Réfugiés asiatiques d’hier et d’aujourd’hui : regards d’anciens boat people
Contexte
D’un continent à l’autre, les mêmes enjeux ? Comme en miroir de la crise des réfugiés syriens en Méditerranée, l’Asie du Sud-Est a connu une crise similaire en mai 2015. Elle fut déclenchée après que les autorités thaïlandaises eurent réprimé les cartels de trafiquants d’êtres humains basés dans le sud du pays. Ces derniers organisaient un trafic de migrants vers la Malaisie en provenance de Birmanie et du Bangladesh. Tandis que les trafiquants fuyaient la répression, abandonnant leur « charge » d’êtres humains dans les mers du Sud-Est asiatique, la situation dégénérait en crise humanitaire. Les nouveaux boat-people furent d’abord repoussés par les autorités malaisiennes, thaïlandaises et indonésiennes. Mais sous la pression internationale, Kuala Lumpur et Jakarta acceptèrent de les accueillir temporairement.
D’un côté, les Rohingya, ces apatrides musulmans fuyant les persécutions en Birmanie, pouvaient espérer obtenir le statut de réfugiés pour débuter une nouvelle vie dans un pays tiers. De l’autre, des Bangladais en majorité migrants économiques, devaient être rapatriés. Ainsi, la plupart des 1 622 Bangladais accostés en Indonésie, en Malaisie et en Thaïlande, ont été raccompagnés dans leur pays. Ceux qui sont restés devraient les rejoindre avant la fin 2016.
Quant aux Rohingya, nombre d’entre eux ont émigré en Malaisie dans la clandestinité, se mélangeant aux dizaines de milliers de Rohingya vivant et travaillant déjà dans le pays. Le gouvernement de Kuala Lumpur a depuis longtemps décidé de fermer les yeux sur cette immigration illégale.
Aujourd’hui, le problème est loin d’être résolu. Des 1 500 Rohingya arrivés en Malaisie, en Thaïlande et en Indonésie, et enregistrés officiellement, la grande majorité a certes obtenu le statut de réfugié, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Mais la plupart d’entre eux ont été parqués dans des centres de rétention en attendant l’agrément d’un pays tiers.
Une odyssée périlleuse
Poussée à la fuite, sa famille prend la décision d’embarquer à la fin de l’année 1978 sur le Hai Hong, un grand navire de transport à marchandises avec à son bord près de 2 500 réfugiés. Le périple durera un mois, sur une mer parfois très agitée : « Nous avons traversé des tempêtes effrayantes, de hautes vagues, et le navire qui vacillait… Le plus terrifiant c’était des tempêtes qui ont eu lieu la nuit… Nous avions peu de choses à manger ; la promiscuité créait des tensions fortes ; nous manquions d’eau ; les conditions d’hygiène étaient déplorables ; il y avait beaucoup de gens malades. Une ou deux personnes sont décédées pendant le voyage, qui ont eu l’océan pour sépulture, » témoigne Paul.
Chassé d’une île indonésienne, le navire arrive en Malaisie, où les autorités refusent de le laisser accoster. Filmée par des journalistes, l’odyssée du Hai Hong, errant de port en port, va entraîner une mobilisation des intellectuels français et de l’opinion publique qui aboutira à ce que les grands pays occidentaux leur offre l’asile. Un périple qui n’est pas sans rappeler celui des Rohingya, minorité musulmane souffrant de graves persécutions en Birmanie depuis les années 1980. En 2015, le départ sur des embarcations de fortune de milliers d’entre eux, refoulés par la Malaisie, l’Indonésie ou la Thaïlande où ils cherchaient protection, provoque l’indignation de la communauté internationale, avant de déboucher sur un accueil temporaire dans ces trois pays.
*Phrase empruntée au psychologue Hubert Ripol et qui lui avait été dite en entretien par un pied noir au sujet de l’Algérie. Se souvenir toujours et n’en parler jamais*
Barbara Mourin est intervenante sociale formée à la clinique transculturelle. Elle accompagne depuis quinze ans des personnes migrantes dans leur insertion en Belgique. Selon elle, cette transmission lacunaire est fréquente dans toutes les migrations « lorsqu’elles ont une dimension douloureuse ou traumatique, liée au pays d’origine ou au fait que le projet migratoire n’a pas abouti à l’ascension sociale escomptée. » Dans le cadre de ses consultations avec des victimes du génocide rwandais, elle a ainsi constaté « beaucoup de questionnements des victimes sur ce qu’elles peuvent dire ou pas à leurs enfants. » D’où une temporalité longue pour libérer la parole, qui peut avoir un impact sur les générations suivantes et notamment sur leur processus d’individuation.
Pour certains anciens réfugiés, l’intégration semble même s’être faite au prix d’un effacement de ce qui a été vécu. Soc Lam, par exemple, s’il ne peut oublier qu’il a reconstruit sa vie grâce à la France, se sent par ailleurs « plutôt hésitant et préoccupé, en tant que Français », suspectant la présence de terroristes potentiels parmi les réfugiés et estimant qu’il est difficile de faire un « tri » entre les personnes qui fuient la guerre et les migrants économiques. Il va même jusqu’à douter de la sincérité des personnes qui viennent frapper à la porte de la France pour y trouver asile et de leur volonté de s’intégrer et de travailler. Il n’est cependant pas totalement opposé à l’accueil de certaines personnes, à condition qu’elles puissent être prises en charge dans de bonnes conditions. Mais il doute que la France en soit actuellement capable.
Cette attitude peut aussi indiquer une volonté de se distinguer d’immigrés considérés comme posant problème. La figure de l’étranger est facilement prise pour cible en France en période de crise, souligne Karine Meslin, sociologue à Nantes. D’autant que pour Soc comme pour Paul, l’assimilation fut loin d’être simple au départ. « Quand j’ai voulu faire du droit, tout le monde a ri », se rappelle Soc. « Au début, raconte Paul, je ne maîtrisais pas bien la langue française, et ne connaissais rien ou presque aux us et coutumes des Français. On se moquait beaucoup de moi, et j’ai bien sûr été victime du racisme des gens… » Dans le même temps, Paul dit avoir découvert avec bonheur la culture française pendant ces années, au point d’être aujourd’hui « banane : jaune dehors et blanc dedans… »
Il n’empêche, les débuts à Paris furent très difficiles : « On vivait dans un petit appartement, quasi insalubre, dans le Xème arrondissement, se souvient Paul. On était presque démuni. Mes parents et mes frères aînés faisaient différents métiers : ménage, fabrication de nems, plongeur dans des restos, couturière, ouvrier dans des usines de construction d’automobile, employé d’hypermarchés, assistant d’atelier, etc. »
Aujourd’hui, Paul travaille dans une épicerie exotique, en famille. Lorsqu’il s’informe sur la crise migratoire actuelle, il dit reconnaître ce qu’il a vécu et être touché : « J’ai de la compassion devant certaines images, certains faits relatés – morts d’enfants, bateaux qui font naufrage, maltraitance des demandeurs d’asile par des passeurs et dans certains pays… » Mais il reste spectateur, comme la majorité des français : « Mon opinion sur le sujet évolue au fil des jours, en fonction de l’actualité. Je ne milite ni dans un camp ni dans celui d’en face. Je pense à gagner ma vie d’abord, et ça prend tout mon temps », explique-t-il.
« A notre tour d’agir »
Les discours médiatiques et politiques sur la crise des réfugiés qui secoue l’Europe, mais aussi de nombreuses autres régions du monde, donnent parfois le sentiment que cette situation est ingérable, ou qu’elle n’a jamais eu de précédent. Ce n’est évidemment pas le cas et si la France de 1980 n’est pas celle d’aujourd’hui, les obstacles à l’accueil existaient aussi à l’époque, tant en raison de la crise économique que des réticences des populations. L’attitude réservée aujourd’hui aux nouveaux arrivants, majoritairement hostile, laisse perplexe. Que transmettront les réfugiés à leurs enfants et à la mémoire collective ?
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