Société
Témoin – Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

 

A Taipeï, la colocation comme voie d’avenir ?

L'équipe de Fineighbor, cette application mobile destinée à faciliter la vie des colocataires.
L'équipe de Fineighbor, cette application mobile destinée à faciliter la vie des colocataires. (Crédit : D.R.).
Taïwan a ses Tanguy. Selon une enquête publiée l’an dernier par le magazine local Business Today, près de la moitié des Taïwanais âgés de 25 à 40 ans vivraient chez leurs parents pour échapper aux coûts exorbitants du logement.

Une autre solution qui a le vent en poupe est la colocation. Quand 87% des jeunes adultes interrogés par Business Today disent ne pouvoir consacrer que 10 000 dollars taïwanais (soit 272 €) par mois au maximum au paiement d’un loyer, partager un appartement s’impose pour gagner son indépendance tout en profitant de la capitale ou de sa banlieue proche.

Contexte

En proportion du revenu, Taipeï est l’une des villes dans le monde où l’acquisition d’un bien immobilier coûte le plus cher.
Les prix de l’immobilier ont plus que doublé entre 2004 et 2014, avant de reculer légèrement l’an dernier sous l’effet de nouvelles taxes sur les transactions immobilières.
Selon une enquête du ministère de l’Intérieur datant de 2014, il faut ici consacrer 15 années d’un salaire moyen pour l’achat d’un appartement. Le marché locatif a fini par subir les conséquences de cette flambée des prix et les loyers de la capitale taiwanaise connaissent eux aussi une envolée.
Ko Wen-je (柯文哲), le maire de Taipeï, a annoncé l’an dernier l’objectif de 50 000 nouveaux logements à loyers modérés, faisant de l’accès à la location pour les jeunes une de ses priorités.

« La vieille façon de louer un logement est complètement dépassée », juge Ian, 28 ans. Il est à l’origine de Fineighbor, une application mobile lancée en janvier à destination des colocataires. L’application permet d’informer ses voisins de son absence ou au contraire de la présence d’un invité, de diviser facilement une facture ou une addition, de rappeler l’échéance d’un paiement, mais aussi de faire part de sa gratitude à ses colocataires à l’aide d’un bouton « merci ». Déjà, près de 300 appartements utilisent l’application et l’Université nationale de Taïwan s’est dite intéressée par ce service pour ses dortoirs et résidences universitaires. « Cela permettra par exemple aux étudiants d’être avertis de l’arrivée d’un colis », explique Ian.

En gestation depuis un an et demi, le projet a évolué au fil du temps. « Au début, nous voulions donner à chaque appartement la possibilité de se présenter et de rentrer en contact avec les maisonnées proches mais nos utilisateurs étaient réticents à l’idée de partager leur vie privée avec des inconnus », explique Shane qui assure le design de l’interface. « Nous avons donc décidé de mettre l’accent sur les relations entre colocataires. Partager une colocation, c’est quelque chose de très spécial et, en même temps, de très fragile. Nous voulons offrir un service qui simplifie la vie. »

Ian est né au Canada, où il a étudié les relations internationales à l’Université de la Colombie-Britannique, avant de se spécialiser en ingénierie financière à Berkeley, aux Etats-Unis. Sa mère est d’origine taïwanaise. « J’ai été embauché par la Bank of America qui m’a envoyé à Shanghai en pensant que je comprendrais mieux qu’un autre le marché local », raconte-t-il. Il n’est pas resté longtemps à ce poste et c’est à Taipeï qu’il a décidé de lancer le projet Fineighbor, inspiré par son expérience et par les réalités auxquelles sont confrontées les jeunes.

« Partout où je vais, je me sens étranger. Avec la mondialisation et les mouvements migratoires, nous serons d’ailleurs bientôt tous des étrangers » dit-il. « Et nous serons mal payés. Dans cinq ou dix ans, nos emplois seront remplis par des robots. C’est pourquoi, j’espère créer avec cette appli une nouvelle façon pour les gens de cohabiter qui repose sur la coopération et l’échange de services. »
A Taipeï, Ian a donc mis sur pied une petite équipe. Outre Shane, elle comprend notamment deux jeunes élèves ingénieurs de l’Université nationale de Taïwan. Les membres de Fineighbor – il fallait s’y attendre – partagent le même appartement et c’est donc « à la maison » qu’est développée l’appli. « Je n’avais jamais conçu d’interface pour une appli » reconnaît Shane. « J’ai dû me former tout seul et aussi apprendre à gérer mon temps. »
L'application Fineighbor telle qu'elle se présente sur téléphone.
L'application Fineighbor telle qu'elle se présente sur téléphone. (Crédit : D.R.).
Comme toute application mobile gratuite, Fineighbor a pour objectif premier d’attirer un nombre important d’utilisateurs. « Nous commençons avec Taïwan, où nous ciblons aussi bien les étudiants que les jeunes salariés étrangers, mais comptons ensuite essaimer dans d’autres pays », explique Shane. Par la suite, la start-up envisage en outre d’aider les « maisonnées » à trouver de nouveaux colocataires, d’autoriser directement les paiements des loyers en ligne, voire de servir d’intermédiaire sur le marché de la location.

A priori, le rêve de ces jeunes gens n’est toutefois pas de devenir des millionnaires. Sans que la question lui soit posée, Shane explique sa participation à l’entreprise en opposition avec un modèle chinois obnubilé selon lui par l’argent. « A Taïwan, les jeunes ont davantage envie d’apporter une contribution positive à la société », assure-t-il. « Ils cherchent à faire quelque chose de bien, ils sont porteurs de nouvelles valeurs. »

Ian s’exprime lui aussi de façon tranchée. « Notre génération a été éduquée à l’école ancienne mais la société nous demande pourtant de nous projeter dans le futur. Ce grand écart se produit partout dans le monde mais encore plus en Asie, où l’éducation repose traditionnellement sur l’autorité. Ce que nous faisons avec Fineighbor, c’est un peu une expérimentation sociale. Et pour moi, c’est important de faire cela à Taïwan, de construire une marque taïwanaise. J’ai des liens avec Taïwan et cet endroit a besoin d’énergie. Nous voulons être une source d’inspiration pour les jeunes Taïwanais. »

A l’image des startupers de Fineighbor, d’autres à Taïwan cherchent à repenser la manière dont les jeunes habitent la grande ville. Par exemple, l’Université nationale de Taïwan a créé l’an dernier le 9Floor Apt., un ensemble de cinq appartements offerts à la colocation et dont certaines pièces sont prévues pour du co-travail. Etudiants, artistes, jeunes entrepreneurs en sont les locataires de choix.

Par petites touches (et petites applis), c’est peut-être une autre façon d’habiter qui s’invente ici.

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.
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