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Lutte contre les chauffards âgés : le Japon met la gomme

Agent de régulation du trafic routier au Japon,
Agent de régulation du traffic routier au Japon, le 20 avril 2012. (Crédits : VOISIN / Phanie / via AFP)
Le 8 janvier 2016, l’empereur du Japon, 82 ans, a renouvelé son permis de conduire. En matière de sécurité routière, tout le monde est logé à la même enseigne. Pour avoir le droit de se remettre au volant de sa Honda de 1991, il a dû suivre une formation pour personnes âgées. Pour la quatrième… et dernière fois, a-t-il décidé. Sage décision, que les vieillards nippons ont parfois du mal à prendre.
Si l’Archipel lutte depuis des décennies contre les accidents de la route, la situation évolue avec le vieillissement de la population. Quelles sont les mesures prises pour limiter les accidents de la circulation, dans ce pays où plus du quart de la population a aujourd’hui plus de 65 ans ?

Contexte

Suite à la croissance économique des années 1950 et 1960, le nombre de victimes d’accidents de la route a atteint un pic en 1970, avec près d’un million de blessés et 16 765 morts. Cette même année, le gouvernement a fait adopter une loi relative à la sécurité routière et pris diverses mesures. Après une première baisse suivie d’une nouvelle hausse dans les années 1990, le nombre de victimes d’accidents de la route n’a cessé de diminuer depuis le début des années 2000, passant sous la barre des 5 000 morts en 2009. Mais contrairement à cette tendance générale, la part des personnes âgées qui succombent à un accident de la route augmente ces dernières années, atteignant 54,6 % en 2015 selon les données de l’Agence centrale de police.

Une forte législation

Le Japon a adopté une série de lois pour réduire les principaux facteurs de risques. Ne pas porter de casque devient une infraction en 1975 pour les motards et en 1986 pour les cyclomotoristes. Au milieu des années 1980, c’est au tour de la ceinture de sécurité d’être désormais obligatoire.

Autre cause importante des accidents : l’alcool. Les amendements de 2002 et 2007 ont considérablement renforcé les peines encourues pour conduite en état d’ivresse. Le premier a également diminué l’alcoolémie autorisée à 0,3 g/l, seuil atteint avec un verre d’alcool pour les personnes âgées ou minces. Ces mesures, associées à des campagnes de sensibilisation, se révèlent efficaces : le nombre d’accidents mortels dus à l’alcool est passé de 1 276 en 2000 à 305 en 2008 puis à 203 en 2015.

En revanche, le Japon peut paraître moins sévère vis-à-vis d’autres facteurs. La limite de vitesse pour les particuliers, bien que fixée à 100 km/h sur les voies rapides, atteint 60 km/h sur les autres routes, y compris dans les agglomérations. Même s’il existe des zones à 30 km/h en ville, cette réglementation est donc supérieure à la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (50 km/h). Mais la part des excès de vitesse reste faible parmi les infractions constatées lors de collisions fatales. Ce sont les conduites dangereuses et le manque d’attention qui en sont le plus souvent la cause.

Objectif non atteint en 2015

Dans le cadre de la loi de 1970, des programmes quinquennaux de sécurité routière se sont succédé pour mettre en œuvre des contre-mesures. Le 9e du nom, qui courait de 2011 à 2015, visait à réduire le nombre de victimes d’accidents de la route à moins de 3 000 par an. Or la police japonaise en a recensé 4 113 en 2014 et 4 117 en 2015 – première hausse en quinze ans. Cet objectif manqué est-il en lien avec l’augmentation de la part de la population âgée ?

« On a tendance à considérer que les personnes âgées causent plus d’accidents de la route, mais en réalité les jeunes sont davantage impliqués », indique Masao Ichikawa, professeur à la faculté de médecine de l’université de Tsukuba, interrogé par Asialyst. En revanche, les hommes de plus de 70 ans et les femmes de plus de 60 ans causent plus d’accidents graves que les automobilistes des autres tranches d’âges. Les conducteurs de plus de 85 ans sont par exemple deux fois plus impliqués que ceux de moins de 20 ans dans des collisions entraînant un traumatisme, mortel ou non.

Renouvellement de permis obligatoire

Les titulaires du permis de conduire doivent le renouveler tous les 3 à 5 ans, en fonction de leur âge et de leur implication dans des accidents de la route. La procédure comprend obligatoirement un test de la vision ainsi qu’un cours sur la sécurité routière d’au moins trente minutes. « Les automobilistes de 70 ans et plus doivent suivre une leçon pour personnes âgées, et ceux de 75 ans et plus un examen de faculté cognitive », explique Masao Ichikawa. Lors de ce test, le permis est retiré aux personnes chez qui a été diagnostiquée une démence sénile. Ce fut le cas pour 60 personnes en 2015 à Tokyo, selon la police métropolitaine, un chiffre en hausse.

« Mais ces mesures ne semblent pas être efficaces », confie le professeur Ichikawa. Il serait préférable d’identifier les automobilistes à risque et de vérifier s’ils sont capables de prendre le volant. La police a ainsi commencé à inciter les proches de conducteurs âgés à prévenir les autorités en cas de suspicion de démence. Ce qui n’est pas toujours facile.

Signalement des conducteurs âgés

Alors que le signalement des conducteurs séniors n’en est qu’à ses balbutiements en France, dans l’Archipel nippon, les automobilistes âgés doivent mettre un autocollant à l’arrière de leur véhicule depuis 1997. D’abord en forme de goutte aux couleurs automnales, il a été remplacé en février 2011 suite à la grogne des personnes âgées, qui voyaient dans cette « feuille morte » un symbole du déclin. L’autocollant représente désormais un trèfle à quatre couleurs, bien plus vivant.

« La présence du signe pour personnes âgées est obligatoire, mais il n’y a pas de pénalité », indique toutefois Masao Ichikawa. En revanche, gare aux autres conducteurs qui feraient une queue de poisson à un automobiliste âgé ! Ils encourent jusqu’à 400 euros d’amende.

Un essai randomisé contrôlé (ERC) est un type d’étude scientifique utilisé en médecine et plus récemment en sciences sociales (économie). Les sujets de l’étude y sont aléatoirement répartis (randomisation) parmi les groupes correspondants à chaque approche thérapeutique testée. Les sujets, les thérapeutes et les évaluateurs sont dans la mesure du possible en aveugle (on dit aussi en insu), c’est-à-dire qu’ils ne savent pas dans quel groupe est le patient. Ceci permet que la seule variable qui soit différente entre les groupes soit le traitement.
Quelle est l’efficacité de ce dispositif ? « L’effet de ce signalement sur la réduction des accidents n’apparaît pas dans les statistiques, répond le professeur. Le point faible des actions contre les accidents de la circulation au Japon, c’est qu’on prend des mesures dans tout le pays sans vérifier leur effet, par exemple par essai randomisé contrôlé*. La politique en matière de circulation est encore différente de la politique médicale, au Japon. »

Véhicules automatisés : une solution ?

Voitures et taxis à conduite automatisée, les entreprises nippones comme Toyota, Nissan et DeNA s’y attèlent. Des véhicules intelligents, bardés de capteurs et d’un radar, pourraient rouler de manière autonome dès cette année sur certaines routes de l’Archipel, et d’ici 2020 sur l’ensemble du réseau routier, y compris en ville.
« Les voitures à conduite automatisée seront bienvenues pour les personnes âgées qui n’ont pas confiance en elles pour rouler sûrement, particulièrement en raison de l’absence de transports publics à la campagne, estime Masao Ichikawa. En outre, le taux de mortalité des piétons âgés étant très important au Japon, si ces voitures peuvent éviter les collisions, cela pourrait conduire à protéger les passants. Cependant, je ne peux pas juger à quel point les voitures à conduite automatisée seront sûres. Cela dépendra des ingénieurs. »
Ils vont en effet devoir redoubler d’effort. Fin février, une Google Car sans conducteur a percuté un bus aux États-Unis. Reste donc à améliorer la sécurité et lever le doute sur les responsabilités légales en cas d’accident. Sans compter l’aspect économique. Autant dire que les voitures sans conducteurs ne devraient pas être, dans les toutes prochaines années, une solution miracle pour améliorer la sécurité routière.

En attendant, comme l’a rappelé le directeur de la Commission nationale de la sûreté publique début janvier, le gouvernement japonais vise à « créer la circulation routière la plus sûre du monde ». La police l’a promis : dans le cadre du prochain programme quinquennal, le paquet sera mis pour « assurer la sécurité des personnes âgées et des piétons. »

Par Jean-François Heimburger

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A propos de l'auteur
Jean-François Heimburger est journaliste indépendant et chercheur associé au CRESAT (laboratoire de l’Université de Haute-Alsace). Spécialiste du Japon, il est auteur de l’ouvrage "Le Japon face aux catastrophes naturelles" (ISTE Éditions, 2018).