Environnement
La COP21 vue du Forum Chine-Europe

 

COP21 : "Poser la première pierre"

A l’entrée du lieu où se déroulera la COP21, au Bourget, le drapeau de chaque Etat participant est exposé. A gauche, celui de la Chine. (Crédit : DOMINIQUE FAGET / AFP)

Contexte

La COP21 n’est pas seulement le sommet des gouvernements sur le climat. La société civile s’est fortement mobilisée et la France lui a fait sa place au Bourget, où se tiendra la Conférence du 30 novembre au 11 décembre. Nous vous proposons de suivre l’expérience d’une ONG avant, pendant et après la COP21 : le Forum Chine-Europe (FCE), dont le rôle est de mettre en réseau la Chine et l’Europe sur le climat et le développement durable.

Le Forum a été fondé en octobre 2005 à l’initiative de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme (FPH) et de l’Association des Intellectuels chinois en Europe, avec le soutien de la Henry Fok Foundation et de la Macao Foundation.

Chen Yan, le directeur exécutif du Forum nous explique comment l’ONG s’est préparée à la COP21, les défis qu’elle a dû relever, les objectifs qu’elle s’est fixés et ses espoirs pour la réussite de ce que beaucoup appellent la “Conférence de la dernière chance” sur le climat.

Pourquoi et comment le Forum Chine-Europe s’est-il investi sur la question du climat ?
Chen Yan : Au bout de 7 ans d’exercice, le Forum Chine-Europe ne pouvait pas continuer d’élargir les sujets de dialogue à l’infini. En 2007, nous avons organisé un très grand forum avec presque mille personnes, dont 400 Chinois. Notre édition suivante en 2010 a regroupé 800 participants à Hong Kong, autour de thèmes encore plus larges : une soixantaine d’ateliers de travail traitant de sujets allant des ONG au droit, en passant par l’environnement, le nationalisme, l’industrie, la pèche ou l’agriulture. Après 2010, beaucoup nous ont suggéré de réduire les champs du dialogue, car nous n’arrivions pas à organiser un véritable suivi des dizaines d’ateliers du Forum.
En 2012, nous avons participé à la Conférence Rio+20 de l’ONU sur le développement durable. C’est à ce moment-là que nous avons orienté notre action sur l’environnement, le développement durable et le climat. Le changement climatique est devenu le sujet premier depuis 2014. La COP20 et la COP21 étaient dans notre horizon. Il s’agissait d’une dynamique internationale dans laquelle le Forum devait s’inscrire pour exercer une mission avec une portée plus importante : il semblait alors plus facile de maîtriser les éléments du dialogue entre la Chine et l’Europe, car tout le monde pouaait se fixer sur l’objectif de la COP. D’un côté, nous pouvions engager une réflexion intellectuelle en profondeur, et de l’autre, une stratégie pratique car il devenait plus facile de travailler sur des domaines limités afin de mieux maîtriser notre sujet.
Quels sont les objectifs et le rôle que se donne le Forum Chine-Europe en participant à la COP21 ?
La COP21, c’est d’abord une COP vraiment importante. Car vu l’échec de 2009 à Copenhague, la COP devait être saisie par tout le monde : il fallait une participation dynamique des sociétés civiles, qui se mobilisent ensemble. Ce sera un élément tout à fait positif pour que cette COP21 fasse mieux qu’en 2009. Dans cette perspective, je pense que le Forum vise d’abord une mobilisation pour une participation de l’ensemble de la société civile européenne et chinoise pour contribuer à une cause mondiale. Par ce biais, la société civile chinoise pourra être intégrée à une dynamique internationale – car il lui manque précisément une dimension internationale, contrairement à la société civile européenne, dont le positionnement est déjà global.
Notre 2ème objectif, c’est notre texte commun. Au début 2014, nous avons mis beaucoup d’énergie pour qu’à la fois en Chine et en Europe des représentants des sociétés civiles s’investissent sur le climat, et pour qu’un texte émerge et soit signé en Europe et en Chine. Il fallait que ce texte soit aussi consultable et discuté dans les forums Internet, et que tous les internautes intéressés puissent s’exprimer dessus. Nous avons plutôt bien réussi, car fin 2014, nous sommes parvenus à mobiliser 300 Européens et Chinois pour venir à notre Forum en France. Ils ont participé à 12 ateliers dans les grandes villes françaises, mais aussi à Bruxelles et Genève, pour discuter section par section, phrase par phrase, un texte rédigé par des experts chinois et européens. Au final, nous avons obtenu un texte commun signé par une partie non négligeable de la société civile. C’est un succès, car c’est le premier texte sino-européen sur le climat qui accorde une place importante à la société civile sur les deux continents.
Le 3ème objectif pour nous est de mobiliser massivement pour une prise de conscience, surtout en Chine, sur les problèmes environnementaux et la question du réchauffement climatique. Une grande partie des médias chinois nous ont suivi et les internautes ont largement consulté nos publications et nos débats. Nous avons mobilisé des dizaines d’experts de la question climatique, aussi des officiels en charge du dossier sur le climat… Par exemple, nombre de nos interviews sont consultables sur des sites officiels comme celui du Quotidien du peuple.
Nous venons de sortir un recueil en chinois intitulé Changement climatique et transition verte (Qihou bianhua yu lüse zhuanxing). Il rassemble nos interviews, les discours-clés et une synthèse de notre conférence en 2014, des entretiens par les médias chinois avec des experts chinois et européens. Le livre se compose aussi de portraits d’activistes des ONG chinoises et d’enquêtes réalisées par des associations de jeunesse, des étudiants, sur la lutte contre le réchauffement climatique. Des enquêtes par exemple dans la province côtière du Jiangsu, dans une campagne. Là, des étudiants ont comparé l’état d’une rivière avant – avec des poissons -, puis quelques temps plus tard. Elle est maintenant complètement polluée, et les villageois sont partis car il n’y avait plus d’eau potable… Cela permet de comprendre la situation actuelle causée par la pollution et ses impacts sur la vie pratique des villageois.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans la préparation de votre participation à la COP21 ?
Nous sommes une petite ONG, même si nous organisons de grandes réunions. Vu nos petits effectifs, il a parfois été difficile de suivre le processus bureaucratique de la COP et de surveiller les procédures d’inscription. En ce qui concerne les soutiens financiers, c’est l’autre difficulté pour une ONG qui organise ce genre d’événement. Des fondations internationales peuvent subventionner de petits projets concrets dans un village. Mais une ONG qui organise des rencontres, ils trouvent que ce n’est pas concret. On ne voit pas ce que ça peut donner. C’est une difficulté réelle.
Néanmoins je pense qu’il faut qu’il y ait des organisations qui remplissent notre mission. Les différents acteurs du développement durable ne peuvent pas toujours travailler dans leur coin, sans avoir une vision mondiale. Et ce n’est pas facile pour une ONG chinoise qui travaille dans un village, car elle est isolée du monde. En France, en Europe, il y a tout le temps des réunions et de la communication entre ONG. En Chine, ce n’est pas pensable. D’où notre utilité, à savoir la mise en réseau international dans lequel on réunit des ONG chinoises et européennes avec des entreprises des deux continents. Cela profite à chacun pour la connaissance mutuelle, pour une connexion de plus, un tuyau de plus. Cette plate-forme est un plus car si les entreprises étatiques chinoises ont du réseau avec les entreprises françaises, les entreprises privées chinoises ont beaucoup moins de moyen pour se connecter aux entreprises internationales.
Après les attentats et la restriction des manifestations sur le climat, partagez-vous les critiques sur une COP21 réservée aux gouvernements et dont la société civile serait exclue ?
Ce n’est pas l’impression que nous avons eue, car au Bourget, à côté de la zone de négociations officielles, il a été créé une zone dédiée à la société civile. Cette zone est maintenue et nous en faisons partie. Il y avait 900 demandes d’ONG et d’associations pour organiser des actions et seules 100 organisations ont été retenues.
Bien entendu, je regrette l’annulation de la marche pour le climat, c’était une grande opération. Mais on peut aussi comprendre les circonstances. J’aurais préféré qu’on l’organise mais en cas de problème de sécurité, la responsabilité revient au gouvernement français. La prudence n’est pas dénuée de raison. Je suis partagé, car quand je vois à Bruxelles les quelques jours d’alerte maximale, de fermeture du métro, des écoles, le télétravail encouragé… c’est un peu exagéré… En regard, la France a maintenu beaucoup de choses. Pour le moment, on ne sent pas de grosses contraintes.
Quel est le programme de vos événements et activités pendant la COP21 ?
Cette année, le programme du Forum est concentré sur la venue d’une délégation d’entrepreneurs privés de Chine. Les activités se divisent en deux parties principalement. La première est notre grand side event organisé au Bourget ce mardi 1er décembre. Nous présenterons divers textes : notre texte commun, une déclaration commune des entreprises autour d’Alashan SEE (une fondation d’entreprises privées qui finance la plus grande part des ONG vertes chinoises), et une autre déclaration sur la ville par l’association chinoise China Urban Realty (Zhongcheng lianmeng) qui réunit des entreprises dans le secteur de la construction urbaine.
Nous organisons ensuite une table ronde qui discutera essentiellement de l’économie circulaire et de la loi environnementale. C’est une demande des participants chinois, qui considèrent que la Chine a fait des pas de géants dans ce domaine. La loi sur l’environnement a été entérinée à Pékin. Plusieurs textes officiels sont été publiés sur la question, et la délégation chinoise souhaiterait en parler. Ces textes législatifs proposent plusieurs avancées : comment punir les pollueurs, comment aider les ONG à faire des procès contre les pollueurs.
On parle ici des ONG chinoises enregistrées avec la tutelle d’un organe officiel (les « organisations sociales » – shehui zuzhi – et les « organisations à but non lucratif » – feiyingli zuzhi) ; car il n’y a pas de statut autorisé pour les ONG vraiment indépendantes du gouvernement chinois. Ces ONG peuvent donc théoriquement porter plainte contre une entreprise qui pollue. Maintenant, ce n’est pas toujours évident en réalité. Prenez l’exemple de l’organisation chinoise Friends of Nature (ziranzhiyou). Elle est enregistrée à Pékin dans le district de Haidian, donc selon la loi, elle ne peut pas agir en dehors. Or, elle a vocation à être présente dans toute la Chine. Donc ce n’est pas possible de porter plainte contre un pollueur hors de son district.
Notre événement doit enfin permettre de fonder une plate-forme sino-européenne spécialisée dans le developpement durable. Nous avons créé un prix vert sino-européen – ce qui n’existait pas avant – qui sera attribué à 10 villes, 10 fondations et 10 entreprises, chinoises et européennes à part égale. Ce sera la première pierre et nous voudrions que ce prix gagne en impact et en influence dans les prochaines années. Wang Zhenyao, l’un de nos partenaires et organisateur de ce prix, espère qu’il pourra aider le gouvernement chinois à faire avancer la cause de l’environnement. Car la voix officielle ne suffit pas en Chine, elle n’est pas assez crédible parfois. Il faut que la société civile se mobilise pour créer des choses indépendantes, qui soient donc crédibles.
Pourquoi se concentrer sur les entrepreneurs chinois ? Quel est leur rôle en Chine sur la question climatique ?
Les entrepreneurs privés pourraient jouer un grand rôle. Leur position est différente des entreprises d’Etat qui, même si elle ont pris conscience de l’urgence climatique, mettent beaucoup de temps à concrétiser leur action à cause de la bureaucratie et parce que la décision vient d’en haut, donc c’est plus difficile de les faire bouger. Au contraire, pour les entreprises privées, il est plus facile de s’adapter. Dans beaucoup de secteurs, il y a la concurrence du marché : si des entreprises privées ont des coûts de production moins cher tout en consommant moins d’énergie, ce genre d’innovation se diffuse très vite et peut influencer beaucoup d’entreprises, y compris des entreprises d’Etat.
Par exemple, le groupe privé Yuanda (Hunan) est leader dans la construction durable. Son Pdg Zhang Yue, comme le Pdg de Vanke, Wang Shi, sont aussi des leaders d’opinion, très influents dans les médias. Une partie de nos participants entrepreneurs viennent de Canton où ils suivent un stage à l’université Sun Yat-sen. Ce stage forme des « classes bas carbone » (ditanban). Ce genre de classe va se multiplier dans les universités ou les instituts de recherche.
La mobilisation de la société civile chinoise n’est-elle pas compliquée par la répression politique actuellement en Chine ?
C’est très difficile en ce moment. Pour bien comprendre ce qui se passe en Chine, il faut distinguer plusieurs catégories d’organisations dans la société civile. D’abord, les ONG de défense des droits de l’homme autour des avocats – elles sont plus ou moins clandestines et l’objet principal de la répression. Ensuite, les ONG qui travaillent sur éducation, l’aide à la pauvreté, aux victimes de maladies particulières – elles se sentent visées mais sont relativement moins victime du durcissement politique. Enfin, troisième catégorie : les ONG qui travaillent sur l’environnement – elles ne sont pas encore visées directement. Mais avec des directives politiques qui semblent se resserrer sur les activités des ONG, les organisations vertes se sentent elles aussi menacées et peuvent rencontrer plus de difficultés opérationnelles qu’auparavant.
Cependant, il faut noter que les ONG sur le climat font parties des rares domaines que la politique officielle chinoise préserve pour montrer un visage qui s’inscrit en quelque sorte dans les valeurs universelles, malgré tout. L’équipe actuellement au pouvoir en Chine n’a pas beaucoup de cartes à jouer pour gagner l’adhésion internationale. La Chine est impliquée dans des conflits en tous genres : territorial avec le Japon, politique avec Hong Kong, commerciale et géostratégique avec les Etats-Unis. Un des rares domaine ou le gouvernement chinois peut montrer sa bonne volonté, c’est bien le climat… A cause en partie de la très grave pollution en Chine, c’est dans son intérêt de faire des efforts pour le pays et pour la communauté internationale. Nous avons donc une fenêtre : le climat. Ceux qui agissent dans ce domaine trouvent encore un peu d’espace. Pour le Forum, c’est le bon levier pour maintenir les relations avec la société civile chinoise et avancer petit à petit sur d’autres sujets.
Qu’espérez-vous de la COP21 ? Pourra-t-on parvenir à un accord légalement contraignant sur le climat ?
Je suis plutôt optimiste. Bien sûr, j’ai tout à fait conscience que le Forum, tout en jouant son rôle de sensibilisation, ne peut pas avoir d’influence directe sur les décisions qui seront prises dans les négociations intergouvernementales. Mais sur le plan pratique, on peut considérer que le gouvernement chinois a intérêt à faire quelque chose dans le domaine du climat, où il y a beaucoup à gagner et peu à perdre. Xi Jinping montre un intérêt clair pour la COP cette année. Nos partenaires, les entreprises privées chinoises qui viennent participer à la COP sont optimistes elles aussi sur un accord contraignant car elles pensent que la présence de Xi Jinping à Paris est de bonne augure. Tout ne dépend pas de la Chine mais si la Chine veut un accord contraignant, il y a de l’espoir. La déclaration franco-chinoise lors du voyage de François Hollande à Pékin, pour une révision tous les 5 ans des objectifs d’émission. C’est très important car cela donne un espace pour mobiliser la société civile et les forces internationales.
Mais pourtant, les Etats-Unis, par la bouche de John Kerry, ont dit qu’ils ne voulaient pas d’un accord légalement contraignant au sens d’un traité….
En réalité, quand on dit contraignant, il faut bien s’entendre. Si la Chine dit : “on veut un accord contraignant”, c’est une chose. Mais après, qui et comment pourra-t-on sanctionner la Chine si elle ne respecte pas ses engagements ? Je pense qu’à travers le mot contraignant, cela signifie surtout une volonté de bien faire les choses et d’aller de l’avant sur le climat. Juridiquement, ce sera très difficile. L’important, c’est de lancer le processus et d’être d’accord pour continuer dans cette direction. Les Etats-Unis émettent moins que la Chine, qui devient de loin le plus gros émetteur de gaz à effets de serre. Si la Chine fait son travail vraiment, il y a une forte chance que les autres pays la suivent, étant donné que l’Europe et les Etats-Unis sont quand même très en avance par rapport aux pays émergents.

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A propos de l'auteur
Le Forum Chine-Europe (FCE) a été fondé en octobre 2005 à l’initiative de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme (FPH) et de l’Association des Intellectuels chinois en Europe avec le soutien de la Henry Fok Foundation et de la Macao Foundation. Il est né du désir de nombreux intellectuels chinois de mieux comprendre la construction de l'Union européenne et de voir les leçons qui pouvaient en être tirées pour la Chine. L'Europe présente, en effet, aux yeux de la Chine, plusieurs singularités intéressantes : continent peuplé et disposant de ressources naturelles limitées, l’Europe recherche un équilibre entre unité et diversité et entre efficacité du marché et justice sociale ; elle est pionnière dans la transition vers des sociétés durables. Pour en savoir plus, le site du Forum.
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