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Séoul : derrière la K-Pop, les indépendants

Concert de rue dans le quartier de Hongdae à Séoul.
Concert de rue dans le quartier de Hongdae à Séoul. (Copyright : Hye-jeong Paik)

Alors que la K-pop, la musique populaire coréenne, a le monopole de l’industrie musicale en Corée, la scène indépendante se développe à Séoul. Rencontre avec ces artistes d’un autre genre.
Hongdae, quartier des musiciens à Séoul. Il est presque midi ce vendredi, les étudiants de l’université des arts d’Hongik et les salarymen sortent déjeuner dans la fraîcheur coréenne. A quelques pas de la rue principale Yanghwa-ro, un petit immeuble de quelques étages. C’est ici qu’habite Sean Paik, 26 ans. Le jeune homme a l’allure élancée nous accueille dans un studio aux murs bleus d’à peine 15 m². Il partage cet espace où l’on croise un clavier et des guitares ici et là, avec un groupe de musiciens : « D’accord, ce n’est pas glamour, mais c’est bien plus économique. » Réservé, modeste, Sean Paik raconte son histoire, sa passion. Tout commence par un prestigieux concours de chant, remporté il y a quelques années, une victoire qui le conforte dans le désir de vivre de sa musique. Aujourd’hui, c’est chose faite, Sean a sorti à l’automne dernier un mini-album de trois titres qui a très bien marché, comme a très bien marché son premier concert, donné dans un bar de Hongdae plein à craquer, à tel point qu’il enchaîne désormais les shows en ce début de printemps séoulite.

Son style ? Difficile à définir pour lui, mais certains disent qu’il fait de la folk accoustique. « Je raconte avec ma guitare les histoires de ma vie et celles des autres… J’espère que ma musique parle aux gens à un moment précis de leur vie, heureux ou malheureux. » Fan de jazz et de folk, Sean a vécu à l’étranger : en Turquie et en Azerbaïjan. Des expériences enrichissantes qui lui permettent de parler plusieurs langues comme l’anglais. Un véritable atout. Il se souvient alors de cet ami musicien, artiste indépendant également, qui lui dit un jour que parler couramment l’anglais lui donne des airs de chanteur occidental. Ses séjours à l’étranger l’aident aussi pour sa musique. Il porte aujourd’hui un regard différent sur la Corée, avec plus de recul : « Mon passé à l’étranger a changé ma façon de penser, d’écrire mes chansons. Ce que j’ai vu à l’étranger, certains Coréens ne le connaissent pas. Tout cela se reflète dans ma musique. »

Sean Paik, chanteur-guitariste sud-coréen indépendant.
Sean Paik, chanteur-guitariste sud-coréen indépendant. (Copyright : Hye-jeong Paik)
Ce chanteur à la voix d’ange et suave est encore loin de la (sur)médiatisation de certains groupes de K-Pop et d’ailleurs, il ne pense pas en faire partie. La K-Pop est très bien accueillie en France depuis les années 2000, mais Sean est loin de l’image qu’en a l’Hexagone, celle de Psy ou encore du girls-band, Girls Generation. Et même s’il rêve de percer à l’étranger, il ne jalouse pas ses compatriotes aux millions d’albums vendus à travers le monde. Au contraire, selon lui, leur succès pourrait bien lui ouvrir des portes : « Grâce à cette K-Pop, les gens vont maintenant vers la culture coréenne. Ce sont des musiques et des mélodies qui restent dans la tête. Ce sont des looks, ce sont des danses… Et ça, ça peut nous aider, les indépendants. C’est loin d’être négatif. »
Voir le clip de Sean Paik :

La K-Pop, ce n'est pas que les idoles

La K-Pop réunit l’ensemble de la musique populaire coréenne et ses styles musicaux sont très variés : pop, hip-hop, R’N’B… il y en a pour tous les goûts. La K-Pop est souvent associée, notamment en France, aux groupes d’idoles (boys et girls bands) comme les Girls Generation ou Exo, boys-band sud-coréano-chinois pour ne citer qu’eux. Autre grand succès mondial issue de la K-Pop, Psy et son titre Gangnam Style. La vidéo de son clip a dépassé le milliard de vues fin 2012 sur la plate-forme YouTube, un record !

Loin du mainstream coréen pour plus de liberté

Trois labels majeurs de K-Pop existent en Corée : SM Entertainment, JYP et YG. À eux trois, ils génèrent des milliards de bénéfices, c’est le succès assuré. Mais qui dit indépendant, dit travailler sans véritable label. Pour mieux s’éloigner du business et ne se concentrer que sur la musique. C’est le cas du groupe de rock Kasi, qui signifie « épines » en coréen, car Kasi propose un rock pointu aux influences diverses. Son chanteur et leader Jin ho Choi, fan de Bon Jovi, a préféré produire seul son second album intitulé With you. « J’ai ressenti plus de plaisir », nous confie-t-il. Un travail de longue haleine mené dans ses studios baptisés A.gain qui se cachent dans une ruelle de Hongdae.
Voir et écouter le clip de Kasi :
Deux musiciens de la scène indépendante à Séoul : Young Cheol Park, leader du groupe Beautiful Ones, et Jin ho Choi, leader du groupe Kasi.
Deux musiciens de la scène indépendante à Séoul : Young Cheol Park, leader du groupe Beautiful Ones, et Jin ho Choi, leader du groupe Kasi. (Copyright : Hye-jeong Paik)
Young Cheol Park est le guitariste du groupe de métal Beautiful Ones. Look street-wear, casquette customisée de legos Dragon Ball Z vissée sur la tête et tatouages, il est loin du look dit « métalleux ». Peu importe. Sa musique l’habite et il le reconnaît volontiers : son groupe ne fait pas partie du mainstream coréen. « C’est mieux comme ça, car nous jouissons du coup d’une certaine liberté. » Ce groupe de métal influencé par les Américains de Korn et Slipknot, se plaît à évoquer sans tabou plusieurs sujets : la politique coréenne, la société ou plus simplement la vie de tous les jours. Pour tous les musiciens indépendants coréens, cette liberté a un prix : « Financièrement c’est souvent difficile et nous avons beaucoup de responsabilités. »

Internet pour se faire connaitre

Jin ho Choi et Young Cheol Park déplorent également que certains des très en vogue télé-crochets sud-coréens s’intéressent plus au physique ou à la personnalité des candidats qu’à leur talent. En somme, ils ne voient que ce qui peut rapporter de l’argent. Jin ho Choi donne l’exemple de ce groupe dont les problèmes financiers ont été mis en valeur par la production : « Du coup, les gens ont d’abord été intéressés par cela et non par leur musique, c’est dommage. » Toutefois, précise-il, « la télévision coréenne se met petit à petit à la musique Indie, ce qui pourrait présager d’un futur meilleur ». Mark Russel journaliste du Hollywood Reporter et spécialiste de la culture pop coréenne nous le confirme : « La scène Indie coréenne a mis du temps à s’adapter aux nouvelles méthodes d’aujourd’hui (où le CD est moins présent), aux plates-formes Internet, etc. Mais ces artistes se font de plus en plus connaître. A l’heure où nous nous parlons, la chanson n° 1 sur le Melon Chart est celle du groupe 10cm, qui a ses racines dans la scène Indie. » Et d’ajouter : « Vous savez, les Coréens aiment la bonne musique, c’est un peuple très musical et passionné. »

Alors, comment se faire reconnaître et concrétiser l’envie d’être vu ailleurs qu’en Corée ? La réponse est sans appel pour nos deux artistes indépendants : « Internet ! […] La plate-forme Naver permet de présenter notre musique et tous les genres de musique sont à l’écoute. » Naver, leader de l’Internet en Corée, a d’ailleurs lancé une plate-forme spécialement dédiée à la musique Indie : la Musician League (pour découvrir, cliquez ici). De nombreux artistes y mettent en ligne leurs derniers morceaux ou leurs clips.

La musique avant tout, donc, et une envie commune de la partager avec un public au-delà de la Corée : au Japon ou en Chine, pour le plus proche, et en Europe. Pour le leader de Beautiful Ones, « ici en Corée, c’est difficile de vivre de sa musique ; peut-être qu’ailleurs ce serait mieux ». Young Cheol Park, un peu rêveur, pense d’ailleurs à s’installer en France, pays qu’il affectionne particulièrement : « Nous aimerions beaucoup avoir des fans français ! », ajoute-t-il avec un grand sourire.

A Séoul, dans le quartier de Hongdae, repère de la scène musicale indépendante.
A Séoul, dans le quartier de Hongdae, repère de la scène musicale indépendante. (Copyright : Hye-jeong Paik)

Hongdae, repère de la musique indépendante

Les musiciens indépendants de Séoul se plaisent aussi à jouer dans les rues de ce quartier animé qu’est Hongdae. Depuis près de 30 ans, c’est LE repère de la scène indépendante coréenne. Boîtes de nuit, boutiques insolites, street-art, Hongdae ne dort jamais. Venir performer ici ? Une évidence pour ces artistes. Et c’est le long de la rue Eoulmadangro que les musiciens indépendants prennent place et présentent leur musique, même s’il y a quelques années la ville a voulu interdire ces représentations pour cause de nuisances sonores. Hongdae est aussi devenu au fil des ans le lieu de rencontre de la jeunesse coréenne qui aime se réunir autour de ces artistes. Une ambiance particulière règne ici, un brin de folie mélangé à la sérénité de Séoul et la musique qui exalte vos sens… C’est sans doute ça le Hongdae Style.
Par Audrey Ronfaut, à Séoul

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A propos de l'auteur
Audrey Ronfaut est journaliste radio free-lance notamment passionnée par l'Asie et tout particulièrement par le Japon. Elle a travaillé pour plusieurs rédactions en France (Ex AFP audio,Toulouse FM, Groupe Sporever etc). En 2014, elle a effectué le reportage "Osaka Kitchen" sur la cuisine japonaise publié sur Asialyst. Elle se rend tous les ans sur l'archipel depuis 2013 et aussi en Asie du sud-est.
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