Elections aux Philippines : la démocratie en danger ?
Entretien
François-Xavier Bonnet est géographe et chercheur associé à l’Institut de recherches sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC). Il travaille sur les interconnexions entre les conflits claniques et les insurrections musulmanes sur l’île de Mindanao. Il est l’auteur de trois chapitres dans la monographie nationale Philippines contemporaines (William Guéraiche (dir.), Les Indes Savantes, 2013), et contribue chaque année à l’ouvrage L’Asie du Sud-Est, bilan, enjeux et perspectives, publié par l’Irasec.
François-Xavier Bonnet est par ailleurs consultant pour différentes agences des Nations Unies (notamment l’UNESCO) et pour certaines municipalités de Mindanao ayant des conflits locaux à régler. Il réside aux Philippines.
Pour comprendre Grace Poe, il faut savoir que son père, acteur de cinéma très populaire, était un ancien candidat à présidence. Il est aujourd’hui décédé et elle prend en quelque sorte sa revanche au nom du père. C’est ainsi qu’elle a lancé sa campagne. Pendant un certain temps, elle était première dans les sondages, jusqu’à ce qu’elle passe en deuxième position.
La vision de Grace Poe est assez générale : continuer ce que fait le président sortant Benigno Aquino. Au début de sa carrière politique, elle fut la directrice de l’agence qui contrôle la production cinématographique et télévisuelle, la MTRCB (Movie and Television Review and Classification Board). Par la suite, elle s’est présentée aux élections sénatoriales et en 2013, elle devenue la sénatrice la « mieux élue ». C’est une particularité du système politique philippin : les sénateurs sont élus au niveau national et ne sont pas attachés à un disctrict. Les futurs candidats aux élections présidentielles viennent du Sénat. Le sénateur le mieux élu a le plus de chance à la présidentielle.
Juste après Grace Poe dans les sondages, se trouve Mar Roxas, candidat du parti libéral du président Aquino. La vision de Grace Poe n’est presque pas différente de la sienne mais Roxas est davantage le réprésentant de l’élite politique et du monde des affaires. C’est un grand technocrate. Parmi les candidats actuels, c’est lui qui a le plus d’expérience car il a été ministre sous trois présidents différents : Joseph Estrada (1998-2001), Gloria Macapal-Arroyo (2001-2010), puis Benigno Aquino. Roxas est issu d’une grande famille de politiciens : son grand-père Manuel Roxas fut le premier président des Philippines de 1946 à 1948 ; et son père était le président du Sénat dans les années 1960 et 70. Mar Roxas a ses faiblesses : il a l’image d’un responsable peu proche du peuple, arrogant, froid, hautain, calculteur ; ce que les Philippins n’aiment pas.
Autrefois aux Philippines, les élections étaient étalées. Mais le processus se heurtait au climat. Il faut en effet éviter la saison des pluies de juin à novembre. Soit six mois de l’année où il est quasiment impossible ou aléatoire d’organiser des élections sérieuses. Par ailleurs, en rassemblant l’essentiel des scrutins sur une journée, le gouvernement a voulu éviter un risque de lassitude de la part de l’électorat. Une perte de motivation qui aboutirait à une abstention massive. Aujourd’hui, la participation se situe en général de 70 à 75%. Ce lundi 9 mai est férié : personne ne va à la pêche ou à la chasse ; c’est un jour de fête avec des défilés et des animations. Pour éviter la chaleur, les Philippins vont voter très tôt ou en fin de journée. Il y a un esprit civique remarquable.
Mais ce genre de cas est plutôt rare. Les candidats locaux étant très peu connus, le maire sortant a toutes les chances d’être réélu s’il fait un bon travail de communication. Il existe différents techniques. Par exemple, certains maires font inscrire leur nom sur les voitures de police municipale. Parfois, sous le nom est inscrit « ma police ». Dans d’autres cas, les banderoles avec le nom du candidat sortant restent après les élections pendant des années. Au niveau provincial, des familles financent de grands projets comme un terrain de basket qui porte le nom du gouverneur de la province. Il faut savoir aussi que la durée de la campagne électorale n’est pas la même. Cette année, pour les élus locaux, elle a commencé officiellement fin mars-début avril. Pour les candidats nationaux, elle a commencé depuis février. En théorie, c’est donc 3 mois. Mais en général, les candidats nationaux démarrent bien avant. Grace Poe, qui est très liée au monde du show business, a pu compter sur le soutien de nombreux acteurs via de petits clips non comptabilisés par la commission électorale, mais présentés dès le mois de décembre à la télévision.
(Retrouvez très prochainement sur Asialyst la suite de l’entretien avec François-Xavier Bonnet, notamment sur la personnalité de Rodrigo Duterte et sur les conséquences pour les Philippines s’il devient président.)
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