En Inde, l' "éveil" des étudiants face aux nationalistes hindous
Contexte
Le 17 janvier, le suicide de Rohith Vemula, jeune Dalit (« intouchable »), doctorant et militant politique au sein de l’Université de Hyderabad, avait suscité l’émoi et provoqué une série de manifestations estudiantines au sein de plusieurs grandes facultés indiennes. Cette tragédie venait relancer les débats sur les discriminations sociales dans le système scolaire et particulièrement les injustices de castes, des maux récurrents contre lesquels M.Vemula se battait. Son activisme politique avait été très mal perçu et reproché par les autorités de son université ainsi que par plusieurs membres du gouvernement, certains proches du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP). A bout, découragé, calomnié et harcelé depuis des mois, il s’était donné la mort sur le campus. Son acte fut perçu comme celui d’un martyre.
De nombreux militants associatifs, étudiants – et leurs syndicats, très actifs en Inde – s’emparèrent de cette tragédie pour réclamer une meilleure gouvernance au sein des universités et l’abolition effective du système des castes. A New Delhi, tandis que le débat sur la discrimination positive et les classifications de castes étaient âprement discutées suite aux manifestations violentes de la communauté Jat (la capitale fut privée d’eau pendant plusieurs jours), un jeune leader syndical, Kanhaiya Kumar était arrêté le 9 février, pour avoir organisé une session de discussions autour du militant cachemiri Azfal Guru, exécuté en 2013 pour terrorisme mais dont la condamnation demeurait sujet à débat dans certains milieux politiques.
Cependant, l’arrestation, le traitement inique (diffamation dans les médias dominants, coups et blessures donnés par des avocats de la cour…) de Kanhaiya Kumar inculpé pour « sédition » et « conspiration criminelle » dans un contexte déjà à vif, a exacerbé les tensions parmi les étudiants et les intellectuels indiens, fatigués des nombreuses mesures liberticides et coercitives prises par le gouvernement au nom d’un « nationalisme » idéologique, faisant fi du passé démocratique et multiculturel indien.
Si Kanhaiya Kumar a été libéré le 3 mars seulement de façon provisoire, le droit à la dissidence, à la critique et au débat seront désormais indissociables de son nom, ainsi que du patriotisme humaniste dont il s’est fait le porte-parole.
Balveer Arora, politologue, est président du Centre for Multilevel Federalism, Institute of Social Sciences, New Delhi. Professeur de sciences politiques à l’Université Jawaharlal Nehru (JNU, New Delhi) de 1973 à 2010, il en fut également l’ancien recteur et vice-président, puis le directeur de son Centre d’Etudes Politiques à l’Ecole des Sciences Sociales. Spécialiste des institutions et de la vie politique indienne, il a notamment travaillé sur le développement des pratiques du fédéralisme en Inde. Pour Asialyst, il décrypte le climat social et politique particulièrement tendu au sein du campus de la prestigieuse JNU depuis fin janvier.

Mais le fait d’exprimer sa haine pour une personnalité politique ou une idéologie ne relève en rien de la sédition. Les effigies sont régulièrement brûlées pour exprimer le rejet des politiques. Ce qui est condamnable, c’est inciter à la violence d’une communauté religieuse ou ethnique contre une autre, ou bien déclencher l’hostilité entre différents groupes sociaux comme les castes.
L’Akhil Bharatiya Vidyarthi Parishad [grande organisation estudiantine à tendance nationaliste et proche du BJP, NDLR], n’a jamais réussi à creuser son trou à JNU, tandis qu’elle a toujours été puissante à la Delhi University et que le BJP lui-même a une forte base de soutien dans la capitale. Dans tous les campus du pays, les Dalits ou les étudiants issus de castes opprimées ont été la cible des activistes du RSS et de ses sympathisants, à l’image de ce qui s’est produit à l’Université d’Hyderabad, où Rohith Vemula s’est suicidé.
D’une manière générale, il règne une atmosphère qui décourage les voix dissidentes et tente d’imposer des restrictions aux individus et organisations perçues comme hostiles au parti au pouvoir. Les ONG jugées malveillantes ont elles aussi été ciblées comme étant « contre l’intérêt national ». Il y a des tentatives de contrôler les médias en visant les intérêts économiques de leurs propriétaires. Les écrivains et intellectuels qui ont exprimé des vues contraires à la doxa ont été chassés et certains même tués. Un grand nombre de d’artistes, de poètes ou d’acteurs ont rendu leurs récompenses nationales en signe de protestation. Ces tendances ont été amplifiées par les activistes du RSS dans toute l’Inde.
Pour ce qui est du patriotisme, la notion est liée à l’unité et à l’intégrité de l’Inde indépendante et de ses territoires. Elle se comprend dans le contexte des relations avec les pays voisins hostiles et elle prend tout son sens à travers la question du Cachemire comme partie intégrante de l’Inde. Actuellement, tous ceux qui mettent en question ce discours peuvent être accusés d’ « anti-nationalisme » et de manque de patriotisme.
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