Philippines : Duterte, président paralysé ou "dictateur éclairé" ?
Entretien
François-Xavier Bonnet est géographe et chercheur associé à l’Institut de recherches sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC). Il travaille sur les interconnexions entre les conflits claniques et les insurrections musulmanes sur l’île de Mindanao. Il est l’auteur de trois chapitres dans la monographie nationale Philippines contemporaines (William Guéraiche (dir.), Les Indes Savantes, 2013), et contribue chaque année à l’ouvrage L’Asie du Sud-Est, bilan, enjeux et perspectives, publié par l’Irasec.
François-Xavier Bonnet est par ailleurs consultant pour différentes agences des Nations Unies (notamment l’UNESCO) et pour certaines municipalités de Mindanao ayant des conflits locaux à régler. Il réside aux Philippines.
Certains détracteurs de Duterte l’appellent même le « futur Poutine » des Philippines parce qu’il pousse le nationalisme à son extrême. S’il est élu, toute la diplomatie du pays risque d’être remise en cause. D’abord, il menace de rompre avec les Etats-Unis et l’Australie. Depuis janvier 2016, dans le cadre de l’accord de défense EDCA (Enhanced Defense Cooperation Agreement) entre les Philippines et les Américains, ces derniers avaient proposé que Davao deviennent une base militaire pour leurs drones. Maire de Davao, Duterte a refusé. Par la suite, il a expliqué ne plus vouloir les mêmes relations diplomatiques avec Washington et Canberra, et souhaiter un rapprochement avec la Chine.
Davao est l’une des plus grandes villes du monde en superficie – elle s’étend sur 2 500 km2 – le centre-ville est relativement petit mais se trouve entouré de montagnes, de versants de volcans et de forêts. C’est dans cette zone rurale que les différents groupes armés se sont implantés. Dans les années 1990, le « génie » de Duterte est d’avoir passé des accords secrets avec chacun de ces groupes. Le « deal » était le suivant en substance : les groupes étaient autorisés à venir dans la zone urbaine de Davao à condition de déposer leurs armes avant, sous peine d’être arrêtés par la police qui n’hésiterait pas à leur faire la guerre. Ainsi, à chaque Noël par exemple, les communistes du NPA peuvent venir faire leurs emplettes, acheter des jouets pour leurs enfants, et rester en ville sans être inquiétés. Ce système a permis d’avoir la paix.
Pour beaucoup d’analystes, en revanche, il ne pourra jamais gouverner. D’abord parce qu’il aura l’église catholique contre lui. Primo, il vaut faire appliquer la loi sur planning familial, qui a été votée, mais qui est restée lettre morte faute de financement. Duterte, lui, a promis de financer le planning familial au plan national comme à Davao, une des premières villes à l’appliquer, notamment en distribuant gratuitement des préservatifs et autres moyens contraceptifs.
Secundo, Rodrigo Duterte se dit en faveur d’une loi pro-mariage gay. Il a dit qu’il se fichait pas mal de l’église catholique. « Je suis élu par le peuple et non par l’église ; je vais faire appliquer des lois qui n’auront rien à voir avec l’idéologie catholique », a-t-il souvent affirmé. Il est prêt à affronter les institutions du pays, un peu comme Marcos qui avait développé le planning familial dans le monde rural (un des pionniers en la matière en Asie du Sud-Est), et avait donc dû se confronter à l’église.
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