Culture
Témoin - Rendez-Vous en Indonésie

 

L’Indonésie de Rebecca Reijman

L’actrice et chanteuse Rebecca Reijman.
L’actrice et chanteuse Rebecca Reijman. (Crédit : D.R.).

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec la jolie Rebecca Reijman, actrice et chanteuse. Nous nous retrouvons à l’hôtel Phoenix de Yogyakarta, où son directeur, M. Thomas Evrard, a volontiers mis son salon d’honneur à disposition.
C’est donc dans un décor colonial et luxueux que la rencontre s’effectue.
Rebecca Reijman est en effet de passage à Yogyakarta pour le tournage du clip de son prochain titre. Elle semble toute confuse de son léger retard, ce qui n’est en général pas courant en Indonésie, où le « temps élastique » est une notion bien connue, qui fait paradoxalement le charme de ses habitants.

Vêtue de sa robe style « Alice au Pays des Merveilles » portée lors du tournage qui vient de s’achever, elle s’assoit dans le divan qui me fait face, prête à répondre à mes questions.
Apaisée, l’interprète révélée par le hit Tanpa Mu me remercie d’abord pour cette invitation à la discussion autour de l’art et la culture en Indonésie – sous-entendant ainsi probablement que c’est la première fois qu’elle est sollicitée sur un tel sujet.

Découvrez le hit de Rebecca Reijman Tanpa Mu
Souriante et radieuse (elle n’a pas quitté son maquillage utilisée pendant le tournage), Rebecca est née sous une bonne étoile. Cette métisse – issue d’un père néerlandais et d’une mère originaire du Surinam, où le père javanais fut « envoyé » dès l’âge de 15 ans – a vécu toute son enfance au Pays-Bas, et c’est lors de vacances en Indonésie, à l’âge de 21 ans, que son éblouissante beauté et son talent de chanteuse furent repérés par un DJ de Jakarta. Quelques mois plus tard, en 2007, son premier album Kata Hati (Conscience) était commercialisé.

Le « machisme » indonésien typique peut laisser penser que le charme de mon interlocutrice a pesé pour beaucoup au début de sa carrière, mais Rebecca me révèle qu’elle a toujours vécu dans une ambiance musicale, puisque son père était lui-même bassiste. C’est également très jeune, à l’âge de 6 ans, qu‘elle a débuté le chant. Elle fréquente d’ailleurs une école de musique à La Haye, où elle perfectionne sa voix et se met à composer. C’est également à cette époque qu’elle crée son premier groupe de musique Kaskawi, connue pour ses percussions d’origine africaines et surinamaises.

Bref, Rebecca Reijman ne semble pas être devenue une « poupée » de hit-parades, et, deux albums et quelques films – dont Taring en 2010 et Rumah hantu pasar malan en 2012 – plus tard, je souhaitais en effet la rencontrer pour, peut-être, une première introspection artistique.

Je suis d’abord étonné d’apprendre que, depuis son installation (et son mariage) en Indonésie il y a environ 10 ans, Rebecca s’est mise à apprendre les différents niveaux de la langue javanaise (dont le « Kromo »), ainsi que d’autres dialectes qu’offre cette Indonésie multiculturelle. Sa nouvelle chanson, Polyglotism (qui parait aujourd’hui), est d’ailleurs chantée dans ces différents idiomes.

Le tout nouveau single de Rebacca Reijman
Le tout nouveau single de Rebacca Reijman (Crédit : D.R.).
Métissée, Rebecca l’est non seulement biologiquement, mais également dans ses choix artistiques. Elle m’avoue ainsi que c’est son côté javanais qui lui apporte cet éclectisme et ce mélange de tonalités musicales.
Elle est effectivement persuadée que son ouverture au monde, aux différents types de musiques et de langues provient de ce sang sud-est asiatique qui coule dans ses veines et qui s’est adapté, de manière pragmatique, aux rudesses de la vie menée par ses ancêtres.

Ces origines sont probablement la raison pour laquelle celle qui m’avoue être une fan invétérée de Lauryn Hill et qui n’a jamais joué à la poupée est sensible à ce qui se déroule autour d’elle. Elle est consciente de sa chance de vivre une “vie dorée”, mais ne semble s’intéresser ni à l’argent ni aux gros bolides. Elle chante la vie, tout simplement, telle son idole.
En cela, elle partage les ”points de vues” satiriques du ”maître” britannique du street-art, Banksy, qu’elle cite comme une référence majeure également. Elle aime son côté “anonyme” qui tend à prouver que son engagement politique et social est éloigné de considérations purement et bassement commerciales.

Progressant dans sa réflexion, elle compare d’ailleurs Julian Assange à un artiste – lui qui utilise WikiLeaks et le puissant instrument informatique qu’est Internet pour dénoncer, à sa façon, la manière dont est régit le monde d’aujourd’hui.
Ce n’est donc pas étonnant d’apprendre que Rebecca se considère elle-même comme une activiste, car, à travers sa musique, elle souhaite se sentir utile. Elle cherche à délivrer un message, même si la politique n’est pas son but ultime. A 30 ans, elle se sent à présent prête, mûre.

Elle avoue pourtant se sentir ”impuissante” face à ce qui se passe en Indonésie (corruption, feux de forêts incontrôlés à Bornéo, etc.) et dans le reste du monde (les guerres au Moyen-Orient notamment).
Mère de deux enfants, Rebecca n’est incontestablement plus aussi naïve qu’au début de sa carrière, et, consciente de ce cheminement intellectuel et artistique, aimerait laisser une trace culturelle et sociale.

Et, si elle a décidé, il y a quelques années, de mettre sa carrière entre parenthèses, c’était pour mieux s’occuper de ses enfants et, dans un soucis altruiste, de s’impliquer, avec la Commission Nationale pour la Protection de l’Enfant (Komisi Perlindungan Anak Indonesia), dans la lutte contre la maltraitance des enfants indonésiens (plus de 12 millions de cas, selon Rebecca, soit l’équivalent de la population néerlandaise !).

Vivre en Indonésie l’a donc transformée, tant sur le plan humain qu‘artistique.
Au début, m’explique-t-elle, elle avait simplement envie de composer et chanter des morceaux qui “passent bien” à la radio. Mais, tout cela, c’est fini. Elle se sent à présent plus heureuse si elle sent que son message passe ; si elle se sent entourée d’une équipe qui partage ses points de vues et combats. Une certaine introspection lui a finalement permis de tirer le meilleur d’elle-même.

Car, lucide et humble, elle reconnaît avoir commis beaucoup ”d’erreurs de jeunesse” à ses débuts. Elle ne cache d’ailleurs pas qu’elle a appris le Bahasa Indonesia pendant l’enregistrement de son premier album. Elle ne comprenait donc pas ce qu’elle chantait, mais ne regrette pas cette expérience, qui lui a ensuite permis de mieux focaliser sur ses envies, et, bien évidemment, sur les raisons profondes de son engagement artistique.

Elle est en tout cas heureuse de vivre en Indonésie, parmi de centaines d’ethnies et cultures, qui influencent ses envies musicales. Aux Pays-Bas, il n’y a pas autant de diversité, et c’est justement cette diversité qui l’épanouit.

Lorsque j’évoque la question de la censure en Indonésie, notamment en référence à celle qu’a subie le récent Festival des Ecrivains et des Lecteurs d’Ubud, elle me répond qu’elle n’y prête pas trop attention. Elle est bien sûr déçue qu’elle existe (personne ne sait d’ailleurs qui est derrière), mais elle ne pense pas non plus qu’elle soit un réel frein, car les gens finissent toujours par connaître la vérité.

Quant à son public, il ne lui semble pas qu’il ait pour l’instant compris son message, notamment parce qu’elle vient de faire un break de quatre ans. Pour autant, elle estime que ses fans savent qui elle est, c’est-à-dire qu’ils sont conscients qu’elle n’est pas indonésienne, mais que ses racines le sont.

Et ce break musical ne lui fait apparemment pas peur, car elle ressent un fort soutien de la part de ses amis musiciens et de son entourage. Elle n’effectue d’ailleurs pas son retour pour regagner en popularité, dit-elle, mais pour montrer qu’elle a gagné en maturité et en qualité. Elle espère donc que son message sera mieux compris. Elle a 30 ans, répète-t-elle, et il est grand temps!

A ce point de la conversation, je tente de dévier vers un peu de politique et interroge mon interlocutrice sur ce qu’elle pense du gouvernement actuel, dirigé par Joko Widodo. Un peu mal à l’aise, elle m’avoue timidement qu’il n’est pas mal.
Elle poursuit toutefois en m’affirmant qu’elle a suivi les débats de la campagne électorale, en 2014. Elle est consciente que la démocratie en Indonésie doit encore faire ses preuves, ce d’autant plus que le pays est un vaste archipel de plus de 13 000 îles, et que le processus de décompte des voix prend du temps.
Elle espère en tout cas que l’actuel Président de la République tiendra ses promesses vis-à-vis des plus démunis, même si elle constate que ses ministres pensent certainement plus à leur « pomme » qu’au bien-être de leurs concitoyens.

Rebecca n’est pas dupe : elle sait que Jokowi – l’amical surnom de Joko Widodo – doit se battre, au sein de son propre parti et de son propre gouvernement, contre des intérêts divergents et contre des luttes de pouvoir. Elle soutient, quoiqu’il arrive, l’équipe actuelle au pouvoir, tout comme de nombreux autres artistes, tels le groupe de rock Slank ou la chanteuse Dira Sugandi.

J’enchaîne ensuite sur la question de la liberté d’expression dans son pays d’adoption, et Rebecca n’hésite pas à répondre franchement qu’elle n’a pas l’impression d’être bâillonnée. Elle m’informe (me rappelle ?) d’ailleurs qu’elle a posé en bikini pour un magazine masculin local, il y a quelques années, et qu’on ne le lui a jamais reproché.
Elle admet tout de même se sentir ”catégorisée”, mais ne semble pas trop s’en soucier. Ici, en Indonésie, autant elle n’a pas peur d’aller à la plage en bikini qu’elle n’a de problème pour porter le voile lorsqu’elle chante en Aceh (sur l’île de Sumatra).
Elle ne sent aucunement prisonnière, mais respecte en même temps les différentes cultures de l’archipel. Pragmatique, elle s’adapte.

Sur la loi anti-pornographie qui sévit en Indonésie depuis quelques années, elle a pourtant des sentiments partagés, car, d’un côté, elle estime que les femmes devraient être libres de leur choix – vestimentaires notamment – , et d’un autre, elle cite l’activiste Arist Merdeka Sirait, qui préside la Commission Nationale pour la Protection de l’Enfant.
Ce dernier explique en effet que de nombreux Indonésiens restent peu éduqués et qu’ils s’excitent facilement devant des sites dits « pornos », avec donc le risque de pulsions sexuelles violentes. Il y a 10 ans, elle admet qu’elle aurait crié haut et fort son opposition à cette loi d’un autre temps. Mais elle est à présent apaisée et tente de ne considérer que les bons côtés des choses. Toujours en recherche d’équilibre, elle s’avoue heureuse, car sa famille et ses enfants sont devenus des piliers fondamentaux de sa sérénité.

Ce bonheur se précise avec cette envie de chanter à nouveau. Est-elle prête pour ce retour ? D’un tempérament idéaliste, elle estime encore une fois que “l’envie fait le larron”. C’est-à-dire qu’elle ne considère pas la musique – et l’art en général – comme un véritable business.
En bref : si l’envie de revenir sur scène est forte, c’est quelle est alors prête à affronter son public, dont elle sait qu’il est impatient de la revoir. Elle aspire de toute façon à poursuivre une carrière dans le milieu musical : composer, chanter, c’est sa vie. Et elle a la chance, m’explique-t-elle, d’avoir le soutien de sa famille, et néerlandaise et indonésienne.

La vie d’artiste est ce qu’il y a de mieux, continue-t-elle. “Je n’ai pas à aller au bureau tous les jours, […] je peux me mettre à composer dès que mes enfants sont au lit, […] je ne peux évidemment pas jouer de la guitare et chanter trop fort lorsqu’ils ils dorment, mais je reste libre de pratiquer mon art, et le plus important est que je reste toujours disponible pour mes enfants !”
L’avenir, pour elle, est donc rempli de projets musicaux et elle ne se voit pas prendre un jour sa retraite.
Elle a certes des envies de théâtre, mais elle n’abandonnera jamais la musique, c’est une certitude. “L’Art, c‘est définitivement la Vie !”. Il permet tellement de clarifier ses pensées, son esprit.
Et puis, il y a tant de personnes avides d’argent et de pouvoir, précise-t-elle. La véritable essence de l’Art, c’est de transmettre la culture de ses ancêtres. Rebecca n’échangerait donc sa robe d’Alice pour rien au monde. Sublime artiste !

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A propos de l'auteur
Photographe, réalisateur et producteur, Dominic C. vit en Indonésie depuis une vingtaine d’années, après être littéralement tombé amoureux de ce fabuleux archipel en 1992, lors d’un reportage photographique chez les Papous d’Irian Jaya, qui a été remarqué et distribué par la fameuse agence de presse parisienne, Gamma. Depuis, il a eu la chance de parcourir les îles de la Sonde de fond en comble et se passionne pour les différentes cultures locales, ainsi que pour la sensualité et la volupté qu’offrent les femmes indonésiennes !
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