Economie
Analyse

Toto, le géant industriel des toilettes japonaises qui veut conquérir le monde

Une employée de la compagnie japonaise Daiwa House teste le boîtier électronique des "toilettes intelligentes" fabriquées par la marque nippone Toto
Une employée de la compagnie japonaise Daiwa House teste le boîtier électronique des "toilettes intelligentes" fabriquées par la marque nippone Toto, lors d'un showroom à Tokyo le 19 août 2010. (Crédits : AFP PHOTO/Kazuhiro NOGI)
Si les toilettes version nippone sont une image d’Epinal du Japon moderne, elles représentent pourtant un vrai secteur économique. Toto, le leader du marché, est même un authentique fleuron de l’industrie japonaise. La firme au logo bleu est partie à la conquête des petits coins en Occident comme en Chine.

Contexte

Toto est, et de très loin, le leader du marché japonais des toilettes commandées, mais aussi des systèmes d’évacuation de ce type d’installation.. L’entreprise règne en effet sur deux tiers du marché national. Son produit phare, le « Washlet », le système de commande des toilettes et de ses appareils d’hygiène intime, représente 50% de son chiffre d’affaires au Japon. Sur l’exercice mars 2014/mars 2015, le chiffre d’affaires s’est élevé à 573 milliards de yens (4,56 milliards d’euros). Une année exceptionnelle, due notamment à des dépenses anticipées avant une hausse de la TVA.

Une firme de 26 800 salariés

Au Japon, elles sont partout, de la plus basique à la plus complexe, faisant à la fois le bonheur des émissions consacrées aux bizarreries nippones, et l’inquiétude des touristes. Les toilettes japonaises commandées sont devenues en quelques décennies un cliché du Japanese way of life. Elles peuvent susciter aussi bien la moquerie que l’admiration. Pourtant, elles n’ont rien de folkloriques en soi, et si ce système s’est répandu au Japon, c’est grâce à une entreprise qui, à défaut d’avoir l’aura de Toyota, Panasonic ou Sony, n’en demeure pas moins un fleuron du capitalisme japonais.

Car derrière ces toilettes qui font sourire l’étranger, se cache Toto (tōyō tōki, soit « porcelaine orientale » en français), une entreprise qui emploie 26 800 personnes. « Se cache » n’est d’ailleurs pas tout à fait le mot exact. Si vous êtes un homme, allez dans des toilettes collectives dans n’importe quel lieu public du Japon, installez-vous devant l’urinoir et vous verrez le discret mais inévitable logo bleu de la marque, judicieusement placé à hauteur du regard.

Impénétrable Occident

S’intéresser à la stratégie de développement de Toto dans un marché déjà mature pour les toilettes basiques, c’est se rapprocher de questions stratégiques sur lesquelles la firme de Kitakyushu (île de Kyushu dans le sud du pays) reste discrète, attendant de se dévoiler. Car c’est un fait, le rêve de Toto, c’est bien de conquérir le monde avec ses toilettes made in Japan. Et l’entreprise en a les moyens. Sauf que l’on ne pas vend des lieux d’aisance comme on vend des écrans plats, et Toto a du mal à imposer ses produits en Occident.

De prime abord, on pense que la cause est culturelle : ce n’est pas tout à fait vrai. En 2017, Toto fêtera le centenaire de son existence ; or, la firme au logo bleu n’a guère produit autre chose pendant des décennies que des « toilettes traditionnelles » qui ressemblent plutôt à ce que nous appelons des toilettes « à la turque ». Soit un dispositif assez minimaliste. Et qui, contrairement à l’idée reçue, est encore assez répandu au Japon, bien plus qu’en France. Les WC à commandes électroniques ne datent en fait que des années 1980, alors que le Japon avait déjà achevé sa transition industrielle et allait, lentement mais sûrement, rentrer dans le rang au niveau économique.

Les dirigeants de Toto ont su comprendre l’importance de la propreté chez les Japonais. Un exemple étymologique pour bien comprendre l’obsession nippone de l’hygiène tient même dans un seul mot : kirei (綺麗), un adjectif très courant qui a deux significations : propre et… beau ! Voilà qui en dit long. Mais Toto a su jouer de cet aspect et l’a largement exploité en développant toute une culture autour de son offre de toilettes, à tel point que les Japonais ont fini par s’approprier, parfois un peu artificiellement, un objet qui, il y a trente ans, n’avait rien d’un indispensable de la vie quotidienne. Pour développer une sorte de « culte » autour de ses toilettes, Toto a même ouvert, pour préparer son centenaire, un musée dédié à ses produits dans la ville de Kitakyushu à l’automne 2015. Et on est loin du showroom insipide : Toto a mis sur la table 53 millions d’euros pour concevoir l’établissement qui retrace cent ans de toilettes en présentant plusieurs milliers de pièces. Inutile de préciser que le musée n’a rien d’une exposition à prendre au second degré.

Oui mais voilà, la recette ne prend pas en Europe et en Amérique du Nord, où le marché se résume à des hôtels de luxe et à des expatriés japonais qui ne peuvent plus se passer des charmes du « Washlet ». Au grand dam de Toto, qui y voit surtout une explication liée à la structure du marché. « Le problème en Europe, c’est que le marché est très éclaté entre les différents segments de produits qui composent des toilettes. Ce ne sont pas les mêmes entreprises qui font les cuvettes, la plomberie ou les robinets. Il est donc difficile de développer une notoriété de marque, explique un porte-parole de Toto à Asialyst. Mais nous comptons malgré tout nous imposer sur ce marché. Nous allons donc proposer notre savoir-faire dans les systèmes d’économiseurs d’eau et les produits anti-bactériens. Je peux même vous annoncer que vous verrez prochainement le logo de Toto dans les toilettes publiques françaises. » Certes, mais de l’anti-bactérien au culte de la cuvette technologique, le chemin promet d’être encore long.

L’avenir ? La Chine et les seniors

Toto pourrait donc se tourner vers d’autres gisements de croissance. A commencer par l’Asie du Sud-Est. La classe moyenne émergente s’intéresse de plus en plus à son hygiène et à son confort aux toilettes. Et face à une offre locale défaillante, Toto et sa solution « globale » espèrent rafler la mise. « Nous avons déjà installé des usines dans des secteurs perçus comme à très forte croissance comme l’Inde, le Vietnam et la Thailande. Et nous avons déjà obtenu de très belles performances côté croissance. » Combien ? Impossible d’en savoir plus. Si le secteur est porteur, il est aussi sensible. Mais l’objectif le plus prometteur, c’est la Chine. Toto est d’ailleurs présent dans le pays depuis 1979 et se positionne sur les produits haut de gamme à destination de la nouvelle classe aisée chinoise. Le « Washlet » de base, le produit mythique, ne représente que 20% du marché. Une stratégie qui permet à Toto de réaliser 20% de marge sur le secteur chinois contre seulement 5% au Japon. Le géant nippon des toilettes espère même que la Chine représentera 40% de son résultat pour le présent exercice. Autrement dit, l’activité sur le sol japonais, la rentabilité sur le marché chinois.

A court terme, c’est donc bien sur le Japon que les « céramiques orientales » continueront de trouver le gros de leurs débouchés. Toto anticipe d’ailleurs les changements profonds de la démographie japonaise qui pousse l’entreprise à redéfinir son offre. « Comme la société devient plus âgée, il va y avoir un déclin du nombre de nouvelles constructions de maisons, donc une baisse des besoins classiques. Par contre, nous pensons que les établissements médicalisés vont voir leur demande s’accroître. Nous préparons des produits qui répondront à cette demande. » Un exemple : le « Bed-side Toilet », un gros bloc servant de cuvette transportable avec un système de pompe qui se raccorde au réseau d’évacuation. L’intérêt ? Pouvoir être placé à côté d’un lit et offrir une ergonomie telle qu’une personne alitée n’aura que peu de gestes à accomplir pour se positionner sur la cuvette. Beaucoup moins glamour donc que l’objectif visé sur les marchés internationaux. Mais beaucoup plus facile à appréhender pour Toto qui, à l’image de nombreuses entreprises de produits manufacturés au Japon, comprend mieux les attentes de ses seniors que du monde occidental.

Par Damien Durand

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A propos de l'auteur
Journaliste, Damien Durand travaille principalement sur des questions économiques, sociales et politiques au Japon et dans le reste de l'Asie de l'Est. Après avoir été correspondant en France pour le quotidien japonais Mainichi Shimbun, il a collaboré depuis pour Le Figaro, Slate, Atlantico, Valeurs Actuelles et France-Soir. Il a également réalisé "A l'ombre du Soleil Levant", un documentaire sur les sans domicile fixe au Japon. Il a reçu le prix Robert Guillain Reporter au Japon en 2015. Pour le suivre sur Twitter : @DDurand17