Economie
Expert - Le Poids de l'Asie

 

Indonésie : l'enjeu des infrastructures

En chantier, la construction de la première ligne à grande vitesse Jakarta-Bandung
En chantier, la construction de la première ligne à grande vitesse Jakarta-Bandung, dans le centre d'affaires de la capitale le 16 octobre 2015. Des compagnies étatiques chinoises et indonésiennes ont signé à cette date un contrat de 5,5 milliards de dollars pour construire cette ligne, après que Pékin a battu Tokyo dans l'appel d'offre. (Crédit : AFP / Bay)
Chaleur étouffante. Un homme se presse le long du trottoir, une voiture ralentit à sa hauteur, une bouffée d’air frais s’échappe de la vitre qui descend : « Bonjour, je te dépose à ton bureau ? – Non merci, je suis pressé. » Cette boutade se racontait dans les années 1980 à Bangkok qui, depuis, s’est équipé de plusieurs lignes de métro. Elle reste vraie à Jakarta, tout au moins en dehors des axes qui n’ont pas de voies dédiées pour les bus. Peuplé de 20 millions d’habitants, l’ensemble Jabodetabek (Jakarta-Bogor-Depok-Tangerang-Bekasi) est la plus grande métropole sans métro. La première étude de faisabilité date de 1985 et, longue de 15 kilomètres, la première ligne entrera en service en 2018. Entre-temps, le parc automobile a été multiplié par douze et le parc de motos par 17 alors que la surface des voiries est parmi les plus faibles en Asie.

Les infrastructures se sont améliorées à un rythme moins rapide que dans les pays voisins, dans une région où il faut « courir pour rester sur place ». L’Indonésie ne court pas assez vite. La diffusion du téléphone portable a facilité les contacts – Jakarta serait la « capital » des tweets – mais le débit est également plus lent qu’ailleurs en Asie. Les coûts de logistique représenteraient 25 points de PIB, le taux le plus élevé de la région et la situation des infrastructures est avec la formation une contrainte majeure au développement de cet archipel de 15 000 îles accrochées à l’équateur sur la distance qui sépare Paris de Moscou.

La rupture de la crise asiatique

Dans les années 1990 et jusqu’à la crise asiatique (1997-98), l’Indonésie investissait près de 9 points de PIB dans les infrastructures – routes, production électrique, télécommunications – et l’Etat finançait près des deux tiers de ces investissements. La crise asiatique a marqué une rupture. En 1998 le revenu par habitant a chuté de 15 % – une chute plus brutale que celle connue par les Grecs. La recapitalisation du secteur bancaire a porté la dette publique à 100 % du PIB et obligé l’Indonésie à faire trois passages en Club de Paris pour la rééchelonner. Les finances publiques ont été mises au régime sec et les infrastructures ont été la variable d’ajustement des arbitrages. Quant aux entreprises, elles ont attendu le retour de la stabilité politique et l’élection à la présidence de Susilo Bambang Yudhoyono, dit SBY, pour investir. Pendant quelques années, les moyens ont manqué pour construire et entretenir les infrastructures, ce qui a provoqué plusieurs accidents.

En 2005, à la suite du tsunami qui a ravagé la province d’Aceh au nord de Sumatra, le gouvernement a organisé plusieurs conférences pour attirer des entreprises étrangères dans des projets d’infrastructure. Faute de moyens, l’Etat a placé ses espoirs dans les partenariats public-privé. Sans beaucoup de succès. Les entreprises hésitent à s’engager sans maîtrise des tarifs (ainsi les péages d’autoroute) dans des projets de long terme où c’est moins la gestion de l’infrastructure que la valorisation des emplacements commerciaux qui assure la rentabilité. Les difficultés d’accès au foncier et le manque de confiance dans le cadre juridique rebutent les investisseurs.

La croissance a repris à un rythme plus lent qu’avant la crise asiatique et les infrastructures n’ont pas suivi. L’Indonésie a ainsi été mise à l’écart des chaînes globales de valeur (électronique et textile) et la croissance de la production (et des exportations) manufacturière a ralenti.

Le poids des subventions et des dépenses d'investissement dans le budget de l'Etat en Indonésie.
Le poids des subventions et des dépenses d'investissement dans le budget de l'Etat en Indonésie.

Le choix des subventions

Faisant moins d’effort pour les infrastructures, le budget a consacré plus de moyens aux subventions pour réduire le prix de l’électricité et des carburants et limiter l’impact des hausses de prix sur les ménages. Justifiées au nom de la lutte contre la pauvreté, car les ménages les plus pauvres cuisinent avec un combustible à base de kérosène, la subvention pétrolière profite davantage aux propriétaires de grosses cylindrées. Vers 2004, le coût budgétaire des subventions approchant 5% du PIB, le gouvernement a décidé d’une première baisse. Les manifestations contre cette mesure l’ont obligé à mettre en œuvre avec succès, un programme de « cash transfer » de 2 milliards de dollars au bénéfice des ménages plus pauvres.

Figurant au programme du président SBY, la réforme des subventions a été abandonnée. Elu en 2014, le président Jokowi qui avait été maire de Solo et de Jakarta, l’a mise en œuvre en bénéficiant de la conjoncture favorable créée par la baisse des cours du pétrole. En diminuant la subvention, le budget dégage des ressources pour la construction d’infrastructures.

Le gouvernement SBY avait annoncé 438 milliards de dollars d’investissement dans les infrastructures entre 2011 et 2015, faute de ressources budgétaires et d’appétence des investisseurs. Cet objectif n’a pas été atteint. Le nouveau plan prévoit 450 milliards de dollars pour les routes, les barrages, les ports et les centrales électriques entre 2015 et 2019, et espère que le secteur privé en assurera 70 %. En se reposant sur les entreprises, il réalise des économies à court terme et crée des problèmes de coordination à moyen terme.

Un arbitrage politique

Donnant la priorité à la route, l’Indonésie a négligé les ports, stratégiques pour un archipel aussi vaste, et le ferroviaire. En 2011, l’aide japonaise a financé l’étude d’une ligne de train à grande vitesse reliant Jakarta et Bandung, qui sera prolongée jusqu’à Surabaya situé à 720 km de Jakarta. En septembre 2015, les Chinois se sont mis sur les rangs et un mois plus tard, le gouvernement annonçait l’abandon du projet. En novembre, coup de théâtre, les Japonais apprenaient que l’offre chinoise était acceptée. La Chinese Development Bank (CDB) proposait 5,27 milliards de dollars à la société PT Kereta Cepat Indonesia China – joint-venture entre des sociétés d’Etat et la Chine – sans exiger la garantie de l’Etat indonésien que le Japon demandait pour un prêt de 4,4 milliards de dollars.

Non seulement ce projet ne sera pas financé par l’argent du contribuable, mais le prêt de la CDB n’alourdira pas la dette publique. Du moins en théorie, car en cas de défaut de paiement, le gouvernement viendrait sûrement à la rescousse des sociétés d’Etat. Cinq jours après la cérémonie de lancement, les travaux ont été suspendus car PT Kereta Cepat Indonesia China n’avait pas demandé toutes les autorisations. Coupant court aux rumeurs, le président a publié une liste de 200 projets prioritaires dans laquelle figure la ligne Jakarta-Bandung. Les Chinois se sont engagés à l’achever avant les prochaines élections présidentielles de 2019. Un succès chinois serait de bon augure pour un second mandat de Joko Widodo. Il n’est pas assuré. Certes les Chinois mettront les bouchées doubles pour respecter les délais : réaliser cette ligne qui s’inscrit dans le programme « One belt One road » (Nouvelle route de la soie), leur servira de référence. Capables de construire des milliers kilomètres de chemin de fer à grande vitesse chez eux, les Chinois seront confrontés en Indonésie à des défis qui ne sont pas seulement techniques : pour construire la ligne, ils vont ainsi devoir acquérir 600 hectares de terrains occupés par 2 300 familles dans un pays où les expropriations ne se règlent pas manu militari.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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