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Expert - Politiques chinoises

 

Le Brexit mettra-t-il un terme à la lune de miel sino-britannique ?

Le président chinois Xi Jinping déguste une pinte de bière avec le Premier ministre britannique
Le président chinois Xi Jinping déguste une pinte de bière avec le Premier ministre britannique dans le nord-ouest de Londres le 22 Octobre 2015, lors de la visite officielle du leader chinois au Royaume-Uni. (Crédits : AFP PHOTO / POOL / ANDY RAIN)
Parmi les acteurs inattendus du « Brexit », c’est-à-dire la question du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne, prévu le 23 juin prochain, on trouve la Chine. Cette dernière a clairement indiqué, au cours des derniers mois, qu’elle favorisait le maintien d’un « Royaume-Uni fort dans une Union européenne forte ».

L’histoire des relations sino-britanniques n’est pas un long fleuve tranquille. Les Chinois qualifient toujours de « siècle des humiliations » (bainian guochi, 百年国耻), la période démarrée au milieu du XIXème siècle avec les guerres de l’Opium et le sac du palais d’été, les traités inégaux (1842), l’humiliation de l’empire, la colonisation de Hong Kong et la mise en place de concessions étrangères à Shanghai, Tianjin, Canton, Xiamen…

Depuis la création de la République populaire de Chine en 1949, les relations ont été tendues notamment pendant les négociations sur l’avenir de Hong Kong entre 1984 et 1997, année de la rétrocession de l’ex-colonie britannique. Plusieurs personnalités politiques du Royaume-Uni ont tenté depuis 1997, comme l’ancien gouverneur Chris Patten, de faire entendre une voix raisonnable à propos du respect des accords sino-britanniques sur l’autonomie de Hong Kong, même si cette voix tend à disparaître.

Sur le plan commercial, les relations entre Pékin et Londres ont été moins importantes – en raison de ces tensions liées à l’histoire – qu’entre la Chine et d’autres grands pays européens, qu’il s’agisse de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie. Politiquement, les relations ont souvent été acrimonieuses y compris après la rencontre en mai 2012 de David Cameron et son vice-premier ministre Nick Clegg avec le Dalai Lama, considérée, selon l’expression consacrée du ministère chinois des Affaires étrangères, comme une « ingérence sérieuse dans les affaires intérieures de la Chine ». Comme pour les autres rencontres de ce type entre des dirigeants européens et le leader tibétain en exil, une période de glaciation des relations s’ensuivit.

Pourtant, ceux qui ont observé la relation bilatérale sino-britannique durant l’année 2015 peuvent se demander s’il s’agit bien des mêmes acteurs. En décembre 2013, David Cameron emmenait une impressionnante délégation de 120 dirigeants d’entreprises britanniques (dont les présidents de Rolls-Royce, BP, Royal Dutch Shell, Barclays, HSBC, GlaxoSmithKline, Virgin) et déclarait que « le Royaume-Uni était ouvert aux investissements chinois ». Des investissements chinois qui se sont multipliés au cours des trois dernières années, pour atteindre 16 milliards d’euros, soit la première place en Europe, selon un récent rapport. Parmi les « prises de guerre » de la Chine : des participations dans Barclays Bank, BP, Thames Water, Anglo America, les aéroports de Heathrow et Manchester, les rachats de Weetabix et Pizza Express, sans oublier la très controversée centrale nucléaire de Hinckley Point et les deux autres centrales censées suivre le mouvement. Des projets dans les transports, dans l’immobilier, les loisirs et la finance.

« Je ne suis absolument pas gêné par ces investissements chinois : ils reflètent notre bonne santé économique et le fait que nous sommes ouverts aux investisseurs de Chine », ajoutait le Premier ministre, qui a en réalité délégué en grande partie la gestion des relations sino-britannique à son Chancelier de l’Echiquier, George Osborne. Ce dernier a effectué plusieurs déplacements en Chine, et – trop heureux de cautionner le projet de « nouvelle route de la soie » promu par Pékin, s’était même rendu en août 2015 dans la région autonome du Xinjiang pour y proclamer l’avènement d’une « lune de miel » sino-britannique. Si l’on ajoute à cela l’affaire de la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures (BAII), que Londres s’est empressé de rejoindre début 2015 au grand dam de Washington, tout était en place pour une visite d’Etat triomphante au Royaume-Uni du président Xi Jinping en octobre 2015, avec séjour à Buckingham Palace, déplacement en carrosse et discours devant les deux chambres réunies du Parlement britannique. Sans oublier les contrats assortis, même si beaucoup se limitent à des promesses, de même que le choix de la City de Londres comme plate-forme pour l’internationalisation du yuan.

Cependant, une série de déclarations chinoises reflètent l’inquiétude grandissante de la part de Pékin, à commencer par le commentaire de Xi Jinping lui-même en octobre dernier : « la Chine soutient une Europe prospère et une Union européenne unie, et espère que le Royaume-Uni en tant que membre important de l’UE pourra jouer un rôle encore plus positif et constructif afin de promouvoir le développement des relations Chine-UE ».

Il y a quelques semaines, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères en rajoutait après l’accord « obtenu » par Cameron auprès du conseil européen : « la Chine a toujours soutenu le processus d’intégration européenne, et nous souhaitons que l’Europe joue un rôle plus grand dans les affaires internationales ». Le 25 février dernier à l’université de Oxford, la conférence de Wang Jianlin, président-fondateur du groupe immobilier Dalian Wanda, acquéreur de l’opérateur de croisières Sunseekers, d’un hôtel 5 étoiles et d’une villa de plus de 100 millions d’euros pour son usage personnel, a enfoncé le clou : « Le Brexit ne serait pas un bon choix pour le Royaume-Uni, cela créerait sûrement des problèmes pour les investisseurs et les touristes étrangers. Il est plus facile de sortir que de rentrer. Il y a sûrement des inconvénients si la Grande-Bretagne sort de l’UE ». Et surtout, « de nombreuses sociétés chinoises penseraient sérieusement à déménager leurs sièges européens vers un autre pays en cas de sortie de l’UE ». Difficile d’être plus clair.

Comme l’écrit une commentatrice chinoise basée dans la capitale britannique, du point de vue de Pékin, « il est important que Londres soit fermement impliquée dans l’UE si la Chine veut jouer un rôle dans l’économie européenne et au-delà ». Il est très inhabituel pour la Chine de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un pays. C’est même contre les principes du régime. Mais dans le cas britannique, Pékin a misé sur le pays promoteur du libre-échange, favorable aux investisseurs chinois (y compris dans les domaines très sensibles du nucléaire et des télécommunications) et qui pourrait s’avérer un partenaire utile en cas de crise commerciale ou sur le statut d’économie de marché que beaucoup, à Bruxelles, rechignent à accorder à la Chine. Sans compter un lien privilégié avec les Etats-Unis, qui restent le grand concurrent de la Chine.

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A propos de l'auteur
Philippe Le Corre est senior fellow à Harvard Kennedy School et non-resident senior fellow à Carnegie Endowment for International Peace. Il est aussi affilié au John K. Fairbank Center for Chinese Studies à Harvard et à l’ESSEC-Irené (Institut de Recherche et d’Enseignement sur la Négociation). De 2014 à 2017, il fut chercheur à la Brookings Institution à Washington. Il est auteur ou co-auteur des publications suivantes : "China's Offensive in Europe" (Brookings Press, 2016) ; "China's Global Rise : Can the EU and the US pursue a coordinated strategy ?" (Brookings, 2016); "Rethinking The Silk Road" (Palgrave-Macmillan, 2018); « China’s Rise as a Geoeconomic Influencer. Four European case studies” (Carnegie, 2018) et “Enhancing Europe’s Role in the Indo-Pacific” (Carnegie, 2019). Ses recherches se concentrent sur les relations politiques et économiques entre l'Asie et l'Union européenne, la politique étrangère de la Chine et les investissements chinois à l'étranger. Ancien correspondant de presse en Asie pendant dix ans, Philippe Le Corre a aussi été enseignant à Sciences Po, conseiller du ministre de la défense, et directeur associé chez Publicis, où il dirigea une équipe de consultants pour l'Expo universelle de Shanghai en 2008-2010.
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