La Chine au Moyen-Orient ou l'intenable stratégie du statu quo
Contexte
Le timing de la tournée moyen-orientale de Xi Jinping n’avait rien d’anodin. Les Saoudiens venaient juste d’exécuter un leader du clergé chiite et des Iraniens enragés avaient en réponse pris d’assaut l’ambassade saoudienne à Téhéran. Une brouille explosive que Xi Jinping, concentré sur sa stratégie purement commerciale, a totalement ignorée. C’est le premier voyage officiel du président chinois dans la région, alors qu’il a visité assidûment le reste du monde. Il faut dire que Xi avait annulé son voyage prévu en 2015 à cause de la guerre entre l’Arabie Saoudite et les rebelles houthis au Yémen.
Cette année, le président chinois a réussi un coup très opportuniste, puisque sa visite en Iran est intervenue juste après la levée des sanctions internationales. Premier dirigeant d’une grande puissance à se présenter à Téhéran, il a ainsi placé la Chine dans les meilleures conditions pour faire des affaires. Rappelons que Pékin n’a pas toujours maintenu une position de neutralité complète dans la région. Les Chinois furent en effet l’un des principaux fournisseurs d’armes des Iraniens durant leur guerre contre l’Irak.
Réserves stratégiques et débouchés commerciaux
Depuis longtemps implantée en Afrique et étendant son influence dans la zone Pacifique, le regard de la Chine est aussi tourné vers l’Ouest : les pays d’Asie centrale et du Moyen-Orient avides de produits manufacturés pour soutenir leur développement, et les pays occidentaux auxquels Pékin espère vendre encore plus de ses marchandises. De plus, dans cette période d’instabilité, la Chine cherche à assurer ses propres approvisionnements. « Avec le temps, ses besoins en énergie de grande puissance industrielle d’un côté, et ses besoins de technologies de pointe de l’autre côté, ont conduit la République populaire à s’intéresser de plus en plus au Moyen-Orient », résume Khattar Abou Diab, enseignant à l’université Paris-Saclay et directeur du Conseil Géopolitique-Perspectives.
C’est dans ce but que Xi Jinping a resuscité en 2013 la Nouvelle Route de la Soie et ses nombreux corridors terrestres et maritimes (voir notre dossier). Et c’est justement pour mener à bien cette immense entreprise que le président chinois s’est déplacé pour distribuer promesses, contrats et yuans là où d’aucuns se sont cassés les dents en essayant de pacifier la zone par la diplomatie ou les bombes. Mais le plan chinois est tout autre pour relever ce défi considéré comme impossible par de nombreux observateurs.
Non-ingérence et amitiés pragmatiques
Politique de l’investissement
Mais construire ne suffit pas et les Chinois en sont conscients puisqu’ils ont depuis longtemps sorti le chéquier et le stylo à contrats. Le président Xi a notamment annoncé un programme de financement pour l’industrialisation du Moyen-Orient qui comprend notamment un prêt de 15 milliards de dollars, un crédit aux entreprises de 10 milliards de dollars et des prêts concessionnels de 10 milliards de dollars. Sur la sécurité, ce sont 300 millions de dollars qui serviront à son maintien et à la formation des polices des pays de la région. Par ailleurs, la Chine consacrera 35 millions de dollars d’aide humanitaire aux zones de crise ouverte (Syrie, Lybie, Yémen) et aux pays qui en subissent les conséquences directes (Liban et Jordanie). Enfin, près de 7,5 millions de dollars sont quant à eux destinés à l’amélioration des conditions de vie des Palestiniens.
La liste est encore longue et elle s’est accompagnée d’une énième incitation au calme dans la région. « Le recours à la force n’apportera aucune solution aux problèmes et la mentalité du jeu à somme nulle n’apportera aucune paix durable », a asséné le président chinois lors de son discours au siège de la Ligue Arabe au Caire. Une rhétorique claire qui transpire presque le pacifisme mais dont le sens ne doit pas être mal interprété. « La Chine n’a pas besoin d’un Moyen-Orient pacifié, affirme Ali Laïdi, car elle ne met aucune condition politique à ses relations économiques avec un pays. Les Chinois ne sont pas naïfs, ils savent que les problématiques régionales datent de dizaines d’années, voire plusieurs siècles et ils savent qu’il ne suffira pas de venir faire du commerce pour stabiliser la région. » C’est la sécurisation de leurs intérêts qui importe aux autorités chinoises.
Du partenaire commercial au gendarme du monde ?
« Il n’y a que dans son voisinage direct que la Chine est impérialiste. C’est une constante de son Histoire”, tempère toutefois Khattar Abou Diab.
Pour le chercheur de l’IRIS, il ne fait d’ailleurs aucun doute que la Chine devra adopter à terme une position politique plus tranchée dans la région : « Malgré ce qu’ont voulu penser beaucoup de gens intéressés par les richesses régionales, les problématiques y sont profondes et une approche purement économique ne peut pas tout. Les Chinois ne pourront pas brandir éternellement la neutralité économique ; il leur faudra à un moment se positionner clairement. Après tout, pourquoi pas imaginer, dans 10 ou 15 ans, une intervention chinoise au Moyen-Orient ? Car plus ils s’y exposeront, plus ils devront s’engager. » Et pour cause, comment ne pas réagir à l’attaque d’un groupe islamiste prenant pour cible les ressortissants chinois ou les intérêts de Pékin dans la région ? Surtout, comment réagir sans risquer de voir la province chinoise du Xinjiang comme terre de jihad ?
A n’en pas douter, les dirigeants chinois sont pleinement conscients de cette problématique mais ils se gardent de la développer. Bien au contraire, le président Xi a insisté sur le fait que son pays « n’avait pas l’intention de […] bâtir une sphère d’influence ni de combler le vide – laissé par le repositionnement des forces américaines dans la région Pacifique – mais uniquement de trouver des partenaires commerciaux.
Apporter une autre optique
« La Chine pourrait être utile si elle parvient à faire pression sur la Russie, si elle apporte un équilibre politique face aux Européens et aux Américains et si elle discute avec les puissances régionales émergentes, soutient Khattar Abou Diab. Car au vu de ses grands intérêts, elle ne peut rester éternellement indifférente à la situation. »
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