Ces Japonais dévorés par la haine anti-coréenne
Contexte
Les minorités au Japon, victimes de préjudices sociaux, continuent de faire l’objet de mépris, souvent non dissimulé. D’après un rapport de l’Agence centrale nippone de police, environ 120 manifestations de haine ont été recensées dans l’Archipel en 2014. Parmi les organisateurs figurent en premier lieu la Zaitokukai (« Association des citoyens qui n’acceptent pas les privilèges des résidents coréens »), mais aussi d’autres groupes de citoyens « de droite ». Face à eux, des opposants organisent des contre-manifestations.
En septembre 2014, un sondage de la NHK a révélé que des discours discriminatoires ont été entendus dans au moins quinze des quarante-sept départements que compte l’Archipel. Si 94 % des sondés considéraient alors ces discours comme un problème, et 41 % souhaitaient la mise en place de règlements sur la question, le Japon accuse encore un retard en la matière.
Pas encore de loi contre les appels à la haine
Pourtant, s’il semble possible d’engager des poursuites pour diffamation ou insulte envers un individu ou un groupe en particulier, comme cette école coréenne, les auteurs de discours adressés à un groupe d’individus non déterminés (« les Coréens », par exemple) restent impunis. En 2014, l’ONU a appelé le Japon à prendre des mesures contre les discours haineux. Les parlementaires ont alors entamé des discussions pendant l’été 2015. Le vote du « projet de loi pour la promotion des mesures visant à supprimer la différence entre les races », déposé entre autres par le Parti démocrate du Japon, a toutefois été reporté sine die le 28 août dernier.
La liberté d’expression a bon dos
Cette même liberté semble pourtant en avoir pris un coup depuis l’entrée en vigueur, le 10 décembre 2014, de la loi sur les secrets d’État, soutenue par le parti de Shinzo Abe. « Certaines informations auront du mal à être diffusées », s’inquiétait alors le professeur Jun Ôguro, spécialiste des médias à l’université Dôshisha de Kyoto. Toute personne, fonctionnaire comme journaliste, publiant des documents considérés comme confidentiels risquent en effet jusqu’à dix ans de prison.
Une coréanophobie enracinée dans le temps
L’hostilité et le mépris des minorités discriminées ne datent pas d’hier. Les Coréens, après l’annexion de leur pays par le Japon en 1910, ont été nombreux à partir pour l’Archipel, où ils ont vécu difficilement. Lors du tremblement de terre de 1923 à Tokyo, où plus de 85 % des 105 000 victimes furent brûlées, une autre horreur s’était ajoutée au désastre naturel. En même temps que les flammes, se propageait une rumeur selon laquelle Coréens, mais aussi Chinois, étaient à l’origine d’incendies et avaient empoisonné les puits. Plus de 6 000 d’entre eux auraient été assassinés lors de cette chasse aux sorcières, en même temps que des militants socialistes d’ailleurs, les forces de l’ordre participant également au massacre.
Rejet des êtres « souillés »
« Les teinturiers, forgerons et peaussiers possédaient un savoir-faire dans le domaine de la chimie, mais les profanes les considéraient comme des gens manipulant des objets impurs », explique l’historien Kenji Nakao dans son livre Une autre Histoire du Japon (Kaihô Shuppansha, 2007), illustré par Shigeo Nishimura. Suite aux invasions japonaises de la Corée au XVIème siècle, de nombreux artisans enlevés par les soldats de l’armée impériale sont également arrivés dans l’Archipel. « Des artistes populaires et des artisans, alors nouvellement installés, ont été mis à l’écart. Certains d’entre eux ont même été considérés comme des êtres souillés. »
Vers un avenir apaisé ?
En 2000 a été adoptée une loi sur la promotion de l’éducation aux droits de l’homme et de la sensibilisation aux droits humains. « Or le gouvernement n’est pas très motivé pour mettre en œuvre et étendre cette loi, estime Nobuaki Teraki. Il est surtout nécessaire, dans le cadre de l’enseignement obligatoire, d’apprendre aux élèves la longue histoire d’amitié entre la Corée et le Japon, l’invasion de la péninsule par le gouvernement Toyotomi, la colonisation à l’époque moderne et la situation des résidents coréens depuis la guerre. » Un petit pas devrait être fait en ce sens dès la rentrée 2016, avec certains nouveaux manuels pour collégiens qui évoqueront pour la première fois les discours de haine.
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