Société
Entretien

Depuis Fukushima, comment mobiliser les jeunes à la prévention ?

Un manifestant japonais tient un éventail anti-nucléaire lors d'un rassemblement devant le parlement à Tokyo le 11 mars 2016.
Un manifestant japonais tient un éventail anti-nucléaire lors d'un rassemblement devant le parlement à Tokyo le 11 mars 2016. (Crédits : OSHIFUMI KITAMURA / AFP)
Il y a 5 ans jour pour jour, le Japon subissait l’une de ses pires catastrophes : un séisme suivi d’un tsunami dévastateur et d’un accident nucléaire à la centrale de Fukushima. Aujourd’hui, la société japonaise, qui se veut « habituée » aux dangers naturels majeurs se pose toujours plus la question de la prévention pour éviter un bilan massif de victimes. Comment mobiliser les jeunes générations face à la perspective de désastres imprévisibles ? C’est tout le sens de l’entreprise créée par Misaki Tanaka, Japonaise de 27 ans. Avec « Bosai Girl », littéralement « les filles de la prévention des désastres », elle veut rendre accessible et « fun » la mobilisation pour les jeunes. Jean-François Heimburger s’est entretenue avec elle.

Entretien

Tempêtes, tremblements de terre, inondations, glissements de terrain, éruptions, tsunamis… Les dangers naturels sont variés et fréquents au Japon. En moyenne, depuis 1945, plus d’un millier de personnes meurent chaque année suite à un déchaînement naturel dans l’Archipel. Si les dégâts humains ont nettement diminué à partir des années 1960, les tremblements de terre de Kobe en 1995 et de l’est du Japon en 2011 ont fait des ravages.

Le Japon est sans doute l’un des pays les plus avancés en matière de prévention et de gestion des risques naturels, mais des catastrophes viennent régulièrement remettre en cause son niveau de préparation. Ce qui explique l’importance de se tenir prêt. En complément des politiques nationales et locales menées pour limiter au maximum les catastrophes naturelles, la préparation de la population est capitale.

Or la prévention des désastres est quelque chose qui mûrit avec l’âge, au Japon. Les jeunes d’une vingtaine d’années, notamment les femmes, sont ainsi moins nombreux que leurs aînés à être conscients de la nécessité de réduire leur vulnérabilité. Afin de sensibiliser les jeunes femmes aux risques de catastrophes et de les inciter à se préparer, la société « Bosai Girl » (« Les filles de la prévention des désastres ») a été créée en 2013. Entretien avec sa fondatrice et directrice exécutive, Misaki Tanaka, 27 ans.

Misaki Tanaka, directrice exécutive et fondatrice de la société "Bosai Girl"
Misaki Tanaka, directrice exécutive et fondatrice de la société "Bosai Girl", créée en 2013 (Photographie reproduite avec l’autorisation de "Bosai Girl").
Comment est né le projet « Bosai Girl » ? Est-ce que le tremblement de terre et le tsunami de 2011 ont été un déclic ?
Misaki Tanaka : Après le grand séisme de l’est du Japon, le 11 mars 2011, j’ai commencé à participer au soutien à la reconstruction. Ensuite, pour ne pas que ce genre de choses se reproduise, j’ai pensé qu’il fallait affronter la prévention des désastres. Même si c’est bien d’avoir fait des efforts pour lutter contre les catastrophes, ce n’était ni amusant, ni facile à comprendre. Finalement, comme on ne pouvait pas apprendre tout en s’amusant, je n’ai pas continué. Si c’était pénible de continuer pour moi, alors que ça m’intéressait, je me suis dit qu’il est sûrement difficile d’aborder la prévention pour ceux qui ne sont pas attirés. C’est donc pour cela que « Bosai Girl » a été créée.
Réunion des Bosai girls.
Réunion des Bosai girls. La centaine de membres propose de sensibiliser les jeunes femmes aux risques naturels et à l’importance d’être toujours prêtes à faire face aux catastrophes. (Photo reproduite avec l’autorisation de "Bosai Girl")
Pouvez-vous nous présenter les activités de « Bosai Girl » ? Combien de membres compte la société ?
Elle est composée de plus de cent personnes, d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, qui séjournent dans tout le Japon. Notre concept est d’assimiler la prévention des désastres, facilement et de façon chic. Pour sensibiliser plus largement les jeunes à la lutte contre les catastrophes, nous nous engageons de différentes manières, par exemple en développant des articles ou en mettant au point et en faisant de nouveaux exercices d’évacuation.
En quoi consistent ces entraînements ?
Nous avons créé un site internet dédié [à consulter ici, NDLR]. Aujourd’hui, pour les exercices, tout est décidé : les lieux où se produisent les désastres, les voies d’évacuation, les lieux où se réfugier et ceux qui donnent des instructions, comme les professeurs par exemple. Mais à cause de cela, si quelque chose d’inattendu se produit, on ne peut pas faire face. Nous avons donc mis au point des exercices pour chercher et trouver par soi-même des refuges et des itinéraires d’évacuation.
Pensez-vous que les jeunes Japonais aujourd’hui s’intéressent suffisamment à la préparation aux désastres ?
Je pense qu’ils n’ont pas un « intérêt suffisant », même s’ils ont des connaissances et une expérience minimum.
Comment sensibilisez-vous les jeunes ? Quelle est votre stratégie en la matière ?
Jusqu’à présent, je trouvais que la prévention des désastres était difficile, moralisatrice, et qu’il y avait beaucoup d’éléments trop attachés aux règles. Donc comme il est difficile de transmettre cela aux jeunes, il s’agit d’assembler la prévention des désastres avec les éléments de leur vie et d’utiliser les réseaux sociaux [voir la page Facebook de l’association]. Je pense donc qu’il faut mener une prévention des désastres facilement accessible aux jeunes et qui fasse partie naturellement de leur quotidien.
La trousse BOSAI PORCH, l’un des quatre objets développés et vendus par "Bosai Girl".
La trousse BOSAI PORCH, l’un des quatre objets développés et vendus par "Bosai Girl". Son design féminin permet aux filles de la garder dans leur sac en restant chic. Les phénomènes naturels extrêmes ne frappent pas toujours avant d’apparaître : en sortie ou au travail, les filles auront toujours à porter de main des objets utiles (lampe de poche, sifflet, tissus humides, couverture, masque…). (Photographie reproduite avec l’autorisation de "Bosai Girl")
Pouvez-vous nous décrire quelques objets mis au point par « Bosai Girl » ?
Nous avons développé plusieurs objets présentés sur le site SABOI SHOP. SABOI est d’ailleurs l’anagramme de BOSAI (« prévention des désastres »), car nous ne voulions ni oublier ni imposer cette prévention. Mais le stock est déjà épuisé. Les 1 000 exemplaires de chacun des quatre objets ont été vendus ! Il n’est pas prévu de les commercialiser à nouveau, nous sommes en train de mettre au point d’autres objets. Ce qui est important, c’est le fait de les porter partout avec soi et qu’ils soient chics. Les objets qu’on n’utilise jamais, on ne sait pas s’en servir en cas d’urgence. Je ne pense pas qu’on voudrait prendre des précautions avec quelque chose qui n’a pas une belle apparence. Ce point a été résolu.
Quels sont les avantages qu’apportent les femmes dans la prévention des désastres ?
Sans vouloir faire de distinction entre les sexes, les femmes ont la peau plus sensible que les hommes, elles ont des capacités physiques plus faibles, elles portent des enfants et ont une période de règles. Donc cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas besoin de se préparer. Pour mener une vie meilleure, pour devenir des évacuées intelligentes, je pense qu’il est nécessaire que les femmes se protègent par elles-mêmes, grâce à leur propre force.
Quels sont vos projets ?
« Bosai Girl » va développer la « force de survivre » chez les jeunes. Notre objectif est de construire un monde ou la prévention des désastres est quelque chose de normal. Nous souhaitons devenir un modèle, et collaborer avec des entreprises ou des services administratifs qui partagent la même idée, et ainsi augmenter nettement le nombre de personnes qui soutiennent nos actions.
Propos recueillis en japonais par Jean-François Heimburger

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A propos de l'auteur
Jean-François Heimburger est journaliste indépendant et chercheur associé au CRESAT (laboratoire de l’Université de Haute-Alsace). Spécialiste du Japon, il est auteur de l’ouvrage "Le Japon face aux catastrophes naturelles" (ISTE Éditions, 2018).