Culture
Expert - Art en Inde

 

Daata Editions et l'art de demain

L'artiste Jesper Just et le commissaire américain David Gryn en pleine discussion lors de la foire Art Basel Miami Beach 2012.
L'artiste Jesper Just (à gauche) et le commissaire américain David Gryn (à droite) en pleine discussion lors de la foire Art Basel Miami Beach 2012. (Crédit : Mike Coppola / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP )
La dernière conférence du New York Times Art for Tomorrow s’est tenue à Doha (Qatar) en mars dernier.
Le thème choisi pour 2016 n’est pas banal, même à Doha, une ville qui se projette sans complexe dans le XXIème siècle : Technology, Creativity and the City. Des intervenants prestigieux du monde des arts et au delà du monde de l’urbanisme ont échangé idées et arguments avec passion, parfois confusion.
Parmi elles, Charles Landry, HE Sheikha Al Mayassa, Wim Pijbes, Aric Chen, Jean Nouvel, David Gryn, Jeff Koons, Marina Abramovic et plusieurs dizaines d’autres.

J’ai particulièrement apprécié les débats sur l’art et l’internet, qu’il s’agisse d’accès, d’appréciation ou de modalité de vente.
Les partisans de l’art qu’on doit voir « en vrai » et ceux de l’art qu’on peut voir sur un écran se sont affrontés avec diplomatie pour aboutir à un dialogue du type anciens contre modernes.

Je crois que ce débat est persistant dans un monde où les technologies ne cessent d’évoluer.
Je crois aussi qu’il est inutile.
Il y aura toujours des amateurs de musées réels et des amateurs de musées virtuels.
Il y aura sans doute d’autres formes de « lieux » d’expositions dans les années à venir.
Et surtout, il y a déjà et il y aura encore de nouvelles formes d’art, des formes que les artistes inventent en fonction des technologies disponibles.

Je crois que le débat doit s’ouvrir à ces nouvelles formes d’art.
Par exemple, un son. Comment le fait-on entendre ? Dans le circuit des galeries ? Pas facile ! Quel prix attribuer à un son ? Comment l’artiste développeur de son peut-il vivre de son œuvre ? Comment distribuer un son ? Comment stocker un son ? On peut se poser les mêmes questions pour une succession d’images animées de 3 secondes par exemple. Ou encore, une vidéo de 1.5 minute.

L’initiative de David Gryn, un commissaire américain (le créateur de Film à Art Basel Miami Beach depuis 2011), spécialiste d’images animées, m’est apparue à cet égard remarquable.
Gryn a créé l’an dernier Daata Editions, une plateforme internet dédiée aux images animées, aux sons et aux courtes vidéos. Depuis plusieurs années, il se demandait comment promouvoir et développer un public pour les artistes qui produisent des images animées et des sons que l’on trouve parfois gratuitement sur internet sur les sites des artistes, et plus généralement nulle part excepté dans quelques musées ou des collections très spécialisés.

Sur ses propres fonds et initialement soutenu (grâce à la pratique du seed funding) par la collectionneuse et philanthrope Anita Zabludowicz, Gryn a conçu un site internet pour distribuer des images animées et des sons.
Son point de départ : comment aider ces artistes qui utilisent des supports multimédia que l’on n’expose pas dans les galeries et en conséquence qui sont peu vendus.
S’ils sont peu vendus, ils sont peu connus et n’ont donc aucune chance d’accéder à un large public.

Gryn propose en ligne des « saisons » qu’il commissionne à des artistes qu’il connaît personnellement ou qui lui sont recommandés.
Il fait son travail de commissaire et sélectionne quelques artistes. Il produit l’œuvre de l’artiste et l’achète.
Il propose ensuite de vendre sur la plateforme internet une édition de 15 en général. Pour chaque vente, l’artiste touche une royaltie.

La première « saison » a présenté le travail de 18 artistes, spécialement conçu pour être vendu sur la plateforme.
A peu près 300 œuvres ont été vendues en ligne à un peu de moins de 100 clients.
Le prix d’une œuvre varie de quelques centaines à quelques milliers de dollars.

Le site n’est pas une galerie en ligne mais une plateforme de distribution.
Chaque artiste est montré de la même façon. Personne n’est mis en avant.
L’acheteur potentiel doit faire un choix parmi les artistes de la saison en cours. Il doit être actif et exercer son sens critique pour passer à l’acte d’achat.
L’acheteur doit trouver les images, le son ou la vidéo qu’il veut, qu’il recherche ou tout simplement qui l’interpellera.
Au bout du compte, il se retrouvera avec un fichier sur son ordinateur qu’il appréciera seul, qu’il partagera avec des amis, qu’il mettra peut-être en scène chez lui.

Gryn n’a pas l’intention d’attirer sur la plateforme les fonds d’investissement qui font et défont les cotes des artistes contemporains.
Il partage naïvement avec d’autres collectionneurs ce qu’il trouve bon et intéressant, parfois avec l’aide d’autres experts ou amateurs de son entourage. Gryn construit un écosystème pour soutenir de nouvelles formes d’art immatérielles.
Pour le moment, Dataa Editions est une petite start-up qui emploie une personne à mi-temps.
Compte tenu de l’évolution constante des formes d’art et des technologies pour les réaliser, je peux aisément imaginer que la petite start-up deviendra grande.

En fait, le succès de l’entreprise de David Gryn a peu d’importance.
Il ouvre une réflexion sur la distribution des œuvres d’art, matérielles et immatérielles. Il nous propose d’imaginer de nouvelles voies, de nouveaux écosystèmes pour soutenir la création.
Les conversations de Doha ont porté davantage sur les lieux et les infrastructures pour accueillir la création.
Peut-être que l’an prochain, pourraient- elles porter sur les nouvelles formes d’art dans la citée et les nouveaux écosystèmes pour les encourager ?

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A propos de l'auteur
Diplomé de l’EDHEC, Franck rejoint d’abord le corps diplomatique comme attaché commercial auprès de l’ambassade de France de Bombay en 1993. Il a depuis quitté la diplomatie pour le monde des affaires mais il n’a jamais perdu sa passion pour l’Inde ; passion qui l’a conduit a développer un nouveau modèle de développement pour les ONG indiennes. L’art n’étant jamais très loin, il est depuis 2009, consultant et découvreur de talents artistiques pour collectionneurs.
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