Société
Le regard d’Eglises d’Asie

 

Singapour : coup de torchon sur la plus importante méga-church

Un cycliste passe devant le siège de la City Harvest Church le 26 juin 2012. (Crédit : ROSLAN RAHMAN / AFP).
Tous coupables. C’est le verdict qui est tombé le 21 octobre pour le Rev. Kong Hee, fondateur d’une des plus importantes Eglises évangéliques de Singapour, la City Harvest Church, et cinq de ses plus proches collaborateurs. Ils ont été reconnus coupables d’abus de confiance et de falsification de comptes, ayant détourné une somme de 50 millions dollars de Singapour (SGC), soit 32 millions d’euros, afin de financer la carrière musicale de Ho Yeow Sun, chanteuse pop et épouse du Rev. Kong Hee.
Le procès de la City Harvest Church est devenu le procès pénal le plus cher de l’histoire de Singapour. Après 141 jours au tribunal, les frais judiciaires pourraient s’élever à plus de dix millions de dollars, selon les avocats. Les sommes astronomiques d’argent impliquées dans l’affaire mettent en lumière non seulement le phénomène de la City Harvest Church, mais également le fonctionnement même de ces ‘méga-churches’.
Fondée en 1989 autour d’une communauté d’une vingtaine de membres, la City Harvest Church est devenue, en quelques années, l’une des plus importantes églises évangéliques de la cité-Etat. Le Rev. Kong Hee, jeune diplômé en informatique devenu pasteur charismatique, dit vouloir annoncer l’Evangile au monde moderne de manière progressive et sincère. Les services religieux n’ont rien à envier aux meilleurs concerts de musique pop et tout est mis en scène pour que chacun se sente accueilli dans une atmosphère chaleureuse et conviviale. Une des particularités du discours est la mise en valeur de la réussite économique ; le message de « l’Evangile de la prospérité » est simple : « Plus vous donnez, plus vous recevrez en retour de la part de Dieu. Votre don à l’Eglise est en fait un investissement. ».
Selon la doctrine professée par les méga-churches, « la prospérité matérielle est la manifestation et la conséquence de l’obéissance aux commandements de Dieu. ». Un concept qui semble rencontrer les attentes d’un nombre croissant de jeunes de Singapour.
« C’est extrêmement séduisant pour de nombreux Singapouriens, mobiles socialement et qui sont à la recherche de certaines valeurs morales alors qu’ils tentent de monter dans l’échelle sociale », analyse Terence Chong, chercheur à l’Institut d’Etudes du Sud-Est asiatique (ISEAS).
Et la prospérité sera en effet au rendez-vous pour le Rev. Kong Hee ; la congrégation comptera plus de 30 000 membres à son apogée, et en 2001, un lieu de culte permanent aux allures du musée Guggenheim de Bilbao, est construit à Juron West (à l’Ouest de Singapour).
En 2002, la City Harvest Church lance le projet « Crossover » dans le but de financer la carrière musicale de Ho Yeow Sun, elle-même fondatrice de l’église avec son mari, afin de répandre l’évangile à travers sa musique. La chanteuse a eu un succès modeste dans la région avec des albums de chansons en chinois. Mais dès 2003, Roland Poon, un des membres de l’église tire la sonnette d’alarme avec des allégations de malversations financières, affirmant que la carrière de Mme Ho est financée par les dons des fidèles. Il fera marche arrière et présentera des excuses, après que l’église ait menacé de le poursuivre en justice.
Ho Yeow Sun tenta finalement de pénétrer le marché américain. Elle apparut dans plusieurs clips vidéo qui firent pas mal de bruit notamment sur les réseaux sociaux. De nombreux commentaires ridiculisèrent le côté peu chrétien de la mise en scène, « c’est une honte pour tous les Singapouriens et les chrétiens », commentaient certains. Par ailleurs, la vie de luxe menée par la chanteuse à Los Angeles dans sa maison de Hollywood Hills est apparue en décalage avec le discours de son mari demandant à chacun de se serrer un peu la ceinture pour donner plus à l’église.
Les autorités singapouriennes ayant reçu des plaintes en 2010 finirent par ouvrir une enquête. C’est au terme de deux années d’investigations menées par le Bureau des Affaires commerciales de la police de Singapour que le scandale a éclaté et que les responsables ont été arrêtés. Au tribunal, les procureurs ont mis en avant les irrégularités comptables détectées pour un montant initial de 24 millions de dollars, somme qui a été augmentée ensuite de 26 autres millions qui auraient servi à tenter de camoufler ces premiers détournements. L’argent détourné fut investi dans une entreprise de production de musique et un fabricant de verre indonésien, mais ces entreprises étaient dirigées par des fidèles de longue date de la City Harvest Church et les fonds furent en fait utilisés pour soutenir les activités de musique profane de Ho Yeow Sun, qui pour sa part n’a pas été accusée.
Expliquant son jugement, le 21 octobre dernier, le juge See Kee Oon a déclaré au tribunal que les six membres étaient « des « rouages essentiels de la machine » dans le but de frauder la City Harvest Church ». « Peu importe la pureté de la motivation, ou la confiance inébranlable dans ses dirigeants, quel que soit le contexte dans lequel opère cette confiance, cela ne dispense pas un accusé de la responsabilité pénale inhérente à tous les éléments d’une infraction ». Le Rev. Kong Hee a été reconnu coupable des trois chefs d’accusations d’abus de confiance qui pesaient contre lui. « Les preuves ont montré qu’ils (les accusés) savaient qu’ils agissaient de façon malhonnête, et je ne peux en tirer d’autres conclusions », ajouta le juge devant une salle d’audience bondée des fidèles de l’église.
Malgré les preuves accumulées contre les dirigeants de l’église, les fidèles se sont ralliés autour d’eux depuis que l’affaire a débuté en 2012. Ils estiment que les fonds ont été dépensés à juste titre pour financer le projet « Crossover » dans le but déclaré d’utiliser la musique pop pour toucher les non-croyants. Les dirigeants eux-mêmes insistent sur le fait qu’ils avaient de bonnes intentions et travaillaient simplement pour le royaume de Dieu, une position qui a largement attiré le mépris et les critiques des Singapouriens.
Suite au verdict, le Rev. Honk Hee s’est néanmoins excusé auprès de sa communauté : « Je suis vraiment désolé pour toute la douleur et l’angoisse que vous avez eu à endurer sous ma direction. ». Sans pour autant admettre avoir eu tort, il a affirmé que l’église avait pris des mesures pour améliorer l’indépendance de la gestion des comptes.
Suite au verdict, le Rev. Honk Hee s’est néanmoins excusé auprès de sa communauté : « Je suis vraiment désolé pour toute la douleur et l’angoisse que vous avez eu à endurer sous ma direction. ». Sans pour autant admettre avoir eu tort, il a affirmé que l’église avait pris des mesures pour améliorer l’indépendance de la gestion des comptes.
Suite au verdict du 21 octobre, le Conseil national des Eglises (chrétiennes) de Singapour s’est dit attristé par la décision du tribunal, mais espère que l’épisode rappellera qu’il faut « accorder une plus grande attention à la gouvernance des Eglises en matière de gestion financière. ». Le conseil a ajouté que tout en appréciant la liberté de culte à Singapour, il était de son devoir de guider et conseiller les membres de la communauté chrétienne pour qu’ils respectent les lois du pays.
A Singapour, les chrétiens représentent entre 16 et 17 % de la population actuelle (6 % de catholiques et 11 % de protestants).
Depuis 2009, la City Harvest Church a vu le nombre de ses membres diminuer de 25 %. « Je sentais que nous étions manipulés […] et à ce moment-là, c’est comme si des écailles m’étaient tombées des yeux », confesse madame Toh, une femme d’affaires de 51 ans, ancienne pratiquante de l’église. Directeur de recherche à l’Institut d’études politique de l’Université nationale de Singapour, le Dr Mathew Mathews estime que les gens ne vont pas éviter les méga-churches « juste parce qu’il y a eu des problèmes avec l’une d’entre elles […]. Cependant, je pense les fidèles seront plus exigeants et demanderont une plus grande transparence lorsque l’église à laquelle ils appartiennent se lancera dans un projet de grande envergure ».
Les six accusés encourent une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. La sentence devrait tomber d’ici peu, les inculpés sont convoqués au tribunal, le 20 novembre prochain.

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