Société
Témoin - Chine hors-piste

 

Wanju, peintre dalianais en quête de France

Une fresque murale de l’époque de la révolution culturelle dans le quartier des artistes - Dashanzi Art District - à Pékin.
Une fresque murale de l’époque de la révolution culturelle dans le quartier des artistes - Dashanzi Art District - à Pékin. (Crédit : FRUMM John / hemis.fr / Hemis / AFP).
J’ai rencontré Wanju en 2007. Ce personnage truculent m’a tout de suite fasciné. Généreux, gueulard, plein d’humour et grand buveur ; il m’a fallu huit ans pour cerner la complexité de ce personnage, chinois maintenant cinquantenaire, métisse mandchou, mongol et han.

Je me souviens de ce restaurant japonais de Dalian, dans la province du Liaoning. Nous dînions sur une table à coté d’un lac souterrain. Là, il déroulait ses toiles représentant un Mao imposant et sévère au dessus d’une foule masquée aux figures de l’opéra chinois affublés de pancartes humiliantes. Il expliquait alors que ses parents avaient dû porter cette pancarte car c’étaient des universitaires en ces temps troublés de révolution culturelle et qu’il en avait subi les conséquences dès sa plus tendre enfance.

Son atelier se trouvait dans un marché aux puces maintenant rasé pour laisser place à un hôtel Shangri-la. Là-bas, toute une faune d’artistes, de marchands de thé, d’antiquaires et autres vendeurs d’objets d’occasion se côtoyaient.
Quand le lieu a dû fermer, chacun s’est débrouillé pour se reloger au gré de son réseau de relations. Mon ami Wanju a alors échoué dans une chambre d’hôtel au numéro magique de 8888 où il a pu installer son atelier « saisonnier » en période hivernale creuse pour l’hôtel avec vue sur la mer de Bohai.
Ancien professeur d’université, il vit dans un logement de fonction où s’entassent ses tableaux et “squatte” avec femme et enfant maintenant adulte.

Lors de ses expositions en Chine, il y a la salle d’exposition et une salle ”pour les amis”. Dans la salle officielle on voit ses portraits de l’opéra de Pékin ; dans l’officieuse, les Mao dénonçant la révolution culturelle.
Il aime dénigrer les gouvernants lors de dîners arrosés autant qu’il les salue bas lors des vernissages.
Il en a besoin, et a ses entrées dans les cercles militaires et les hôtels de luxes où les élites communistes festoyaient jusqu’à ce que le Président Xi mette le holà.

Il rêve depuis toujours de partir en France, pour y exposer ou en résidence. C’est à ce stade que j’ai découvert à quel point il lui était difficile d’imaginer autre chose que le thème “bateau” des masques d’opéra, et même des caricatures de la révolution culturelle qui font partie des thèmes “autorisés” de catharsis pour les intellectuels ; les détournant ainsi des sujets d’actualités beaucoup plus brûlants.
Il a été cadré par les limites inconscientes du mainstream, qu’on retrouve aux enchères de rue du marché culturel de Jinan (dans la province voisine du Shandong) ; et du borderline “autorisé”, en vogue dans les expositions de fin d’études d’école d’art.

Depuis 2010, Wanju vient en France pour des expositions lancées initialement par un jumelage entre villes. Comme la plupart des artistes chinois, il est habitué à vivre d’une pension et de quelques cours, et donc assez chichement.
Le monde de l’art international lui est totalement inconnu.

Lors de sa première exposition, des personnes se sont intéressées à ses portraits mais n’ayant aucune idée de l’évaluation de ses œuvres, les prix qu’il improvise sont complètement abracadabrants : dizaines de milliers d’euros, ou quelques centaines, sans logique ni avec le marché, ni avec la qualité esthétique de son travail.
Des amis artistes lui proposent de le conseiller, mais comme tout artiste débutant dans le commerce de l’art – et ce paradoxalement à son expérience – il est réticent à vendre, et donc à donner un prix raisonnable.

En France, il rentre dans un autre schéma : il fait des démonstrations de calligraphie, des expos par le biais d’amis. Mais il n’arrive pas à franchir le cap linguistique. En réalité, il et comme beaucoup de Chinois de cette génération qui considèrent – sans même essayer – qu’il est trop tard pour eux pour apprendre une langue.

Wanju se heurte à une impasse : il n’arrive pas à franchir le cap de l’international.

Il se heurte à la langue, et à l’initiative et l’imagination artistique qu’il n’a pas eu l’occasion d’apprendre. Il est ancré dans un système dans lequel la plupart de ses homologues sont confinés par leur éducation, et des relents de peur.
Ainsi, quand il s’agit de peindre ses impressions de France, il recopie les impressionnistes, sans arriver à insuffler un peu de culture chinoise dans ses œuvres. Il envie, jalouse et rejette massivement les grands noms de la peinture chinoise contemporaine qui remplissent les musées français, ne les comprend pas puis les condamne.

Son contact même avec les Chinois en France est houleux. Je me souviens du point d’orgue lorsque lors d’un dîner en ville je lui avais fait rencontré une psychanalyste chinoise pour qu’ils puissent discuter en chinois.
Bien mal m’en avait pris.
Le peintre ne comprenant pas qu’une femme de la trentaine ne soit pas en famille à jouer son rôle de mère, et elle lui reprochait de ne s’exprimer que par les slogans de la révolution culturelle. Le ton a monté et nous avons évité de justesse le pugilat.

Wanju vient régulièrement en France depuis 2010. Et il est reparti hier en Chine, en remportant la plupart des toiles qu’il avait exposées lors de son premier séjour.
Les autres toiles restent dans des caves d’amis en attendant son prochain voyage.

Je me souviens d’avoir vu se grand gaillard pleurer en voyant la Tour Eiffel alors qu’il sortait pour la première fois de Chine ; et aujourd’hui, il repart avec une certaine amertume, ses tableaux sous le bras.
Il voudrait revenir, mais pour quoi faire. Il a épuisé son modèle ici : expos, rencontres feu de paille, compliments, mais le tout sans aucune vente.

Le truculent personnage repart alors vers ses banquets entre amis en Chine. Il continuera à peindre ses masques d’opéras sur des toiles et à les rouler pour les conserver chez lui.

Jadis, il a rêvé de la France, mais rêvé de quoi, il ne le sait plus lui même.

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A propos de l'auteur
Gerald Kane travaille en Chine depuis 10 ans. Son métier l'amène à côtoyer toutes les tranches de la société des plus populaires aux élites. Il sillonne le pays des grandes villes aux régions les plus reculées. Sinophone, il s'est créé un vaste réseau d'amis lui permettant de rencontrer des parcours de vie hors des sentiers battus, qu'il souhaite partager dans son blog.
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