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Obama à Hiroshima : le symbole et l’inutile

Le président américain Barack Obama et le Premier ministre japonais Shinzo Abe se recueillent devant le cénotaphe des victimes de la bombe A dans le parc du mémorial pour la paix de Hiroshima.
Le président américain Barack Obama et le Premier ministre japonais Shinzo Abe se recueillent devant le cénotaphe des victimes de la bombe A dans le parc du mémorial pour la paix de Hiroshima. (Crédit : Ma Ping / POOL / AFP)
Même bref, le passage de Barack Obama à Hiroshima le 27 mai 2016 fut un évènement historique, puisqu’il s’agissait de la première visite d’un président américain en exercice dans la ville détruite par l’arme nucléaire le 6 août 1945. Jimmy Carter s’y était rendu dans les années 1980, mais il n’était plus alors locataire de la Maison-Blanche.
Balisée quelques semaines plus tôt par le Secrétaire d’Etat John Kerry qui fut le premier responsable de la diplomatie américaine à se rendre à Hiroshima, cette visite d’Obama fut surtout marquée par la rencontre de deux phénomènes, a priori antinomiques mais ici complémentaires : le symbole et l’inutile.
Entre retour sur le passé et volonté de laisser une trace durable dans les relations internationales, le président américain profite de sa dernière année au pouvoir pour mettre l’accent sur des dossiers qui lui tiennent à cœur. Après l’accord nucléaire passé avec l’Iran, le rétablissement de relations diplomatiques avec Cuba, et l’annonce de la levée de l’embargo sur les ventes d’armes au Vietnam juste avant de venir au Japon, Obama continue sa série de symboles, avec cette fois un appel au désarmement nucléaire et un message envoyé à celui ou celle qui lui succèdera en janvier prochain.
Reste à savoir si ces « notes de Hiroshima », pour paraphraser le titre du célèbre ouvrage du prix Nobel de littérature Oé Kenzaburo publié en 1965, auront une réelle portée.

L’éternelle (non) repentance des combattants du Pacifique

Une gerbe de fleurs déposée devant le cénotaphe, une visite du Mémorial de la Paix, un discours rapide mais hautement symbolique : il aura fallu attendre près de 71 ans après la première utilisation de la bombe atomique pour qu’un président américain se présente sur les lieux de la ville martyre.
Un évènement donc, mais qui masque difficilement une réalité : l’après-guerre n’est pas encore terminée en Asie orientale.
Il avait déjà fallu attendre trois décennies pour qu’un président américain en exercice, Gerald Ford, se rende au Japon (Tokyo et Kyoto) en novembre 1974. Avant lui, Richard Nixon était allé en Chine populaire, snobant ainsi le plus fiable allié de Washington dans la région au nom de la realpolitik.

Depuis Ford, tous les présidents américains se sont rendus au Japon à deux reprises au moins pendant leur mandat (et jusqu’à cinq pour Bill Clinton), mais ni Hiroshima, ni Nagasaki, l’autre ville martyre du nucléaire, n’avaient jamais figuré au programme. Ces délais excessivement longs pour un Européen, compte-tenu de la rapidité avec laquelle se sont organisées la reconstruction et la réconciliation sur le vieux continent, nous éclairent sur l’extrême sensibilité qui se maintient autour des questions mémorielles sept décennies après la fin des hostilités.
Rivalités Chine-Japon, problème des « femmes de réconfort », affaires des manuels scolaires, polémiques autour de Nankin, Yasukuni, et plus généralement tous les lieux de mémoire, sans oublier qu’en dépit de multiples travaux d’auteurs dits révisionnistes, la version officielle américaine n’a pas été modifiée depuis 1945 : la bombe atomique a été nécessaire pour mettre fin au conflit et économiser des pertes humaines.

La page de la guerre a ainsi été tournée, mais pas encore celle de la repentance qui doit logiquement la suivre, et la visite de Barack Obama n’y change rien, si on remarque que dans le même temps, le cabinet du Premier ministre japonais a exclu une éventuelle visite à Pearl Harbor. Quand même les meilleurs alliés ne sont pas en accord sur la mémoire, difficile d’imaginer que la situation soit plus favorable entre puissances rivales. En Asie-Pacifique, l’après-guerre a encore de beaux jours.

Washington – Tokyo : amours et petites contrariétés

Réaffirmer la relation stratégique Washington – Tokyo : tel était l’un des objectifs de cette quatrième visite officielle de Barack Obama au Japon, en marge d’un sommet du G7.
Rien de bien nouveau donc si on regarde l’agenda des relations entre les deux pays depuis plusieurs années, en marge de leurs craintes liées à la montée en puissance de la Chine.

Dès son arrivée au pouvoir en 2009, Obama choisit de mettre à nouveau l’accent sur l’importance de ce partenariat, en envoyant Hillary Clinton au Japon pour son premier déplacement en tant que Secrétaire d’Etat. Et la formulation de la stratégie du pivot s’est articulée autour de partenaires privilégiés dans la région, au premier rang desquels Tokyo. Même son de cloche côté japonais, le cabinet de Shinzo Abe ayant réaffirmé à plusieurs reprises l’importance du lien avec Washington, comme l’avaient fait ses prédécesseurs avant lui.
Dans ce cas, pourquoi répéter jusqu’à épuisement la force d’une relation qui n’a pas été fondamentalement remise en cause depuis les années 1950, le regain de souveraineté du Japon après plusieurs années d’occupation et la doctrine Yoshida ?
Sans doute parce que les amours Tokyo-Washington, à défaut d’être ouvertement discutées, n’en demeurent pas moins discutables.

Penser l’inéluctabilité de cette relation serait même une erreur, semble ainsi avoir compris le président américain, et dont la visite à Hiroshima condamne tant la folie meurtrière de la guerre qu’elle célèbre la capacité qui fut celle des deux pays à laisser de côté leurs contrariétés pour s’engager dans une relation solide et durable, puisqu’elle est constante depuis plus de soixante ans.
Les déclarations tonitruantes de Donald Trump, le candidat républicain qui pourrait devenir en janvier prochain le remplaçant de Barack Obama (qui invite le Japon, et accessoirement la Corée du Sud, à se doter de l’arme nucléaire pour résister à la Corée du Nord et ne pas dépendre du parapluie nucléaire américain), mais aussi les multiples sollicitations de Washington dans d’autres aires géographiques (le Moyen-Orient en tête, la situation sécuritaire s’y étant évidemment considérablement dégradée depuis 2009) sont perçues par les Japonais comme le signe que l’alliance stratégique, bien que constamment réaffirmée, ne survivrait peut-être pas à l’épreuve des faits.

Les Etats-Unis s’engageraient-ils ainsi militairement contre la Chine pour soutenir le Japon dans un différend comme celui des îles Senkaku/Diaoyu ?
Rien n’est moins certain.
De même, si l’administration Obama a été marquée par un redéploiement en Asie, dont les résultats restent d’ailleurs modestes, l’engagement américain dans la région et aux côtés de ses alliés sera-t-il durable ? Voilà des points sur lesquels le président américain souhaitait « rassurer » ses partenaires japonais et s’assurer de leur soutien. L’avenir dira si c’est mission accomplie.

La longue route de Prague à Hiroshima

Le discours de Barack Obama à Hiroshima a fait également directement référence à celui de Prague du printemps 2009, dans lequel le président américain appelait à un désarmement nucléaire complet.
Cette sortie, déjà qualifiée d’historique, avait même été récompensée par le Prix Nobel de la Paix décerné quelques mois plus tard au dirigeant américain sur la base de ses intentions dans ce domaine.

Au terme de deux mandats présidentiels, le désarmement nucléaire n’a pas fait de progrès significatifs, et Obama a même indiqué à plusieurs reprises qu’il s’agissait là d’un espoir s’inscrivant dans la durée, et non de l’annonce de mesures fortes.
La visite de Hiroshima s’inscrit dans cette volonté de réaffirmer par des symboles forts sa conviction que les armes nucléaires sont inutiles en plus d’être déshumanisantes, et doivent en conséquence être éliminées.
Mais au-delà de ces déclarations et de ces intentions, la question d’un désarmement complet reste plus au stade du vœu pieux que de l’agenda sécuritaire.

Si le discours de Prague avait suscité des espoirs chez ceux qui plaident en faveur d’un monde dénucléarisé, la longue et difficile route depuis 2009, qui devrait se prolonger bien au-delà de la présidence d’Obama, rencontre des obstacles tant chez les partisans du nucléaire aux Etats-Unis que dans les autres puissances nucléaires, peu enthousiastes à l’idée de renoncer à l’arme suprême.

Obama est allé à Hiroshima, il a brisé un tabou sur le caractère inutile du nucléaire, et c’est déjà beaucoup. Pour le reste, il faudra peut-être que d’autres présidents américains fassent le déplacement jusqu’à Hiroshima, multipliant les apparitions comme une sorte de pèlerinage, et pourquoi pas le 6 août, date anniversaire de la destruction de la ville.
Mais au préalable, il faudra répondre à la question suivante : Hiroshima est-elle surtout le symbole de la fin de la Seconde guerre mondiale et des difficultés à imposer un devoir de mémoire, ou celui de l’absurdité et l’inutilité du nucléaire ?

A lire : Barthélémy Courmont, Mémoires d’un champignon. Penser Hiroshima, chez Lemieux éditeur.

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A propos de l'auteur
Barthélémy Courmont est maître de conférences à l'Université Catholique de Lille, Directeur de recherche à l'IRIS où il est responsable du pôle Asie-Pacifique, il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur les enjeux sécuritaires et les questions politiques en Asie orientale. Il vient de publier avec Éric Mottet, "L’Asie du Sud-Est contemporaine", aux Presses universitaires du Québec.
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