Indonésie : le contrôle des médias met la démocratie en danger
1998 : le printemps des médias ?
Cette situation change drastiquement après 1998. La fin de « l’Ordre nouveau » ouvre un nouveau chapitre pour la presse indonésienne. De nouvelles plateformes de médias, à la fois imprimés et électroniques, émergent, dotées d’une apparence et d’un esprit neufs. En quatre ans (1998-2002), plus de 1 200 médias papier, 900 stations de radio privées et 5 chaînes de télévision privées sont lancés. Aujourd’hui, ces médias n’hésitent plus à dénoncer sans ménagement les autorités ni exposer les cas de corruption au grand public. Dérégulation et privatisation de la presse ont été les maîtres mots de l’ère post-Suharto.
Seule ombre au tableau : ces nouveaux médias sont contrôlés et gérés en grande partie par des oligarques. Pire encore, ces oligarques sont directement impliqués dans les affaires politiques du pays. Par exemple, Surya Paloh, le fondateur et président du Parti Nasdem (National Democratic Party) est à la tête d’un empire médiatique de taille considérable. Il possède le célèbre journal Media Indonesia ainsi qu’une chaîne de télévision très influente, Metro TV. L’homme d’affaires et milliardaire Aburizal Bakrie, ancien président du parti Golkar (Party of the Functional Groups), possède quant à lui ANTV, TV One et Vivanews.
Nouvelle génération
Hary Tanoesoedibjo se montre très ambitieux dans sa participation à la vie politique indonésienne. En 2011, il rejoint le parti de Surya Paloh. Deux ans plus tard, il change pour le parti Hanura (People’s Conscience Party) et annonce sa candidature à la vice-présidence aux côtés du général Wiranto lors de l’élection présidentielle de 2014. Après sa défaite, il fonde en 2015 son propre parti, Indonesia Unity Party (Perindo). Beaucoup considèrent que Perindo n’est qu’une étape pour Hary Tanoesoedibjo dans la course à la présidentielle de 2019.
La liste des oligarques indonésiens s’allonge. Parmi eux, Dahlan Iskan. Propriétaire du principal journal du pays, le Jawa Pos, il a exercé des fonctions ministérielles sous la présidence de Yudhoyono. On y trouve également James Riady, qui possède le groupe Lippo. Bien qu’il ne dirige aucun parti, sa décision de nommer Theo Sambuaga – un célèbre politicien du parti Golkar – président de son conglomérat, est discutable. Cette nomination a été perçue par certains comme un bon moyen pour James Riady de protéger ses intérêts et de promouvoir certains objectifs politiques. Enfin, Chairul Tanjung, propriétaire des chaînes de télévision et Trans 7 ainsi que du site d’informations en ligne Detik.com, est connu pour entretenir des liens étroits avec l’ancien président Yudhoyono. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait été nommé ministre à trois reprises.
95% de la TV appartient à l’oligarchie
L’implication des oligarques dans la vie politique indonésienne n’est pas sans conséquences. De nombreux rapports font état d’abus et révèlent que les médias servent souvent de tremplin à leurs ambitions politiques. Lors des élections présidentielles de 2014, une étude menée par l’institut de recherche indépendant Masyarakat Peduli Media a révélé que la couverture des chaînes TV One et Metro TV était alignée sur les intérêts politiques de leurs propriétaires. Respectivement liées aux partis Golkar et Nasdem, elles ont diffusé davantage de sujets relatifs à leurs candidats favoris. La même logique s’applique à la presse écrite et aux médias Internet, dont les lignes éditoriales se conforment aux intérêts de leur patron, allant parfois jusqu’à dissimuler la vérité. Lors des élections présidentielles de 2014, les médias de Hary Tanoesoedibjo n’ont couvert que les sujets le concernant lui et son parti.
Dégradation de la couverture médiatique
Imposante, la mainmise des oligarques sur la presse et la politique en Indonésie semble difficile à détrôner. Pour autant, cela ne signifie pas qu’un changement soit impossible. Le gouvernement doit prendre les mesures adéquates, en appelant par exemple au vote d’une loi interdisant aux propriétaires de médias de s’engager en politique. Si rien n’est fait rapidement, les oligarques risquent de profiter des élections de 2019 pour manipuler à nouveau la démocratie en Indonésie.
Et il est très probable que l’on assiste au retour d’une ère aussi néfaste pour la liberté de la presse que celle du règne de Suharto. En contrôlant les médias, les oligarques ont introduit un ver dans le fruit de la démocratie.
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