Société
Analyse

Japon : l’accueil au compte-gouttes des réfugiés

Des membres de l’Association communautaire des résidents Rohingya Birmans au Japon manifestent à dans le quartie de Shibuya à Tokyo lors de la journée mondiale des réfugiés, le 20 juin 2015. La marche a appelé le gouvernement japonais à accorder davantage d’attention à cette minorité musulmane et apatride de Birmanie. (Crédit : Reiri Kurihara / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun / via AFP)
Alors que l’Europe est en pleine crise des réfugiés, menacés d’amalgames dangereux suite aux attentats de Paris, la question de l’accueil des déplacés est tout aussi brûlante en Asie. Au Japon, la situation est paradoxale. Généreux donateur dans l’aide aux réfugiés hors de son territoire, Tokyo accorde l’asile à très peu d’entre eux sur son sol. Pourquoi une telle politique ? Les explications sont à la fois juridiques et administratives.
Persécutions, conflits, violations des droits humains… Autant de raisons qui ont poussé près de 60 millions de personnes dans le monde à quitter leur foyer en 2014. Soit 8 millions de plus en un an. Dans la communauté internationale, le Japon est un des principaux acteurs venant à l’aide de ces populations déplacées. En incluant les donateurs privés, il est le deuxième contributeur au Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés en 2015, derrière les États-Unis. Il est par ailleurs impliqué dans la construction d’infrastructures et la fourniture de denrées alimentaires en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient pour des millions de déplacés. La situation est en revanche très différente à l’intérieur du pays, où le nombre de demandeurs d’asile acquérant le statut de réfugiés reste extrêmement bas.

Contexte

Le Japon a signé la convention de 1951 relative aux statuts des réfugiés en octobre 1981, ainsi que le protocole trois mois plus tard. Il applique depuis une procédure d’asile régie par la loi sur le contrôle de l’immigration et la reconnaissance des réfugiés. « De manière générale, un réfugié est défini comme une personne qui est en dehors du pays dont il ou elle a la nationalité, en raison d’une crainte légitime d’être persécuté du fait de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social particulier ou son opinion politique et ne peut ou, à cause d’une telle crainte, refuse de profiter de la protection de ce pays », indique le ministère japonais de la Justice dans son dernier livre blanc sur l’immigration.

De 1982 à 2014, le ministère de la Justice a recensé 35 965 demandes en première instance et en appel, et accordé 633 statuts de réfugié – soit un taux de reconnaissance de 1,76 %. Après une légère hausse au milieu des années 1990, le nombre de demandes s’est largement accru à partir de 2006 et surtout de 2010.

Des demandeurs d’asile de plus en plus nombreux

Le nombre de demandeurs d’asile ne cesse d’augmenter dans l’Archipel ces cinq dernières années. Jusqu’à atteindre un record en 2014, avec 5 000 cas en première instance (dont 17 % en situation irrégulière), soit quatre fois plus qu’en 2010. Si la majorité d’entre eux viennent du Népal, de Turquie, du Sri Lanka et de Birmanie, soixante-treize nationalités sont concernées. En raison de nombreux facteurs – politiques, économiques, environnementaux – la tendance se renforcera. En 2015, ce chiffre pourrait même dépasser la barre des 6 000 demandes, compte tenu des 3 020 dépôts déjà enregistrés au premier semestre.
Les bureaux de l’immigration, implantés dans la capitale nipponne et en région, sont chargés de recueillir et d’examiner les dossiers. Disponibles en vingt-sept langues, ils comportent une douzaine de pages à remplir. « Que vous arrivera-t-il si vous retournez dans votre pays ? Donnez une description détaillée prévue et ses raisons. » « Avez-vous été arrêté(e) par la police et accusé(e) par des procureurs d’infraction criminelle avant de venir au Japon ? » Les réponses doivent être précises.
Après le dépôt, les entrevues. Chaque interrogateur, bien préparé, écoute l’histoire du demandeur d’asile et lui pose une série de questions. L’objectif est de bien se comprendre, d’un côté comme de l’autre. Ce qui justifie la présence d’un interprète. « J’ai besoin d’avoir un œil averti afin d’être capable de déterminer quelle information est crédible et objective », témoigne Yoko Tsuji, interrogatrice au bureau de l’immigration de Nagoya, dans un rapport du ministère de la Justice.
La procédure est longue. En 2015, la période de traitement, du dépôt à la réponse, est en moyenne de 8,1 mois en première instance. « L’objectif est de l’abaisser à six mois, mais certaines personnes attendent plus de trois ans avant le premier examen », explique Yasufumi Moritani, maître de conférences à l’Université de Hokkaido Kyôiku et conseiller de l’Association japonaise pour les réfugiés. Le délai est allongé en cas d’appel. Durant ces longs mois d’attente, quoiqu’un permis de séjour provisoire soit requis, le demandeur d’asile n’est pas expulsé. Une assistance financière, limitée, peut lui être versée par le gouvernement et des ONG.

0,2 % des demandes acceptées

En 2014, seuls 11 demandeurs d’asile ont obtenu le statut de réfugié et de résident à long terme, dont 5 en appel. Cette dernière procédure, depuis 2005, consiste en un dépôt d’obstruction puis un réexamen par des conseillers (professeurs, diplomates, journalistes, etc.), avant la prise de décision finale par le ministre de la Justice. Le taux de reconnaissance, en première instance et en appel, est extrêmement bas : 0,2 % en 2014, contre 5,4 % en Corée du Sud la même année. Mais depuis 2010, des Birmans réfugiés en Thaïlande obtiennent également le statut de réfugié au Japon dans le cadre d’un programme de relocalisation : 23 d’entre eux étaient concernés en 2014 – soit moins que les 30 prévus chaque année. Enfin, certaines personnes obtiennent l’autorisation de rester au Japon pour des raisons humanitaires : elles étaient 110 en 2014.
Pourquoi un taux de reconnaissance si bas ? L’interprétation de la convention par le bureau japonais de reconnaissance des réfugiés est très stricte. « Dans d’autres pays, le fait que des réfugiés aient participé à des manifestations peut être un motif de persécution, explique Yasufumi Moritani, ce spécialiste des questions sociales. Mais au Japon, on a fortement tendance à n’accepter que les gens qui étaient au cœur d’activités anti-gouvernementales et ceux qui ont été effectivement torturés. » Il faut préciser qu’il n’existe pas de définition universelle du terme persécution.
En cas de refus en appel, le dossier peut être réexaminé devant un tribunal. Mais la procédure devient payante. Il est aussi possible de refaire une demande en première instance si une nouvelle situation le justifie.

Une vie de réfugiés

Les demandeurs d’asile, pour travailler, doivent détenir un permis de travail. La procédure est longue et compliquée. Beaucoup exercent alors un emploi non déclaré pour survivre, les aides accordées par le gouvernement et les diverses associations n’étant souvent pas suffisantes.
La situation s’améliore dès l’obtention du statut de réfugié. Concernant l’éducation des enfants, les parents de nationalité étrangère ne sont pas tenus de les scolariser dans une école japonaise. « Les municipalités proposent une école aux parents étrangers, mais certains choisissent un établissement ethnique ou une école qu’ils ont établie eux-mêmes », ajoute Yasufumi Moritani.
Les réfugiés adultes se voient notamment attribuer le droit de travailler et de bénéficier de l’assurance-maladie. Au contraire des personnes détentrices d’une permission spéciale de séjour pour raison humanitaire, ils bénéficient aussi d’une formation gratuite à la langue japonaise. Utile pour exercer un emploi et s’intégrer socialement, elle est cependant insuffisante (572 heures).
Des initiatives privées naissent pour tenter d’améliorer leur situation. Depuis 2011, l’entreprise de vêtement Uniqlo offre ainsi aux réfugiés la possibilité de devenir plus autonomes à travers des stages de 3 à 6 mois dans ses magasins au Japon, pouvant débouchés sur des emplois pérennes. Un programme qui a bénéficié à trois personnes en 2014 selon la société.
Par Jean-François Heimburger

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A propos de l'auteur
Jean-François Heimburger est journaliste indépendant et chercheur associé au CRESAT (laboratoire de l’Université de Haute-Alsace). Spécialiste du Japon, il est auteur de l’ouvrage "Le Japon face aux catastrophes naturelles" (ISTE Éditions, 2018).