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Expert - les bruits verts de Tokyo

 

Japon : le difficile enracinement politique des écologistes

Le Premier ministre japonais Shino Abe arrive à la Diète pour une session du comité du budget le 3 février 2016.
Le Premier ministre japonais Shino Abe arrive à la Diète pour une session du comité du budget le 3 février 2016. (Crédit : KAZUHIRO NOGI / AFP).
A trois mois des élections législatives, les milieux politiques s’activent. Selon l’un des anciens poids lourds de l’opposition, Ichiro Owaza, ce serait même « la dernière occasion » pour les partis d’opposition de faire barrage au Premier ministre conservateur Shinzo Abe. En effet, ce dernier est à deux doigts d’exaucer son ambition de modifier la Constitution pacifique de l’archipel – obsession gravée dans son ADN politique. En tout cas, pas de vacances pour les politiques nippons cette année… L’été s’annonce chaud au Japon.
Lorsqu’on regarde du côté des écologistes, leurs actions semblent étrangement calmes et nonchalantes. Ce qui contraste avec la détermination du Parti communiste et du Parti social démocrate, qui se sont même alliés avec le Parti démocrate progressiste (centre gauche) malgré des lignes politiques différentes.

La raison est simple : à cette élection, les Verts ne présentent aucun candidat.

« Pour présenter un candidat au Japon, il faut payer six millions de yens (50 000 euros) à la Commission électorale et c’est atroce pour les micro-partis comme le nôtre », se désole l’un des co-représentants du parti écologiste, Heiwa Hasegawa.
Financé entièrement par les dons de leur adhérents (environ 1 200 aujourd’hui), ce parti n’a jamais réussi à envoyer un député au quartier Nagata de Tokyo, où se trouve l’immense bâtiment de la Diète.

Faute de pouvoir présenter ses propres candidats, le parti vert nippon compte tout de même soutenir ceux avec qui il partage les mêmes idées : la lutte contre l’énergie nucléaire, contre la modification de la Constitution et contre le TPP (Partenariat transpacifique). Cela correspond en gros aux communistes et aux sociaux-démocrates, qui couperaient en théorie l’herbe sous les pieds des écologistes.

En effet, soutenir un candidat d’un autre parti n’est pas vraiment un problème pour les écologistes japonais car « un député vert à la Diète, c’est hors de portée ». Les écologistes « visent plutôt à envoyer des élus dans les parlements municipaux, pour peser d’abord dans la politique au niveau local », continue Hasegawa.

Un député vert au niveau national, c’est donc impossible ? Une fois, ils y ont cru. C’était en 2013. Dans la foulée de l’accident de Fukushima [en mars 2011, NDLR], une vague de manifestations anti-nucléaires déferle sur l’archipel. De l’argent coule à flot dans les caisses du parti, dont le nombre des sympathisants atteint les 1 700. Né en 2012, dans le sillage d’innombrables mouvements éphémères, le parti réussi alors à présenter dix candidats aux législatives de 2013. Mais ce rêve vert se brise sur la défaite électorale du Parti démocrate (centre gauche). Les électeurs estiment en effet que la politique menée par le Parti démocrate a aggravé la santé économique du pays et notamment que les dirigeants ont été incapables de gérer la crise de l’année 2011. Le Parti démocrate perd donc le pouvoir et les candidats verts restent aux portes de la Diète.

« Les élections de 2013 étaient vraiment une occasion unique. Mais je ne pense pas que la défaite soit de notre faute. Le climat politique était juste trop négatif », regrette Hasegawa. Et aujourd’hui, le « forcing politique » de Shinzo Abe a fait passer la question du retour à l’énergie nucléaire au second plan, ce qui n’attire plus l’attention des médias comme en 2012. Le nombre d’adhérents du parti est donc en berne, et il n’est pas possible pour les écologistes d’envisager quoi que ce soit pour les élections de cet été. D’autant qu’ils manquent d’un programme concret.

En effet, selon le spécialiste des mouvements écologistes à l’université Kogakuin, Hajime Ono, « c’est bien d’être contre l’énergie nucléaire, mais pour se présenter aux élections nationales, il faut des projets détaillés et convaincants aussi en matière économique ou vis-à-vis des questions de défense ». Le chercheur spécialiste du parti écologiste allemand, critique donc le manque de programmes concrets chez les verts nippons.

D’autant que le Japon a toujours été un terrain stérile pour les mouvements écologistes. Le monopole du Parti libéral-démocrate sur la vie politique et un système électoral favorisant les grands partis, ont étouffé les germes des partis verts dans le passé. « Dans l’état actuel des choses, il serait important et plus efficace de continuer à militer en tant que mouvement pour peser dans les débats et influencer de plus grands partis », poursuit le chercheur. Selon lui, si espoir il y a pour cet été, ce serait en réalité grâce à Shinzo Abe ! Son « forcing » pour la modification de la Constitution ouvre en effet un front commun aux dirigeants de tous les partis d’opposition.

C’est une « situation particulière » pour Ono, à tel point que le dirigeant du Parti communiste est allé jusqu’à serrer la main avec un député du Parti néolibéral. Les écologistes figurent parmi eux, histoire de ne pas rater cette chance et pourquoi pas de pouvoir attirer les sympathisants communistes et sociaux-démocrates. Reste à savoir si cette coalition tiendra après l’élection. Difficile à deviner en l’état actuel des choses, surtout avec de telles différences idéologiques qui pourraient s’envenimer à n’importe quel moment.

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A propos de l'auteur
Yuta Yagishita, journaliste indépendant basé à Tokyo est un spécialiste des questions environnementales et politiques au Japon. Formé à l'ESJ Lille, cet admirateur de Hannah Arendt essaie d'être l'observateur le plus impartial de son pays natal qui ne cesse de vieillir. Il collabore notamment avec la revue ZOOM Japon.
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