Société
Reportage

Mascottes japonaises : le pouvoir des ambassadeurs poilus

Produits Funasshî vendus dans un magasin spécialisé à Osaka.
Produits Funasshî vendus dans un magasin spécialisé à Osaka. (Crédit : Jean-François Heimburger).
Telles les divinités du foyer sous la Rome antique, les mascottes sont partout au Japon. Alors que la préfecture de Kumamoto vient d’être frappée par une série de séismes meurtriers et destructeurs, Kumamon, sa mascotte officielle, n’a pas tardé à jouer un rôle dans le rétablissement de cette région du sud-ouest de l’Archipel. De nombreux dessinateurs ont pris leurs crayons pour représenter ce gros ours noir aux joues rouges en train de réconforter les sinistrés.
Kumamon, qui a fêté ses cinq ans en mars dernier, fait partie de la grande famille des yurukyara, littéralement « personnages populaires mous ». Adulés par les Japonais, ils occupent une place de choix dans le développement des villes et des régions, mais pas seulement. Rencontre avec ces drôles de personnages.
Avant les yurukyara (« personnages populaires mous »), les kyarakutâ (« personnages populaires ») tels que la chatte Kitty ou l’ours brun Rirakkuma ont remporté un grand succès. « Les personnages commerciaux comme Kitty ont des caractères bien précis : on connaît leur date d’anniversaire, leur poids, leur taille, leur situation familiale », explique Yasuko Koshikawa, chargée de cours titulaire à la faculté de management de l’université Mejiro. Ce qui n’est pas toujours le cas pour les yurukyara. Surtout, ces derniers sont nés pour soutenir une région du Japon, et non dans une intention lucrative comme les kyarakutâ.

Contexte

Le concept de yurukyara a été inventé par l’illustrateur japonais Jun Miura au début des années 2000. Si le phénomène s’est développé à partir de 2003, le premier personnage célèbre, le chat casqué Hikonyan, est apparu en 2007 dans le cadre de la commémoration du 400e anniversaire de la construction du château de Hikone, au centre du Japon. D’autres ont suivi, tels l’ours noir Kumamon en 2011, symbole du département de Kumamoto dans le sud-ouest du pays, et la poire jaune Funasshî en 2012, mascotte non officielle de la ville de Funabashi dans les environs de Tokyo.

Kumamon, mascotte officielle de Kumamoto

Galerie marchande dans la ville de Kumamoto.
Galerie marchande dans la ville de Kumamoto. (Crédit : Jean-François Heimburger).
Kumamon en est un bel exemple. Créé par le département de Kumamoto, il est né le 12 mars 2011 lors de l’achèvement de la ligne à grande vitesse de Kyûshû, au sud-ouest du pays. « Le président du département m’a sélectionné comme directeur des affaires et du bonheur de Kumamoto, donc je suis de plus en plus enthousiaste », déclare-t-il – par écrit, car il ne parle pas. « Je fais des voyages d’affaires à Kumamoto, mais aussi dans les grandes régions d’Osaka et de Tokyo, pour faire connaître chaleureusement les délicieuses spécialités et la grande nature de mon département », ajoute-t-il.

Sur le plan économique, Kumamon est plus rentable que ses compères. La raison : contrairement aux autres yurukyara, le droit d’utiliser son image, accordé par le département de Kumamoto, est gratuit. Pour l’obtenir, il suffit de faire une demande au département. Il faut aussi que les produits dérivés concernent la région. Résultat : « les grands magasins qui vendent les produits dérivés, comme Tokyu Hands, organisent également des événements avec la présence de Kumamon », indique Yasuko Koshikawa. Selon la Banque du Japon, les retombées économiques pour la préfecture de Kumamoto, de novembre 2011 à octobre 2013, ont atteint 124 milliards de yens (environ 900 millions d’euros).

Figurines Kumamon en cendres volcaniques, uniquement disponibles à proximité du sommet du mont Aso.
Figurines Kumamon en cendres volcaniques, uniquement disponibles à proximité du sommet du mont Aso. (Crédit : Jean-François Heimburger).
Dans l’un des hôtels de la ville de Kumamoto, nous avons rencontré l’ours noir aux joues rouges à tous les étages. Et dans chacune des chambres, pas moins de… 24 Kumamon attendent les clients de passage ! La figure de l’ursidé est représentée sur les couettes, les oreillers, les coussins, les tasses et même sur les rideaux de douche.
Le personnage a étendu sa popularité à l’ensemble du département, si bien que certains produits sont aujourd’hui difficilement accessibles. Pour obtenir une petite figurine Kumamon en cendres volcaniques, par exemple, il n’y a pas d’autres solutions que de se rendre à la station de télécabines menant au cratère du volcan Aso (1 592 m). Sur le chemin, dans le train à moteur diesel pour la ville d’Aso, le voyageur peut déguster un panier-repas vendu en gare, à l’effigie de… la mascotte départementale bien sûr.

« Jus de poire, pwaaah !  » : le phénomène Funasshî

« Avant Funasshî, aucun yurukyara ne prononçait quelque chose comme : nashijiru busshaa ! (jus de poire pwaah !) »
Si la première génération de yurukyara, en général, est muette et marche maladroitement, depuis 2012 un nouveau-né est venu bouleverser le monde des mascottes. Il s’agit de l’hyperactif Funasshî, qui n’a pas sa langue dans la poche. « Il parle de manière amusante et bouge sans arrêt, ce qui le différencie des autres et attire le grand public », explique Yasuko Koshikawa. « Avant Funasshî, aucun yurukyara ne prononçait quelque chose comme : nashijiru busshaa ! (jus de poire pwaah !) », précise-t-elle.
Peluche Funasshî.
Peluche Funasshî. (Crédit :Jean-François Heimburger).
Cet admirateur de Deep Purple et Ozzy Osbourne est aussi hyperconnecté : plus de 1,4 million de personnes le suivent sur le réseau social Twitter. « Il est si libre et imprévu que je ne peux pas le quitter des yeux », confie une habitante d’Osaka, fan de Funasshî.  » Il est tellement énergique et il en fait tellement trop, que cela m’incite à l’encourager », poursuit-elle. Nul doute que cette admiratrice fera partie des milliers de spectateurs attendus au Nippon Budokan à Tokyo ou à l’Osaka Castle Hall en août prochain, où la mascotte jaune devrait chanter et danser pendant près d’une heure et demie. Une performance, dans la chaleur humide de l’été japonais !

De l’utilité des yurukyara

Le rôle de ces mascottes dépasse le divertissement au Japon. Il va même plus loin que le développement local. Car oui, les mascottes peuvent contribuer à sauver des vies ! En 2015, la section de prévention des désastres du bureau du Cabinet a sélectionné cinq yurukyara dans le cadre de la journée de prévention des tsunamis, célébrée le 5 novembre.
Parmi eux, Kumamon et Funasshî. Leur pose originale, jambes écartées et poing droit pointé vers le ciel, rappelle aux citoyens la nécessité de se réfugier en quelques enjambées dans un lieu en hauteur en cas d’alerte au tsunami.
La pose des cinq mascottes doit rappeler aux habitants la nécessité d'évacuer en cas de tsunami. (Capture d'écran d'une vidéo diffusée sur Youtube par le bureau du Cabinet).
La pose des cinq mascottes doit rappeler aux habitants la nécessité d'évacuer en cas de tsunami. (Capture d'écran d'une vidéo diffusée sur Youtube par le bureau du Cabinet).
Plus de 1000 yurukyara locaux et 600 yurukyara d’entreprises s’étaient inscrits pour l’édition 2015 du grand concours de mascottes, créé en 2011 pour stimuler le pays, les collectivités et les sociétés privées. Mais ces personnages sont en réalité bien plus nombreux. Pourquoi un tel engouement ? « En raison du sur-dépeuplement et du vieillissement de la population, le montant des impôts locaux baisse et, pour résoudre ce problème, les collectivités locales créent des yurukyara », explique Yasuko Koshikawa. L’intention est d’attirer du monde et de développer l’économie locale.

Au vu des coûts engendrés pour leur entretien et pour l’organisation des manifestations, le jeu en vaut-il la chandelle ? Selon Yasuko Koshikawa : « les collectivités locales qui ont commencé avant les autres deviennent plus connues et parviennent à faire la différence ». C’est le cas de Kumamon ou d’Hikonyan, qui représentent bien leur région, en l’occurrence le département de Kumamoto pour le premier et la ville de Hikone pour le second. « Mais récemment, les yurukyara sont devenus trop nombreux pour une même collectivité et ce lien évident est difficile à saisir pour les personnes non originaires de la région en question », confie cette enseignante à la faculté de management de l’université Mejiro.
En 2015, par exemple, plus d’une dizaine de yurukyara représentaient le département de Kanagawa, au sud de Tokyo. De quoi s’emmêler les peluches…

Par Jean-François Heimburger

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A propos de l'auteur
Jean-François Heimburger est journaliste indépendant et chercheur associé au CRESAT (laboratoire de l’Université de Haute-Alsace). Spécialiste du Japon, il est auteur de l’ouvrage "Le Japon face aux catastrophes naturelles" (ISTE Éditions, 2018).