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Ces clans qui gouvernent le Japon

Shinzo Abe le jour de son élection à la tête du Parti libéral-démocrate (PLD), le 20 septembre 2006 à Tokyo, avec les autres candidats au poste, le ministre des Finances Sadakazu Tanigaki (à droite), le ministre des Affaires étrangères Taro Aso (à gauche) et le Premier ministre sortant Junichiro Koizumi (2ème à gauche).
Shinzo Abe le jour de son élection à la tête du Parti libéral-démocrate (PLD), le 20 septembre 2006 à Tokyo, avec les autres candidats au poste, le ministre des Finances Sadakazu Tanigaki (à droite), le ministre des Affaires étrangères Taro Aso (à gauche) et le Premier ministre sortant Junichiro Koizumi (2ème à gauche). (Crédits : KAZUHIRO NOGI / AFP)
Au Japon plus qu’ailleurs, la politique est une affaire de famille. Loin de s’arranger avec le temps, cette tendance s’affirme. Un constat souvent dénoncé par la presse nippone, qui contribue à discréditer le monde politique. Le nombre de familles détenant plusieurs sièges parlementaires dans les deux chambres a augmenté. Au nombre de 13 en 2000, elles grimpent à 17 en à peine trois ans. Au sein du Parti libéral-démocrate (PLD), au pouvoir de façon quasi discontinue depuis 1955, plus de la moitié des élus ont hérité de leur siège. Comment expliquer ce phénomène ? Au Japon, faire carrière en politique coûte cher, et les « alliances d’alcôve » (ou mariages entre familles puissantes) ont permis aux politiciens d’assurer le financement des campagnes et de pérenniser leur lignée. Regard sur le pouvoir politique héréditaire au Japon, à travers les quatre dynasties qui dominent actuellement la vie du pays.

Contexte

Entre 2001 et 2006, l’habileté et la popularité de Junichirō Koizumi en tant que Premier ministre lui ont permis de donner à son parti, le PLD, une assise confortable à la chambre des conseillers et une majorité écrasante à la chambre des représentants. Trois années auront suffi à ses successeurs pour réduire cet ascendant politique à néant. Shinzō Abe a perdu le Sénat seulement neuf mois après son investiture, quant à Tarō Asō, son mandat termine d’achever le PLD. C’est alors au tour du Parti démocrate (PDJ) de s’emparer du pouvoir, notamment emmené par l’un de ses fondateurs, Yukio Hatoyama. Seulement le PDJ ne convainc pas : trois ans plus tard, Shinzō Abe est de retour aux commandes. Et avec lui, son fidèle acolyte Tarō Asō.

Le point commun entre ces quatre hommes politiques ? Ils ont tous hérité de leur siège parlementaire d’un parent ou d’un proche. Une question qui fait polémique au Japon. Si l’idée d’interdire aux fils, gendres et cousins des élus sortants de prendre leur relève a été soulevée, à ce jour rien n’a été accompli en ce sens. « Une réglementation qui ne servirait de toute façon à rien », pour Nobuo Ikeda. Selon cet économiste, le système héréditaire est une conséquence des nombreux obstacles pour intégrer la classe politique au Japon. Ainsi, les salariés n’ont quasiment aucune chance d’en faire partie. « Ceux qui ont tenté ont échoué et sont maintenant travailleurs à temps partiel », déplore Nobuo Ikeda. « Les héritiers parlementaires » (世襲議員) ont donc encore de beaux jours devant eux. Au grand dam de la population japonaise.

Le clan Abe – révisionnisme et passé sulfureux : obstacles ou leviers de réussite ?

Depuis son élection à la tête du Japon le 26 décembre 2012, Shinzō Abe enchaîne les victoires électorales. Pourtant, l’actuel chef du gouvernement nippon revient de loin. Son premier mandat entre septembre 2006 et septembre 2007 s’est soldé par sa démission, après une série d’échecs et une popularité en berne. Ce n’est que cinq ans plus tard qu’il revient sur le devant de la scène. Il prend alors la tête du Parti libéral-démocrate, à ce moment dans l’opposition. Le PLD récupère la majorité absolue des sièges à la Diète en décembre 2012 et investit son président au poste de Premier ministre, pour un nouveau mandat.

Le révisionnisme assumé, un moteur d’ascension. A quoi Shinzō Abe doit-il cette double investiture ? Très conservateur, il surfe sur la vague du nationalisme japonais. Et même du révisionnisme. Par deux fois, Abe a réussi à prendre la tête de son parti en défendant des positions très controversées : il nie par exemple l’existence des « femmes de réconfort » – ces esclaves sexuelles de l’armée impériale pendant la Seconde Guerre mondiale -, milite pour des manuels scolaires révisionnistes, ainsi que pour une remilitarisation du Japon et donc une révision de la Constitution, son obsession. Des idées qui séduisent une part grandissante de la population depuis la fin des années 1990, dans un contexte de montée des tensions avec la Corée du Nord et la Chine.

Le révisionnisme aseptisé, une recette pour gouverner. En revanche, une fois élu, Abe pratique le double langage. Confronté aux réalités du pouvoir, le Premier ministre a compris qu’il fallait savoir mettre de l’eau dans son vin. En effet, son premier mandat, jugé trop axé sur des considérations idéologiques (ranimer le patriotisme à l’école, réviser la Constitution) dans un Japon touché par la crise économique lui coûte le Sénat. Sa position fluctuante sur la « Déclaration Murayama » illustre parfaitement ce double discours.

En 1995, le Premier ministre Murayama présente des excuses officielles pour les souffrances infligées par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment aux pays asiatiques, à l’occasion du 50ème anniversaire de la fin de la guerre. Quelques mois plus tard, Shinzō Abe milite pour revenir sur ces excuses. Mais une fois au pouvoir en 2006, il déclare que le gouvernement maintient la position de Murayama. Après sa démission en 2007, il réitère son intention de revenir dessus et moins d’une semaine après son retour à la tête du gouvernement, son cabinet déclare à la fois « suivre » et vouloir « revoir » la déclaration…

Une famille puissante au passé sulfureux. Mais d’où vient le révisionnisme de l’actuel Premier ministre ? Pour en trouver l’origine, il faut se tourner vers ses racines. Shinzō Abe est issu d’une des plus influentes familles politiques du Japon, qui réunit les clans Abe, Kishi et Satō. Parmi ses membres, on compte deux Premiers ministres en plus d’Abe : son grand-père maternel, Nobusuke Kishi (1957 à 1960) et le frère de ce dernier, Eisaku Satō (1964 à 1972). Nombre des convictions de l’actuel leader sont des positions précédemment défendues par Kishi. Un hasard ? Pas vraiment. Pendant son enfance, Shinzō Abe a passé beaucoup de temps chez ses grands-parents. Il se sent très proche de Kishi, à tel point qu’il évoque fréquemment son grand-père dans ses discours et fait volontiers l’apologie de l’ancien Premier ministre, son modèle politique. Abe l’admet lui-même : « J’aimerais réussir à accomplir son souhait de « recouvrer une vraie indépendance ». »

Pourtant, cet ancien Premier ministre, est un personnage controversé. Ministre adjoint au Développement industriel du Mandchoukouo à partir de 1935, Kishi se fait une réputation de joueur invétéré et d’homme à femmes. Il entre au gouvernement à Tokyo en tant que « ministre des Munitions » en octobre 1941. Proche du général Tōjō, il vote pour la guerre contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Après la défaite, il est emprisonné pendant trois ans par l’occupant américain, suspecté d’avoir commis des crimes de guerre. Il est finalement libéré par les Américains, conscients que le Japon a besoin de leaders pour se reconstruire. Rejeté par le camp socialiste, il entre au Parti libéral et devient pro-américain. Premier ministre de 1957 à 1960, Kishi œuvre pour un rapprochement avec les Etats-Unis et renégocie en 1960 le traité de sécurité nippo-américain de 1952 pour qu’il soit plus équitable.

Lobby d’extrême-droite. Shinzō Abe est loin d’être le seul membre de la famille emprunt des idées nationalistes de son grand-père. Son frère cadet Nobuo Kishi, né Abe, est membre du puissant lobby ouvertement révisionniste « Nippon Kaigi » (日本会議), considéré comme la plus grande organisation d’extrême-droite du Japon. Elle réunit près de 38 000 membres, dont l’actuel chef du gouvernement et les anciens Premiers ministres Koizumi et Asō. Elu à la chambre des conseillers depuis 2004, Nobuo Kishi entre au gouvernement de son frère en tant que vice-ministre des Affaires étrangères en 2013. Comme Abe, il souhaite une révision de la Constitution pour permettre une réelle remilitarisation du Japon et une indépendance accrue vis-à-vis de l’allié américain. Il est également en faveur d’une affirmation forte face à la Chine et va jusqu’à militer pour l’ouverture d’un débat public sur la question de l’obtention de l’arme nucléaire.

Le clan Koizumi – Comment se réinventer en politique japonaise ?

Qui peut succéder à Shinzō Abe à la tête du gouvernement japonais ? A seulement 35 ans, Shinjirō Koizumi figure déjà parmi les favoris. Dans un sondage de l’agence de presse Jiji Tsūshin de janvier 2016, le fils de l’ex-Premier ministre Junichirō Koizumi arrive en tête, comme candidat le plus à même d’incarner la fonction.

Le « nouvel homme politique ». Mais d’où lui vient cette popularité ? Shinjirō Koizumi est jeune, charismatique, modeste et travailleur. Plutôt bon orateur, il n’hésite pas à s’attaquer franchement à son propre parti ni à critiquer le gouvernement. Ce côté franc-tireur tranche dans le paysage politique nippon, ce qui plait aux électeurs. Mais ce n’est pas tout. Shinjirō Koizumi est également apprécié de ses jeunes collègues du PLD. Les responsables du parti au pouvoir ont d’ailleurs décidé de capitaliser sur cette popularité en le nommant en octobre 2015 à la tête de la division « Agriculture et Forêts » de l’influent Conseil de recherches politiques du PLD. Un atout certain pour à la fois obtenir l’appui des législateurs du parti et minimiser la colère des agriculteurs, électorat acquis historiquement au PLD et contrarié par l’Accord de libre-échange du Partenariat transpacifique lancé par les Américains. Une ascension rapide pour un jeune homme politique qui a débuté sa carrière en 2009. Mais pour le Japan Times, s’il souhaite vraiment réussir dans ce milieu difficile, Shinjirō Koizumi devra d’abord « sortir de l’ombre de son père ». Et gagner en expérience.

Double héritage politique. Il semble que Shinjirō ait hérité de la popularité de son père en même temps que de son siège parlementaire. Koizumi père reste considéré à l’heure actuelle comme l’un des plus grands chefs de gouvernement qu’aie connu l’archipel depuis la fin de la guerre. Une popularité telle qu’on a parlé de « phénomène Koizumi ». C’est qu’il a ouvert la voie à un prototype d’homme politique, loin du traditionnel politicien conservateur japonais. Une image d’homme de convictions maniant le franc-parler.

Junichirō Koizumi entre en politique à l’âge de 29 ans, lorsqu’il reprend le siège parlementaire de son père, Junya Koizumi. Après des débuts hésitants, il accède à de hautes fonctions au sein du PLD. En 2001, Junichirō, qui dispose de peu de soutien au sein de son propre parti mais jouit déjà d’une forte popularité, se hisse à la tête du PLD et au poste de Premier ministre. Son ascension, il la doit à des méthodes peu conventionnelles : il a fait le choix de s’adresser directement aux électeurs, plutôt que de serrer des poignées de main et de multiplier les promesses au sein du parti pour rallier des voies, comme cela fonctionne traditionnellement.

En cinq ans, Koizumi a enchaîné les succès : décentralisation, privatisation de la poste, baisse du déficit public, réforme du secteur bancaire, reprise économique… S’il ne faut pas sous-estimer le poids des circonstances sociales et des réformes ayant précédé son mandat, force est de constater que ce dirigeant atypique laisse derrière lui un bilan – et une popularité – dont de nombreux Premiers ministres seraient envieux.

Un bémol de taille cependant : une dérive droitière dénoncée au Japon et surtout à l’étranger. Avec un symbole : les visites de Koizumi au sanctuaire Yasukuni, autre habitude reprise par son fils Shinjirō. Considéré comme un symbole nationaliste, ce sanctuaire honore la mémoire des militaires morts pour le pays, incluant le nom de 14 criminels de guerre de classe A. Lorsqu’on lui reproche ses hommages annuels qui ont contribué à accentuer les tensions avec la Chine et la Corée du Sud, Junichirō Koizumi a une réponse invariable : il effectue ces visites pour « montrer du respect et de la reconnaissance à ceux qui ont offert leurs vies pour le pays et à leurs familles », en tant que citoyen japonais, non en sa qualité de Premier ministre. Une pirouette pour l’homme politique qui avait fait de cette visite une promesse de campagne.

Une lignée d’hommes politiques atypiques. Même dans sa vie privée, Junichirō Koizumi détonne. Divorcé alors que sa femme était enceinte, il a obtenu la garde de ses deux aînés. Trois mois après le divorce naît un fils cadet, Yoshinaga, qui ne grandit pas auprès de son père et ne porte même pas son nom. Et si l’on remonte l’arbre généalogique de la famille, prédominante en politique depuis le début du XXème siècle, les histoires originales sont pléthore.

Avant de démarrer sa carrière politique, le grand-père de Junichirō, Matajirō Koizumi, a tenté de s’enrôler dans la marine impériale. Mais il est renvoyé chez lui lorsqu’on découvre qu’il est mineur et que son père n’a pas donné son accord. Il devient finalement journaliste et s’engage quelques années plus tard en politique. Il occupera des postes prestigieux, tel que celui de ministre des Postes et Télécommunications de 1929 à 1931.

Le père de Junichirō Koizumi, Junya Samejima est fils de pêcheur. Il suit les cours du soir tout en travaillant la journée. Une fois diplômé, il rejoint le Parti démocratique constitutionnel (Rikken Minseitō). Il se marie avec Yoshie Koizumi, fille de Matajirō. D’abord opposé à leur union, le patriarche décide finalement de donner sa bénédiction – et son nom – et de lancer la carrière politique de son gendre.

La dynastie des Koizumi se démarque assurément de l’establishment nippon. Une originalité qui se retrouve dans « l’ADN politique » de Shinjirō, qui suit les traces de son père. Pour le moment.

Le clan Asō – La longévité de la dynastie peut-elle garantir la qualité des hommes politiques ?

On l’aime ou on le déteste. Autant dire que Tarō Asō ne laisse pas indifférent. A 75 ans, l’actuel ministre des Finances et ancien Premier ministre défraie régulièrement la chronique avec des déclarations pour le moins fracassantes. Sa dernière phrase choc en date s’attaque aux personnes âgées, une cible privilégiée pour l’homme qui est également vice-Premier ministre : « J’ai vu récemment un homme de plus de 90 ans à la télé s’inquiéter de son futur. Et j’ai pensé : combien de temps encore a-t-il l’intention de vivre ? »

Une famille de politiciens chevronnés. Tarō Asō est issu d’une lignée aristocratique, industrielle et politique illustre. Une famille qui a joué un rôle prépondérant dans la formation du Japon moderne. Son arrière-arrière-grand-père, Toshimichi Ōkubo est l’une des principales figures de la révolution de 1868 contre le shogunat. Son arrière-grand-père, Takichi Asō était élu au Parlement, tout comme son père, Takakichi, ainsi que son grand-père, le célèbre Shigeru Yoshida, qui fut également Premier ministre de 1946 à 1947, puis de 1948 à 1954. Tarō Asō est par ailleurs marié à Chikako Suzuki, fille de l’ancien Premier ministre Zenkō Suzuki (1980-1982). Par ailleurs, il est apparenté à la famille impériale par sa sœur, qui a épousé le prince Tomohito de Mikasa, cousin au premier degré de l’empereur Akihito.

Se démarquer pour exister. Lorsqu’on est issu d’une famille célèbre, la tentation de rompre son image d’ « héritier politique » pour exister peut être forte. Et c’est le cas avec Asō, une personnalité unique en son genre, qui se revendique comme un « homme du peuple ». Une image qu’il a cultivée auprès de l’opinion publique en mettant en avant sa passion pour les mangas, et en pratiquant le ball-trap, une discipline qui l’a poussé jusqu’aux Jeux olympiques de 1976.

En homme politique rusé, il n’a cependant pas négligé de capitaliser sur la renommée de sa famille et notamment de son grand-père, Shigeru Yoshida. En témoigne sa bibliographie : « Le Style de mon grand-père Shigeru Yoshida » (祖父•吉田茂の流儀) publié en 2000, et « Le point de départ de Tarô Asô : le style de son grand-père Yoshida Shigeru » (麻生太郎の原点 祖父・吉田茂の流儀), publié en 2007.

Une carrière au succès contrasté. Être issu d’une longue lignée de politiciens permet d’accéder à l’échiquier politique quasi automatiquement. On peut hériter du siège parlementaire d’un parent et ainsi bénéficier de sa réputation. De quoi apporter soutiens, financements et crédibilité auprès d’un électorat déjà conquis pour bien démarrer. Et après ? Une ascendance illustre ne peut garantir une carrière brillante. Pour sa part, Asō est devenu la risée des médias après avoir enchaîné les erreurs de lecture de kanji. Ses nombreux dérapages et ses prises de position très populistes lui ont coûté à trois reprises le poste de président du parti, en 2001, 2006 et 2007, au profit de personnalités plus consensuelles. Faute de rival crédible, il parvient finalement à la fonction tant convoitée en septembre 2008, ce qui lui permet de prendre la tête du gouvernement. Mais son mandat se révèle catastrophique. En quelques semaines, sa cote de popularité passe de 50% de confiance à 36%. Début 2009, elle avoisine les 14%. Asō achève son parti, qui battait déjà de l’aile. Aux élections suivantes, c’est la débâcle pour le PLD. Le Japon connaît alors sa véritable première alternance politique depuis plus d’un demi-siècle.

Un retour en force. Depuis le retour au pouvoir du PLD en décembre 2012, on observe aussi un retour en force de l’homme politique qui avait été désigné « deuxième personnalité japonaise la plus irritante » dans un sondage de 2009. Aujourd’hui, sa popularité le propulse même à la cinquième place des politiques les plus à même de prendre la suite de Shinzō Abe. Mais à quoi doit-on ce retour inattendu ? Son soutien à Shinzō Abe, par ailleurs un cousin éloigné, a été décisif : Asō reste un levier d’influence indispensable à Abe au sein du PLD et tous deux partagent une même vision conservatrice de la puissance japonaise.

Tarō Asō n’a certes pas à rougir de son tableau de chasse. Elu à la Diète depuis 1979, outre la fonction de Premier ministre, il a également occupé les postes de ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Intérieur et ministre d’Etat en charge de la politique économique. Si la lignée politique n’assure pas la qualité de sa descendance, elle s’en préoccupe fortement. Asō a tout de même bénéficié d’une éducation hors pair. Diplômé de la faculté des sciences politiques et économiques de la prestigieuse université Gakushūin, il a également fréquenté Stanford avant de changer pour la London School of Economics, sous la pression de son grand-père Shigeru Yoshida. Avant de se consacrer à la politique, Asō a travaillé au sein de l’entreprise familiale pendant 13 ans, ce qui lui a permis de se familiariser avec les réalités économiques.

Finalement, peu d’hommes politiques japonais peuvent se vanter d’avoir autant de pouvoir et d’expérience qu’Asō. Qu’il soit encore aujourd’hui au premier rang de la scène politique malgré un mandat raté, de nombreuses gaffes et des positions parfois très critiquées au sein de son propre parti, tout cela relève du tour de force. Mais son héritage politique et économique n’en a pas fait un leader visionnaire, ni un réformateur couroné de succès.

Le clan Hatoyama – Est-ce qu’un clan peut disparaître de la vie politique japonaise ?

Le clan Hatoyama est sans conteste la famille politique la plus importante de l’époque moderne. Dynastie souvent comparée à celle des Kennedy, quatre générations de parlementaires se sont succédées, ce qui est exceptionnel, même pour le Japon. Au total, deux Premiers ministres, trois ministres, un président de la Chambre des représentants, six parlementaires et deux membres de l’Assemblée préfectorale de Tokyo. L’histoire politique nippone est intimement liée aux personnages de cette illustre famille qui ont parfois initié, sinon toujours accompagné les évolutions politiques. Une famille qui a également été incontournable sur le plan académique, puisque nombre de ses membres ont poursuivi des carrières universitaires. Mais la dynastie Hatoyama est en perte de vitesse depuis quelques années… Une lignée aussi célèbre peut-elle s’éteindre ?

L’âge d’or. Tout commence avec Kazuo, fondateur de la lignée politique. Né en 1856 dans la branche mineure des Ogawa, il est adopté par la branche principale des Hatoyama. Après des études de droit à l’université de Tokyo, il mène parallèlement quatre carrières. Il est élu à la chambre des représentants de 1892 à 1911. Son fils Ichirō est l’une des deux grandes figures politiques d’après-guerre avec Shigeru Yoshida. Il est à l’origine de la création du Parti libéral du Japon, puis du Parti démocrate, qui fusionneront en 1955 pour devenir le PLD. Elu à la Chambre des représentants pendant près de 38 ans, il incarne la fonction suprême de Premier ministre de 1954 à 1956. Iichirō, fils d’Ichirō, poursuit une carrière moins visible. Méfiant à l’égard des politiques, il commence sur le tard, pressé par son entourage. Il est tout de même élu à la chambre haute de 1974 à 1992 et nommé ministre des Affaires étrangères de 1976 à 1977. Marié à l’héritière de l’entreprise Bridgestone, il met au monde trois enfants, dont Yukio et Kunio, qui suivent la voie politique et forment ainsi la quatrième génération. La dynastie atteint le sommet de sa gloire entre 1986 et 1992, avec trois parlementaires siégeant simultanément (Iichirō à la chambre haute et ses deux fils à la chambre basse).

La chute. Et pourtant, la quatrième génération éprouve des difficultés à se maintenir au pouvoir. A cela s’ajoutent des scandales, liés à la fortune familiale, qui ont sali l’image et entravé la carrière politique des Hatoyama. Kunio s’engage en politique en 1976 en tant qu’élu à la chambre basse. Au PLD, on le surnomme « l’oiseau migrateur ». Il a en effet quitté le parti en 1993 pour revenir en 2000. Il démissionne de nouveau en 2010 pour tenter un retour en 2011. Mais visiblement, plus personne ne veut de lui… Ses efforts payent finalement fin 2012. Après avoir écrit personnellement à Shinzō Abe, celui-ci accepte de le réintégrer.

Yukio débute sa carrière politique plus tardivement que son frère, en 1986. Il quitte le PLD en 1993, incommodé par les scandales politiques et financiers qui touchent alors le parti. Il participe à la création du Parti Démocrate du Japon (PDJ) qui devient le premier parti d’opposition et milite pour une moralisation de la vie politique. Surnommé « l’Alien » pour sa vague ressemblance avec « E.T. » et ses idées allant à contre-courant de l’establishment japonais, Yukio Hatoyama devient Premier ministre en septembre 2009. Devenu très rapidement impopulaire suite à des scandales autour du financement de sa campagne et à des promesses non tenues, il démissionne huit mois après. Aujourd’hui, il s’est retiré de la vie politique, ce qui ne l’empêche pas de s’exprimer. En janvier 2013, il s’est attiré les foudres du PLD en rendant visite au mémorial du massacre de Nankin. « En tant que Japonais, je me sens responsable de cette tragédie, et je tiens à présenter mes excuses les plus sincères », avait-il alors déclaré. Des propos rappelés par le Japan Times qui lui avaient valu d’être taxé de « traître » par le ministre de la Défense de l’époque.

L’espoir de la cinquième génération. La lignée ne s’arrête pas là pour autant. Kunio a eu trois enfants, parmi lesquels, deux sont entrés en politique. Tarō l’aîné et Jirō le cadet. Elu à l’Assemblée de la préfecture de Tokyo de 2003 à 2005, Tarō a depuis multiplié les défaites électorales. Jirō pour sa part est devenu le plus jeune maire de la ville d’Ōkawa (préfecture de Fukuoka) en 2013. L’espoir viendra peut-être de Kiichirō, fils unique de Yukio. Actuellement chercheur en génie urbain à l’université de Moscou, l’homme de 40 ans a en effet annoncé envisager une carrière politique… mais pas tout de suite.

Par Jeremy Masse

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A propos de l'auteur
Étudiant en Master Relations internationales à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), Jeremy Masse est également titulaire d’une licence de l'École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle. Passionné par la politique et les questions de défense, il a notamment rédigé un mémoire sur l’enjeu de l’arme nucléaire au Japon.