic Model in Two Malaysian States : PAS Rule in Kelantan and Terrangganu », SOJOURN 19(1), 2004, p. 55.
Des incidents comme la profanation d’un temple hindou à Kerling (Selangor) ou l’incendie d’un poste de police à Batu Pahat (Johor) à la fin des années 1970 permirent cependant au gouvernement de reprendre le contrôle de l’activité dakwah. Ce dernier fut alors à même d’émettre des jugements sur les dakwah, n’hésitant pas à en qualifier certaines de « déviationnistes » (dakwah songsang). Le gouvernement réussit donc à se présenter en tant que champion de la cause islamique dans le pays. De plus, il renforça son rôle dans les activités de prosélytisme en créant des institutions telles que le Pusat Islam (Centre Islamique) et la Yayasan Dakwah Islamiyah (Fondation du Dakwah Islamique).
**Kamarulnizam Abdullah, « National Security and Malay Unity : The Issue of Radical Religious Elements in Malaysia », Contemporary Southeast Asia 21(2), 1999, p. 265.
***Judith Nagata, « Ethnonationalism versus Religious Transnationalism : Nation-building and Islam in Malaysia », The Muslim World LXXXVII, no. 2 (1997), p. 144.
La Malaisie actuelle a ainsi hérité de l’action militante des années 1970 et de l’instrumentalisation de la religion amorcée dès les années 1980. La lutte politique se traduit ainsi aujourd’hui en messages nettement religieux. La lecture de la presse nous en donne des exemples quotidiens. Ces derniers jours par exemple, les commentaires haineux du mufti du Pahang, Abdul Rahman Osman, qualifiant de « kafir harbi » (infidèles que l’on est autorisé à tuer) les opposants à l’implémentation du hudud – dont une majorité font partie du DAP (Democratic Action Party, l’un des principaux partis d’opposition, parti multi-ethnique, à majorité nettement chinoise, et d’orientation fondamentalement laïque) – et d’une manière plus générale les opposants à l’Islam, et légitime leur mise à mort. Ceci intervient dans un contexte particulièrement inquiétant et fait suite à la diffusion d’une vidéo issue de personnes se réclamant de l’Etat Islamique (IS) en Malaisie appelant au meurtre des « infidèles » par tous les moyens possibles.
Ces déclarations sont bien entendues liées à des luttes purement politiques et partisanes, mais ne voit-on pas le danger qu’elles peuvent provoquer ? Comme le dit Ravinder Singh de FreeMalaysiaToday, ces déclarations peuvent inciter n’importe quel fanatique à prendre les armes et faire un massacre. A ce jour, ni UMNO ni le BN (Barisan Nasional, le parti au pouvoir) n’a condamné les déclarations de Abdul Rahman Osman. Le Premier Ministre Najib Tun Razak n’est pas rentré dans le débat mais s’est contenté d’encourager les Malaysiens à rejeter les groupes « anti-Islam et leurs collaborateurs pour la sauvegarde de la foi islamique ».
La diabolisation et la condamnation religieuse des opposants souligne clairement la lutte politique, cependant, dans un contexte si dangereusement trouble, les élites au pouvoir ne sont-elles pas en train de jouer avec le feu ?
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