Thaïlande : comment la junte militarise le pays
Contexte
Les militaires agissant dans le cadre de ce décret auront les pouvoirs de perquisition, d’arrestation et de détention, sans mandat du tribunal. Ils pourront saisir les biens et geler les transactions financières de personnes jugées suspectes, là encore sans devoir se justifier. Qui plus est, leurs actions ne pourront pas être attaquées devant les tribunaux administratifs « si les officiers agissent de manière honnête ».
Ce décret, qui a fait hurler les organisations de protection des droits de l’homme et a suscité l’inquiétude du Département d’Etat américain, n’est que l’étape la plus audacieuse d’un phénomène qui a commencé dès après le putsch qui a renversé le gouvernement élu de Yingluck Shinawatra.
Dans la deuxième partie de 2014, les militaires se sont mis à patrouiller les rues et les ruelles de Bangkok, surveillant de près les groupes de moto taxis à l’embouchure des ruelles, lesquels avaient joué un rôle-clé comme messagers et espions lors des manifestations des Chemises rouges en 2010. Interrogés à l’époque par Asialyst, des moto taxis avaient fait part de leur exaspération, devant « la volonté des militaires de les contrôler et de leur dicter des règles ».
Aujourd’hui, ce tour de vis s’étend à d’autres secteurs et d’autres professions.
Surveiller et prévenir tout risque de contestation
Ce à quoi l’on assiste ressemble plutôt à une « militarisation » en profondeur de la société, une volonté de transformer durablement un pays, qui a toujours été assez libre au niveau de la vie quotidienne malgré le carcan moral et répressif imposé par les élites conservatrices, en une société de petits soldats, prêts à obéir le doigt sur la couture du pantalon.
Dans l’administration pénitentiaire, le phénomène est encore plus prégnant. « Le matin, les détenus de la prison de sécurité maximum de Bang Khwang doivent chanter le chant des 12 valeurs de Prayuth. Puis, ils ont plusieurs heures d’exercice militaire organisé par des soldats », indique à Asialyst, Danthong Breen, conseiller auprès de l’ONG Union for Civil Liberties. Le général Prayuth Chan-ocha est le chef de la junte et le Premier ministre.
Ces derniers mois, alors que la Thaïlande est frappée par la plus grave sécheresse que le pays ait connu depuis deux décennies, des groupes des militaires surveillent les abords des canaux d’irrigation afin d’empêcher les paysans de pomper l’eau pour leurs rizières et leurs champs. La vue de ces hommes en uniforme est devenue banale, et peu y prêtent désormais attention.
Beaucoup d’analystes estiment que la Thaïlande traverse une simple période de « régime militaire », après laquelle un retour progressif à un système plus ou moins démocratique va intervenir. Mais, en observant les choses au niveau du terrain, ce à quoi l’on assiste ressemble plutôt à une « militarisation » en profondeur de la société, une volonté de transformer durablement un pays, qui a toujours été assez libre dans la vie quotidienne malgré le carcan moral et répressif imposé par les élites conservatrices, en une société de petits soldats, prêts à obéir le doigt sur la couture du pantalon.
Peur à tous les étages et modification de la Constitution
Le « pays des hommes libres » est devenu le pays des hommes enchaînés.
Les grandes maisons de production de séries télévisées collaborent avec enthousiasme avec le régime militaire. De plus en plus de feuilletons, montrant les touchantes intrigues amoureuses d’hommes et femmes en uniforme camouflage envahissent les écrans, dans le but apparent d’adoucir l’image rugueuse donnée à l’armée par le bouillant Prayuth. Le chef de la junte lui-même a vanté les mérites de la série sud-coréenne « Descendants du soleil », qui raconte les tribulations de jeunes militaires de la péninsule, incitant les Thaïlandais à regarder, comme lui, la série tous les mercredis, jeudis et vendredis, car elle « inculque le sens du patriotisme, du sacrifice et de l’obéissance ».
Le projet de Constitution qui, par le truchement d’un sénat à la botte des militaires et éventuellement doté du pouvoir – de concert avec la chambre des représentants – de décider qui occuperait le poste de Premier ministre, revient à instaurer un régime militaire permanent à façade civile. Il est l’outil juridique pour inscrire cette militarisation dans la loi.
D’où l’importance du référendum du 7 août prochain sur le projet de Constitution. La junte le sait bien : elle emploie les grands moyens pour que le texte soit accepté, dépêchant des dizaines de milliers de jeunes conscrits pour « expliquer » le projet de charte dans les provinces et interdisant toute campagne pour le « non ». Si effectivement, le projet de Constitution est accepté lors du référendum, il deviendra alors particulièrement difficile de renverser cette militarisation du pays.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don