Environnement
La COP21 vue du Forum Chine-Europe

 

Chine-Europe : changements climatiques et transition civilisationnelle

François Hollande, le président français ; Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères français ; Ban Ki-moon, le secrétaire général des nations Unies et Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) applaudissent après qu’un accord ait été trouvé à la COP21.
François Hollande, le Président français ; Laurent Fabius, le Ministre des affaires étrangères français ; Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies et Christiana Figueres, la secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) applaudissent après qu’un accord ait été trouvé à la COP21. (Crédit : MIGUEL MEDINA / AFP)

Voilà déjà un quart de siècle que les hommes négocient sur le climat. Malgré ce long chemin depuis le Sommet de la terre de Rio en 1992, malgré le protocole de Kyoto visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), les problèmes causés par le réchauffement climatique perdurent et ne sont devenus que plus évidents à mesure que la recherche avance. Les prédictions scientifiques sur le changement climatique se font plus précises, mais le dialogue mondial patine et parfois se bloque, comme l’a montré le peu reluisant Sommet de Copenhague en 2009.

Face à une opinion mondiale qui ne cache plus sa déception, les parties prenantes ont été obligées de démarrer un nouveau tour de négociations sur le climat. Les discussions menées depuis 2010 devaient s’achever en 2015 en France, et c’est à Paris que s’est réveillé l’espoir. La COP 21 a même été considérée par certains comme la dernière opportunité pour sauver la planète et ses habitants du réchauffement climatique.

Le Forum Chine-Europe (FCE) a été fondé en octobre 2005 à l’initiative de la fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme (FPH) et de l’Association des Intellectuels chinois en Europe, avec le soutien de la Henry Fok Foundation et de la Macao Foundation..

Au-delà du texte final, c’est aussi pour la photo que l’on se souviendra de la COP21 à Paris. La Conférence mondiale sur le climat au Bourget (30 novembre – 11 décembre 2015) a non seulement permis de produire un accord ; mais elle a surtout créé les conditions d’un rassemblement de 195 pays et parties autour d’un même engagement destiné à préserver la planète. C’est une première dans l’histoire de la lutte contre le réchauffement climatique, c’est du jamais vu jusqu’alors dans l’histoire des pourparlers sur le climat !

COP à moitié vide ou COP à moitié pleine, le texte final a été diversement reçu.

Certains militants écologistes ont regretté notamment un manque d’engagement contraignant pour limiter l’élévation des températures à un maximum de 2° Celsius. D’autres ont critiqué le peu de précision de la feuille de route concernant les efforts des pays riches vis à vis des pays en voie de développement contraints d’adapter leurs économies aux nouvelles normes en matière d’émission de gaz à effet de serre (GES), tout en s’efforçant de consolider leur croissance.

Le résultat n’est peut-être pas parfait, mais au moins il existe.

Joie des pays participants qui sont parvenus à se mettre d’accord après de longues journées et surtout de longues nuits blanches de discussions techniques et parfois passionnées, joie aussi de la très grande majorité des acteurs et des observateurs présents soulagés d’avoir évité un échec comme celui de Copenhague en 2009, et de contribuer ainsi à la prise de conscience mondiale que l’humanité doit faire face à un défi qui nous concerne tous, sans exception.

Entre difficultés et espoirs

Comparé avec le sommet de Copenhague, le rendez-vous de Paris disposait de plusieurs avantages. En tant que pays hôte de la COP21, le président français, le ministre français des Affaires Étrangères, les ambassadeurs climatiques des communautés civiles ont pu déployer une force de frappe diplomatique sans commune mesure avec ce qui avait été fait précédemment, cela sans parler des activités de lobbying au niveau des capitales et de la société civile, des experts et de l’opinion française. La France a littéralement pesé de tout son poids dans l’organisation de cette conférence.

Parallèlement, un changement d’attitude notable du côté des Etats-Unis et de la Chine a permis de créer une atmosphère favorable à la réalisation des objectifs du sommet. La proposition d’une revue complète tous les cinq ans sur les émissions a également permis de faire un grand pas. Image forte là encore, celle des présidents chinois et français, en novembre 2015, lisant une déclaration commune devant la presse.

Malgré ces avantages, les barrières freinant la production d’un accord comme celles qui ont pesé sur le sommet de Copenhague demeurent. Comment résoudre le paradoxe entre la responsabilité historique des pays développés face à la pollution et les émissions de GES en augmentation dans les pays émergents ?
Comment trouver une solution à cette contradiction majeure entre nécessité de soutenir financièrement la lutte contre le réchauffement dans les pays en développement et sortir de la crise économique dans les pays occidentaux ?

Comment faire évoluer, dans un certain sens, les intérêts de chacun vers l’intérêt général ?

Comment passer du national au planétaire et à une vision d’une communauté humaine réunie face au changement climatique ?

Ces interrogations loin de nous décourager, doivent nous permettre de rester optimistes. Dans l’histoire de l’Homme, ni les désastres naturels, ni la guerre ou la faim ne sont capables de réveiller les consciences comme peut le faire le changement climatique. Le réchauffement de la planète est par essence une question mondiale, qui dépasse les Etats. Il est au départ le résultat des activités de production massive de l’être humain depuis la révolution industrielle et donc en partie de la mondialisation. Il est devenu une préoccupation commune encourageant le monde entier à se regrouper afin de trouver des stratégies de lutte commune, ce qui accélère encore le processus de mondialisation.

Pour autant, des actions mécaniques pour limiter le réchauffement climatique et diminuer les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas suffisantes pour empêcher le désastre. Les efforts à fournir ensemble restent néanmoins difficiles à obtenir, comme tout ce qui concerne le vivre ensemble.

Depuis 2009, des bouleversements ont eu lieu mondialement dans le domaine de l’environnement et la situation n’a pas cessé d’empirer en Chine par exemple. Ainsi, à l’époque du sommet de Copenhague, le problème de la pollution en Chine était déjà évident, mais semblait encore acceptable massivement. Les problèmes environnementaux tels que le réchauffement climatique, la pénurie de ressources naturelles et la détérioration des conditions environnementales ont en effet longtemps été considérés comme de la responsabilité historique des pays développés.

Toutefois, nous avons constaté après 2010 des phénomènes de pollutions récurrents dans la plupart des mégalopoles chinoises, l’émergence consécutive de faits divers liés à l’insécurité alimentaire et une dégradation à la fois de l’eau, du sol et de l’atmosphère. Jusqu’en 2011, parler des redoutables micro-particules de moins de 2,5 microns, les plus nocives pour les poumons et présente en masse dans l’air respiré par les Pékinois était impossible dans les médias chinois.

La réalité a pourtant fini par transpirer sur les réseaux sociaux, et la mairie de Pékin a dû lever la censure. Ce qu’autrefois les autorités chinoises appelaient pudiquement le « brouillard », fait désormais l’objet de longues analyses et même parfois d’éditoriaux en colère. Il faut dire que depuis 2013, le nuage de pollution fait très régulièrement disparaître les paysages de la capitale chinoise et plombe le moral des habitants. La pollution et le mécontentement qu’elle entraîne est même devenue un facteur de menace à l’ordre public. Un phénomène qui a réveillé la conscience des citoyens autour des questions environnementales.

Le concept de « l’anthropocène »

Sur la scène internationale, l’origine, les principes d’évolution et les conséquences du changement climatique font désormais l’objet d’un consensus. Ce consensus n’a pu exister qu’au travers des progrès scientifiques, des pressions de l’opinion, de discussions publiques et des négociations entre gouvernements.

De la conscience à l’action, du gouvernement à l’entreprise jusqu’au public, des progrès considérables ont été réalisés permettant de comprendre la problématique pour lutter contre les changements climatiques. Plus précieusement, la diffusion du concept « d’anthropocène » a aussi joué un rôle important en tant que dispositif idéologique dans la réflexion de la relation entre l’homme et la nature.

De quoi s’agit-il ?

Nous parlons ici d’un concept géographique popularisé en 2000 par Paul Crutzen, chimiste néerlandais et lauréat du prix Nobel de chimie en 1995. L’anthropocène est un stade géologique dans lequel l’influence de l’action de l’Homme prime sur l’évolution naturelle, autrement dit dans lequel les activités humaines sont devenues la contrainte géologique majeur. Ce phénomène entraîne non seulement un déséquilibre, mais il accélère aussi l’évolution naturelle de la Terre. Malgré des débats encore animés, il existe aujourd’hui un consensus sur le sujet. La plupart des scientifiques reconnaissent l’existence d’une causalité entre les actions industrielles et économiques telles que l’exploitation et l’utilisation abusive des ressources de combustibles fossiles, et des problèmes tels que la pollution environnementale, l’augmentation de la population, le réchauffement climatique et l’élévation du niveau de la mer.

C’est un stade de surchauffe.

En exploitant de façon abusive son environnement, l’homme influence de manière radicale et rapide l’évolution naturelle du climat, de l’eau, de la terre et même de la biosphère. Au final, c’est évidemment un risque pour l’Homme lui-même.

Le concept « d’anthropocène » établi donc un lien direct entre l’Homme et son environnement. A ce stade, la nature et l’homme restent étroitement liés et interdépendants. La définition de ce concept a positionné l’homme au cœur du changement sur Terre. Pour ce qui concerne la compréhension de l’homme et de ses liens avec la nature, il s’agit sans doute d’une avancée révolutionnaire. Ce concept a d’ailleurs rapidement été utilisé par les sciences naturelles et les sciences humaines comme l’histoire et les sciences sociales.
Parallèlement, ce concept a permis de mettre en lumière les relations entre actions humaines et l’environnement naturel grâce aux supports de vérification théorique et à des missions d’observation sur terrain. La société civile internationale a ainsi pu se renforcer : elle est devenue la force principale du combat contre le réchauffement planétaire.

Néanmoins, du Sommet de Copenhague en 2009 à la Conférence Rio+20 en 2012, les États et leurs stratégies de développement ont continué à exercer un rôle dominant. Cela a empêché la réunion d’un consensus lors de ces deux conférences, avec un décalage entre d’un côté une exploitation abusive de l’écosystème au nom du développement, et de l’autre une opinion mondiale favorable à un changement de société et à une transformation de nos économies sur la base d’un modèle plus durable.

Des négociations mises en scène pour le public

La lutte contre le changement de climat ne doit néanmoins pas se cantonner aux négociations annuelles des Nations Unies. Autrement dit, elle ne doit pas dépendre de l’intérêt de chaque pays ou de chaque groupe de pouvoir, de la vision étroite qui prétend que le développement prime sur la lutte contre le réchauffement, du conflit entre la souveraineté d’État et intérêt commun, ou bien encore du jeu ambigu entre négociations et accélération des émissions de GES. Mais bien plus de ceux qui y jouent les premiers rôles : à savoir les populations et les groupes de pressions issus de la société civile.

En 1997, le protocole de Kyoto a fixé juridiquement les responsabilités et les engagements de chaque pays en matière de lutte contre le changement climatique. Malgré le fait que la convention ait été signée par Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, elle n’a pas été ratifiée par le Sénat. A la suite de quoi, le Canada, le Japon, l’Australie et la Nouvelle Zélande se sont retirés progressivement du protocole. Ainsi, on le voit bien, il est important de signer des accords, mais l’essentiel reste leur mise en pratique.

Depuis 2009, avec le renforcement du consensus sur le changement climatique, des transferts de puissance ont été observés entre des citoyens favorables aux réformes énergétiques et la diminution efficace des émissions. Les changements de cap des États-Unis, du Canada et même de la Chine pendant cette conférence à Paris sont donc indissociables de l’augmentation des pressions exercées par la société citoyenne. Egalement, nous devons aussi observer les négociations climatiques dans le cadre des actions collectives de l’Homme pour lutter contre le réchauffement. La lutte contre le changement climatique est le résultat d’une série d’actions de la part du monde de la recherche, de réflexions et de confrontations sous tous les angles entre les relations qu’entretiennent l’Homme et la nature. Ainsi, si au niveau de la transformation énergétique, l’industrie moderne est une civilisation basée sur les énergies fossiles – et en particulier la quête infinie de ressources carbones et pétrolière – le changement climatique nous ramène lui a une nouvelle forme de civilisation basée sur les énergies renouvelables.

On le comprend bien, l’influence du changement climatique ne déborde pas seulement sur les sciences naturelles, la politique, l’économie et la biologie ; elle a également un impact sur les conditions de vie de chaque citoyen. De ce point de vue, la lutte contre le changement climatique doit être réalisée au travers d’actions concrètes menées individuellement par chaque citoyen afin de diminuer nos empreintes carbones.

Néanmoins, les actions individuelles des citoyens ne sont qu’une partie de la lutte contre le changement de climat.

Le plus important ce sont les moyens d’agir, de produire et de s’organiser ensemble.

Autrement dit, la lutte contre le changement climatique est un projet systémique pour toutes les parties prenantes de la société. Pour pouvoir récolter les fruits de cette lutte, impossible d’en rester au niveau de la signature des conventions et des promesses des gouvernements sur la scène internationale. Car, il ne faut pas oublier que les promesses faites par les gouvernements dépendent de la surveillance et des encouragements de la société civile.
Ainsi, au-delà de la mise en œuvre de ces promesses, une transformation fondamentale du modèle de développement, de la gouvernance d’État et des moyens d’intégration des citoyens doit être réalisée de manière à se confronter efficacement au défi du changement climatique.

Par Chen Yan, directeur exécutif du Forum Chine-Europe

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A propos de l'auteur
Le Forum Chine-Europe (FCE) a été fondé en octobre 2005 à l’initiative de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme (FPH) et de l’Association des Intellectuels chinois en Europe avec le soutien de la Henry Fok Foundation et de la Macao Foundation. Il est né du désir de nombreux intellectuels chinois de mieux comprendre la construction de l'Union européenne et de voir les leçons qui pouvaient en être tirées pour la Chine. L'Europe présente, en effet, aux yeux de la Chine, plusieurs singularités intéressantes : continent peuplé et disposant de ressources naturelles limitées, l’Europe recherche un équilibre entre unité et diversité et entre efficacité du marché et justice sociale ; elle est pionnière dans la transition vers des sociétés durables. Pour en savoir plus, le site du Forum.
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