Environnement
Entretien

Philippines : meurtre d’une écologiste en campagne contre le lobby du charbon

Des résidents de Calaca regardent brûler un tas de terre ramassé à côté de la centrale à charbon dans leur ville, lors d'une manifestation devant le bureau du ministère de l'Environnement à Manille aux Philippines le 17 mars 2016.
Des résidents de Calaca regardent brûler un tas de terre ramassé à côté de la centrale à charbon dans leur ville, lors d'une manifestation devant le bureau du ministère de l'Environnement à Manille aux Philippines le 17 mars 2016. (Crédits : TED ALJIBE / AFP)
Il est près de 20 heures ce vendredi soir 1er juillet, lorsque deux hommes à motos surgissent dans le port de Lucanin, tout au sud de la péninsule de Bataan aux Philippines. L’un d’eux porte un casque, l’autre une serviette nouée sur la tête. Les deux individus marquent un arrêt au niveau du « videokehan », le karaoké de la famille Capitan, et ils ouvrent le feu au calibre 45. Trois balles atteignent Gloria Capitan à la tête et au bras, une autre vient égratigner son petit-fils âgé de huit ans. Assis sur une chaise en plastique, ce dernier se trouvait près de l’écran quand les assassins ont ouvert le feu sur sa grand-mère qui fixait les rideaux à la fenêtre du karaoké. Agée de 57 ans, Gloria Capitan meurt sur le coup. Cette figure de l’écologie locale était à la tête d’un groupe de défense de l’environnement qui s’était notamment opposé à l’expansion des zones de stockage de charbon à Mariveles dans la province de Bataan. Pour Reuben Muni, chargé de la campagne énergie à Greenpeace Manille, tout semble indiquer que cet assassinat est lié aux activités écologistes de la militante. Entretien.

Contexte

Gloria Capitan, un nom qui sonne comme celui d’une star de la pop musique et qui aujourd’hui vient s’ajouter à la longue liste des « martyrs » de la cause environnementale tués pour leur engagement écologiste. Pendant que la nouvelle administration de Rodrigo Duterte poursuit les cartels de la drogue, les bandes organisées continuent de semer la mort parmi les écologistes, les journalistes et plus généralement chez les défenseurs de l’environnement qui s’opposent à certains intérêts politico-industriels aux Philippines.

C’est cette « culture de l’impunité » que dénonce aujourd’hui Greenpeace. Gloria Capitan travaillait pour l’association Kilusang Pambansang Demokratiko (KPD), un groupe local opposé à différents projets du lobby du charbon dans la province de Bataan à l’ouest de Manille. Tout semble indiquer aujourd’hui, disent ses proches, qu’elle a été tuée du fait de son engagement pour la défense de l’environnement. Selon un rapport paru le 20 juin dernier de l’ONG Global Witness, 185 défenseurs de l’environnement ont été tués l’an passé dans le monde, soit 60 % de plus qu’en 2014. Parmi eux, figurent 33 militants philippins assassinés pour s’être opposés à la destruction de la faune et de la flore.

Selon Greenpeace, la mort de Gloria Capitan est directement liée à son travail, c’est aussi votre avis ?
Reuben Muni : Gloria Capitan était notre partenaire communautaire et l’un de nos relais auprès des organisations écologistes qui travaillent dans la province de Bataan. Nous ne connaissons pas les motivations des assassins. La police locale a expliqué que sa mort pouvait être liée à une dispute à propos de terres et de propriété, mais ses amis et sa famille n’ont jamais entendu parler d’une telle dispute qui la concernerait. Du coup, certains pensent qu’il s’agit là d’une tactique de diversion pour induire en erreur l’opinion publique concernant les vraies raisons de son assassinat qui semblent effectivement liées à sa campagne contre le charbon.
Quel était l’objet de sa campagne à Mariveles justement ?
La municipalité de Mariveles accueille une réserve de charbon ainsi qu’une centrale en activité. Mais la campagne menée par le groupe écologiste KPD ne s’arrête pas à l’extension des installations de Mariveles, elle concerne aussi la commune voisine de Limai.
Qui a commandité ce meurtre selon vous ?
C’est difficile à dire, il faut attendre que la police locale ait terminé son enquête. Ce qui est sûr en revanche, c’est que si vous regardez qui avait intérêt à faire taire Gloria Capitan, si vous écoutez ses collègues, ses amis, vous prenez conscience très vite que les premiers suspects sont des gens dont les intérêts dans le développement des entrepôts et des centrales à charbon de la province de Bataan se sont trouvés contredits par la forte opposition de Gloria Capitan et de son association.
Gloria Capitan.
Gloria Capitan. (Copyright : Philippine Movement For Climate and Justice)
Ce n’est pas la première fois que des écologistes sont assassinés aux Philippines ?
Vous avez raison… Les Philippines sont même tristement célèbres sur ce plan, puisqu’il s’agit du pays le plus dangereux au monde pour les protecteurs de la nature juste derrière le Brésil selon l’organisation Global Witness. Pour moi, cette violence est liée à une culture de l’impunité encore malheureusement très vivace dans ce pays et à toute une tradition de meurtres extrajudiciaires. Les écologistes ne sont pas les seuls concernés d’ailleurs, les médias aussi sont visés. Des journalistes sont tués également pour avoir osé révéler différentes infractions ou crimes commis par certains groupes.
Quelle est aujourd’hui votre message au nouveau président philippin ?
Nous avons appelé l’administration du président Rodrigo Duterte à faire cesser cette culture de l’impunité. Nous voulons profiter de l’engagement pris par le nouveau gouvernement philippin contre les organisations criminelles. Le président Duterte a promis de lutter contre les gangs et la corruption ; nous lui demandons de protéger l’ensemble des victimes de ces organisations. Nous voulons que les autorités n’oublient pas les défenseurs de l’environnement qui sont eux-mêmes victimes de ces organisations criminelles. Aujourd’hui les autorités sont en guerre contre les cartels de la drogue et les consommateurs de stupéfiants, mais les crimes se poursuivent dans d’autres domaines. Il y a toujours des écologistes assassinés dans ce pays : c’est ce qui est arrivé à Gloria Capitan. Elle est morte simplement parce qu’elle défendait les intérêts de notre pays et son environnement.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.