Les jeunes Taïwanais de France votent Tsai Ing-wen
Rappelons que l’échiquier politique taïwanais se divise en deux camps : d’un coté la coalition pan-bleue, pro-unification et revendiquant une identité plus chinoise. Durant ses deux mandats (2008-2016), le président sortant Ma Ying-jeou a développé une politique de rapprochement avec Pékin. Il s’est heurté à un fort mécontentement social qui a débouché sur le mouvement étudiant dit des Tournesols. De l’autre côté, la coalition pan-verte est en faveur de l’indépendance et revendique une identité purement taïwanaise ; même si Tsai Ing-wen n’a pas fait de l’indépendance un axe de sa campagne présidentielle.
Principales victimes du ralentissement économique de l’île, le rapport des jeunes Taïwanais à la politique est représentatif du fossé générationnel dans l’île : les aspirations politiques des anciens se tournent généralement vers le Kuomintang ou vers le Parti Démocrate Progressiste pour des raisons historiques. Pour prendre du recul, Alice Hérait a rencontré trois jeunes Taïwanais basés à en France. Comme tous leurs compatriotes installés à l’étranger, ils ne peuvent pas voter. Comment perçoivent-ils les enjeux de ces élections dans leur pays d’origine ? Entretiens.
ENTRETIEN
Li Sheng, 25 ans, est originaire de Taipei. Il est diplômé de science politique à l’Université Nationale de Taïwan. Arrivé en France en décembre dernier, il suit une formation dans le domaine culinaire.
En ce qui concerne James Soong, le leader du People First Party (親民黨 ou PPF), je pense que certains jeunes votent pour lui à cause de sa réputation. C’est un réel acteur du corps politique taïwanais et ce depuis longtemps. Il a beau ne pas axer son discours sur l’éducation, lorsqu’il était gouverneur de la province de Taïwan [l’une des deux divisions administratives régionales de l’île, qui couvre 69% du territoire, à ne pas confondre avec la République de Chine, nom officiel de l’Etat, NDLR], il a prouvé qu’il pouvait écouter les jeunes et qu’il savait comment les attirer.
Mais ce qui nous importe, c’est avant tout de voter contre le KMT. En ce qui me concerne, c’est ce qui influencerait le plus mon vote si je pouvais voter : ce Parti a presque tous les pouvoirs depuis son arrivée sur l’île en 1949. Même lors des huit années de Chen Shui-bian (le seul président de la République issu du DPP), les membres du KMT étaient majoritaires au Yuan législatif. De plus, c’est un parti corrompu, qui a acquis son capital de façon illégale lorsqu’il a instauré sa dictature sur Taïwan.
Aujourd’hui encore, le Kuomintang contrôle les manuels scolaires en limitant au maximum la mémoire des crimes qu’ils ont commis. Par exemple, c’est seulement à l’université que j’ai appris en détails ce qu’était la « terreur blanche » [répression sanglante du soulèvement contre le gouvernement du Kuomintang le 27 février 1947, NDLR]. Enfin le « mouvement des tournesols » a montré que les jeunes Taïwanais désapprouvaient la politique de rapprochement avec Pékin. Tsai Ing-wen, elle, a convenu dans son discours que ce serait le peuple taïwanais qui déciderait de l’avenir des relations avec le continent. Je ne sais pas si elle va tenir ses promesses, mais on espère une alternative à la politique du KMT.
Le facteur économique vient ensuite. Là aussi, Ma Ying-Jeou a fait des promesses qu’il n’a pas tenues. La situation du pays ne s’est pas améliorée pendant son mandat et le salaire minimum a baissé. Par contre, je ne suis pas inquiet pour mon avenir. Je pense que la situation va s’améliorer. J’ai confiance en Tsai Ing-wen, mais pas en tous les membres du DPP. Je crains que le KMT puisse influencer les décisions du Yuan législatif et que la politique du pays soit trop contradictoire.
J’estime par ailleurs que l’indépendance de Taïwan n’est même pas un sujet sur lequel on peut discuter, car l’île est déjà indépendante de fait : nous avons notre propre système politique. Cependant, il y a un réel problème puisqu’une déclaration officielle d’indépendance ne serait pas reconnue par les pays qui ont des relations diplomatiques avec la Chine, ce qui correspond presque à l’ensemble de la communauté internationale. La Chine de son côté menacerait d’isoler Taïwan sur le plan économique, et cela pourrait être dangereux pour l’île.
ENTRETIEN
Originaire de Taipei, Tzu-chien, 28 ans, vit en France depuis trois ans.
Malheureusement, voter à distance est impossible pour les nombreux Taïwanais à l’étranger. Mais si je pouvais voter, je donnerais ma voix à Tsai Ing-wen : elle propose des solutions plus pertinentes pour relancer l’économie.
En revanche, pour l’élection des membres du Yuan législatif, je voterais pour le New Power Party (時代力量), un petit parti qui focalise son attention sur la réforme du Yuan législatif et de la Constitution, notamment l’abolition des articles confus en rapport avec la souveraineté du pays et le renforcement du droit de référendum.
ENTRETIEN
Originaire de Nantou au centre de l’île, Yu-ting, 24 ans, est passionnée d’art culinaire. Elle vit en France depuis un an et demi afin de poursuivre ses études dans l’hôtellerie.
En soi, si j’étais à Taïwan, je voterais probablement pour Tsai Ing-wen. Elle propose des choses plus réalisables économiquement et défend un marché propre à Taïwan, contrairement au président sortant Ma Ying-jeou qui n’a fait qu’accroître notre dépendance à la Chine.
D’autre part, les questions identitaires pèsent encore beaucoup sur les débats électoraux : la jeunesse souhaite du changement et prend moins part aux débats de nature historique. En cela, je pense que nous avons tendance à favoriser les petits partis tels que le New Power Party : ces groupes de nouvelle génération placent sur le devant de la scène des problèmes plus concrets.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don