Inde : la famille Gandhi dans le confort de l’opposition
Contexte
La nouvelle session du Parlement indien, qui se déroule du 23 février au 13 mai avec une longue interruption du 17 mars au 24 avril, va être déterminante pour le programme de réformes du Premier ministre Narendra Modi. Depuis son élection au printemps 2014, celui-ci tente de faire voter quelques grandes réformes économiques : simplification des procédures d’achats de terres agricoles pour l’industrie et les infrastructures, allègement du droit du travail, transformation de la fiscalité indirecte… Mais l’obstruction systématique déployée par les partis d’opposition et son absence de majorité à la Chambre haute, le Rajya Sabha (contrairement à la Chambre basse, le Lok Sabha, où son parti, le BJP, détient la majorité absolue), l’empêchent de parvenir à ses fins.
Le chef du gouvernement indien a déjà dû abandonner ses projets en matière d’achats de terres et reporte tous ses espoirs sur le vote de la GST : cette Goods and Services Tax instituerait pour la première fois une sorte de TVA unifiée pour l’ensemble des Etats de la fédération indienne. De l’avis de tous les économistes, cette création d’un « marché commun » à l’échelle de l’Inde donnerait un coup de fouet à la croissance. Après les échecs successifs lors des précédentes sessions parlementaires, c’est toute l’image de réformateur de Modi qui est aujourd’hui en cause.
Lien intrinsèque
C’est Sonia Gandhi, 69 ans, qui préside le parti et en demeure la vraie patronne. La veuve de l’ex-Premier ministre Rajiv Gandhi assassiné en 1991, italienne de naissance, « s’est beaucoup mise en retrait publiquement mais elle continue à diriger les instances du parti en interne au jour le jour », explique Gilles Verniers, professeur de sciences politiques à l’Ashoka University de Delhi. Son fils Rahul, 45 ans, vice-président du parti, en est de plus en plus la figure visible, se préparant en douceur au remplacement de sa mère.
Capacité de paralysie
Pour la session qui vient de commencer, le Congrès n’a que l’embarras du choix : le suicide d’un étudiant Dalit (« intouchable ») victime de discrimination à l’université d’Hyderbad qui suscite une émotion considérable ; l’arrestation pour « sédition » d’un leader étudiant à l’université JNU de Delhi accusé de menées « antinationales », ce qui a jeté dans les rues des milliers d’étudiants dénonçant la volonté des pouvoirs publics de s’en prendre à quiconque ne respecte pas leur vision nationaliste ; les émeutes organisées par la caste des Jats près de Delhi, qui témoignent une fois de plus des difficultés de la société indienne traditionnelle à s’adapter au monde moderne.
Attentisme
Une caractéristique essentielle du Congrès, explique Gilles Verniers, c’est « la très grande stabilité de son organisation, le consensus sur le leadership de Sonia et Rahul, le fait que personne n’a envie de dissidence ». Des éléments qui sont « à la fois un avantage et un inconvénient ». Un avantage parce que le parti évite d’ajouter une crise interne aux défaites électorales ; un inconvénient parce qu’il « s’installe dans une position attentiste ». Selon le politologue, le Congrès « fait le pari qu’il n’y a pas besoin de réforme en interne, qu’il suffit d’attendre que le BJP se prenne les pieds dans le tapis, et si l’on peut soulever le tapis pour l’aider à trébucher, on le fait ».
L’énigme Rahul
Le Congrès et la « première famille » d’Inde sont décidément inséparables. Jawaharlal Nehru, premier chef de gouvernement de l’Inde indépendante, sa fille Indira Gandhi – sans lien de famille avec le Mahatma Gandhi, héros de la lutte contre les Britanniques ! – son petit-fils Rajiv, la femme de ce dernier, Sonia, ont tous joué des rôles de premier plan dans le pays. L’avenir du Congrès repose désormais largement sur les épaules de Rahul. Un homme qui demeure une énigme pour beaucoup.
Plein de bonnes intentions, décrit comme charmant en privé par ceux qui le connaissent, Rahul semble souvent déconnecté des réalités du pays. Son drame personnel est sans doute qu’il n’a nulle envie d’assumer des responsabilités politiques au sommet mais qu’il n’a pas le choix : en tant que « prince héritier » de la famille, sa voie est toute tracée. Un peu comme pour le prince Charles avec une différence : l’héritier de la famille royale britannique ne rêve depuis des années que de succéder à sa mère alors que ce n’est pas le cas de Rahul… Selon le professeur de l’Ashoka University, Rahul « se sent investi d’une mission vis-à-vis de l’héritage familial. Il se verrait bien comme une figure tutélaire avec quelqu’un d’autre qui ferait le travail au jour le jour. »
A la recherche d’un « directeur général »
Leader réticent, Rahul semble malgré tout irremplaçable. Sa sœur Priyanka passe bien pour avoir un sens politique et un tempérament évoquant leur grand-mère Indira mais elle souffre d’un handicap majeur : son mari Robert Vadra, homme d’affaires à la réputation sulfureuse. Une entrée de Priyanka dans la vie politique active pourrait faire éclater au grand jour les pratiques financières de la première famille, qui fait couramment l’objet de soupçons de corruption à grande échelle, comme l’ensemble des dirigeants politiques indiens.
A court terme en tout cas, le fait que Rahul soit ou pas un brillant stratège politique compte finalement peu : l’essentiel pour lui est de rester en embuscade et d’exploiter les erreurs de Modi et de ses amis. Si le Congrès « se retrouve en position de force, c’est parce que le gouvernement se place en position de faiblesse », lance Gilles Verniers, qui souligne le contraste entre les projets de modernisation économique du gouvernement qui font consensus et le climat créé par les attaques contre les minorités lancées par la mouvance du BJP ou par la crise dans les universités. Autant de boulets qui minent les efforts du gouvernement. Finalement, conclut-il, « Modi a plus à se soucier de ses ennemis de l’intérieur et de lui-même » que des initiatives du parti du Congrès…
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