Société
Témoin - Chine hors-piste

 

Wudong, tailleur

Photographie d'un atelier de couture.
Légende : Un atelier de couture. (Crédit : Gerald Kane)

« Laopo, ni yao haohao zhao gu ziji he erzi », « Chérie, prends bien soin de toi et du petit, j’ai trouvé un meilleur job dans une autre ville, je gagnerai plus pour la famille ». De ce jour, Limei recevra la pension de son mari parti travailler comme tailleur dans une autre ville. Son salaire est meilleur là-bas que dans sa ville natale du Zhejiang où il a grandi avec sa voisine qu’il a logiquement épousé. Leur fils Wuluo a 6 ans. Une fois par mois, il envoie l’argent et passe un coup de fil pour des questions quotidiennes. Limei ne sait pas exactement où il travaille, dans le Nord-Est un moment puis dans une autre ville, elle a oublié de poser la question, c’est loin, c’est tout ce qu’elle sait. Il est resté deux mois dans la province glacée du Jilin frontalière de la Corée du Nord. Là, une connaissance de Shanghai lui a proposé de multiplier son salaire par trois, il a accepté et l’a suivie… à Belleville.
Paris, janvier 2013. Wudong appelle pour souhaiter un joyeux anniversaire à son fils qui a maintenant 8 ans. Il va profiter de son repos du dimanche pour essayer de trouver un ami sur l’application de son smartphone. Difficile, personne ne le comprend, personne ne parle chinois.
Finalement, il trouve un sinophone, quelle chance ! Enfin un ami ! Qui deviendra son petit ami, c’est si rare de trouver un français qui parle chinois ! Il tombe amoureux, aime bien aller cuisiner chez lui pour ses amis français même s’il ne comprend rien de ce qui se dit. C’est comme à l’atelier d’ailleurs car malheureusement, le plan de l’ami de Shanghai était dans un atelier turc et non chinois. Qu’importe, ici au moins, il n’a pas besoin de regarder du coin de l’œil les garçons qui lui plaisaient dans son village natal avec l’appréhension de se faire repérer. Il peut dormir avec un garçon qu’il aime et qui enfin lui a fait découvrir que Paris n’était pas seulement un atelier de couture en arrière-cour, mais une ville avec des musées, un fleuve et une tour en métal qu’il avait vue en photo dans des pubs au village.
L’amie shanghaïenne est repartie, mais elle s’occupe toujours de faire le transfert mensuel du salaire à la famille. Le coup de fil, lui, est oublié. Il n’a pas pris d’abonnement illimité pour la Chine et au fond, personne ne le lui reproche. Le virement est stable, sa femme pense qu’il est toujours quelque part en Chine ; il n’avait à l’époque pas jugé utile de lui dire qu’il allait en France. Atelier pour atelier, c’est pareil.
Son copain est souvent absent. Il se sent seul, n’a pas d’ami. En France depuis 3 ans, il ne parle que son dialecte du Zhejiang, une province au sud de Shanghai, où il envisage de repartir. Il gardera sans doute le même réseau pour verser sa pension, mais n’envisage pas de recontacter sa famille. Il ira dans une autre province de Chine, mais où ? Il n’en sait rien. Au fond pour l’instant, il n’a pas de personne à recontacter. La connaissance de Shanghai ? Sans doute pas : elle trouve des emplois en France, pas en Chine. Son ancien employeur dans le Jilin ? Trop froid. Non, finalement, il attend et continue à travailler dans son atelier à Belleville. On travaille beaucoup mais au moins ici, on se repose le dimanche…

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A propos de l'auteur
Gerald Kane travaille en Chine depuis 10 ans. Son métier l'amène à côtoyer toutes les tranches de la société des plus populaires aux élites. Il sillonne le pays des grandes villes aux régions les plus reculées. Sinophone, il s'est créé un vaste réseau d'amis lui permettant de rencontrer des parcours de vie hors des sentiers battus, qu'il souhaite partager dans son blog.
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