Politique
Entretien

Népal : la reconstruction paralysée

Des Népalais observeent des ouvriers
Des Népalais observent des ouvriers en train de reconstruire sur les décombres du séisme du 25 avril, à Bhaktapur, une banlieue de Katmandou, le 21 août 2015. (Crédit : AFP PHOTO / Prakash MATHEMA)
La reconstruction du Népal est en pleine paralysie. Il y a 6 mois, le pays était ravagé par un important tremblement de terre de 7,8 sur l’échelle de Richter. Avant qu’un autre séisme d’une amplitude similaire n’empire la situation deux semaines après et finisse de détruire nombre de maisons, écoles ou hôpitaux de ce pays himalayen. Près de 9 000 personnes sont mortes, et 600 000 bâtiments doivent être entièrement reconstruits : un défi colossal pour un des Etats les plus pauvres du monde et au relief tellement escarpé qu’il est souvent difficile d’atteindre les victimes. Sébastien Farcis a interrogé Renaud Meyer, directeur du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) au Népal.

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En juin dernier, la communauté internationale a promis une aide de 3,8 milliards d’euros pour aider le pays, mais celle-ci n’a toujours pas été utilisée par un gouvernement embourbé dans une crise politique majeure : le 20 septembre, l’Assemblée constituante a, au bout de sept ans de négociations, promulgué la nouvelle Constitution du pays. Celle-ci est cependant rejetée par une grande partie des populations du sud du pays, longtemps discriminées et qui réclament une meilleure reconnaissance. De ce fait, l’autorité nationale chargée de coordonner la reconstruction n’est toujours pas opérationnelle.

Cette paralysie est devenue périlleuse pour les milliers de victimes qui ont besoin d’abris isolés pour affronter l’hiver. La situation, si elle perdure, pourrait à terme empêcher le Népal de reconstruire de manière plus fiable.

Renaud Meyer, directeur du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) au Népal, décrypte les risques de cette impasse.

RENAUD MEYER PNUD
Renaud Meyer, directeur du Programme des Naitons Unies pour le Développement (PNUD) au Népal. (Crédit : DR)
Comment pourriez-vous décrire la situation actuelle ?
Cela ressemble à un grand puzzle : les pièces principales sont là, nous avons la vision d’ensemble et savons donc ce qu’il faut reconstruire. Mais ce qui manque, c’est la recette. Comment est-ce qu’on met les pièces ensemble pour avoir l’image qu’on veut ? C’est-à-dire un Népal reconstruit de façon plus solide et résilient. Nous savons faire, nous avons les engagements politiques nationaux et des donateurs, mais nous sommes coincés par la dimension politique liée à la Constitution.
Le problème le plus grave est le retard pris dans la mise en place de l’Autorité de reconstruction nationale. Tant que l’on n’arrive pas à dénouer ce problème, nous ne pouvons pas avancer de manière coordonnée. Les ONG ont des financements et agissent sur le terrain avec des petits projets qui font du bien aux communautés visées, mais qui n’auront pas forcement d’impact au niveau national. Les ministères techniques ont eu mandat d’avancer dans leurs secteurs, mais sont hésitants car il leur manque un aval politique horizontal, qui est encore une fois le rôle de cette autorité.
Tout cela alors que le directeur général de cette Autorité manque de légitimité [faute de l’adoption d’une nouvelle loi pour officialiser la mission de cette Autorité, NDLR]. On a donc des petits démarrages indépendants, mais il nous manque le chef d’orchestre.
Quelles sont les conséquences sur les promesses d’aide internationale ?
Cela pose de plus en plus de problèmes : les donateurs commencent à faire du bruit parce que l’argent qu’ils ont promis n’est pas dépensé. Donc ils se demandent s’ils ont bien fait de mettre tout leur argent dans le même panier, celui du gouvernement, au lieu de trouver un meilleur équilibre : à savoir donner une partie de l’argent au gouvernement pour répondre aux obligations politiques et être pragmatique en commençant à travailler avec les communautés à travers des ONG et des agences des Nations Unies. Et ces dernières sont frustrées car elles n’ont pas accès à beaucoup de ressources et ne peuvent donc pas mettre en place de programmes pour épauler le gouvernement dans la reconstruction.
On avait constaté qu’après le tremblement de terre en Haïti, beaucoup des promesses faites par les donateurs internationaux n’avaient pas été honorées. Qu’en est-il pour l’instant au Népal ?
L’essentiel de l’argent est là, car une partie était déjà dans le pays, alloué pour des programmes d’infrastructure par exemple. Mais comme ces projets mettaient du temps à se mettre en place, les bailleurs ont pensé que cela irait plus vite de reprogrammer ces fonds.
Tout n’est pas forcemment sous forme de liquide, mais même le liquide qui est là n’est pas dépensé. Et il est très difficile de convaincre les donateurs de donner plus quand le peu qu’ils ont déjà donné n’est pas dépensé. Nous sommes donc bloqués. Car, à la différence des ONG, nous ne voulons pas avancer trop vite et trop loin sans être avec le gouvernement parce que nous voulons absolument que notre action s’inscrive dans une démarche de renforcement des capacités nationales. Or pour l’instant, les priorités du gouvernement sont orientées vers d’autres problèmes de politique internes.
Quel impact a ce retard sur les victimes ?
Cela peut être dramatique, car l’hiver arrive et il reste beaucoup de gens qui vivent dans des abris temporaires qui ne sont pas isolés contre le froid himalayen. Cela va entraîner de graves problèmes de santé, d’emploi et autres. Il y a un autre souci : plus la paralysie dure et plus la mobilisation que l’on avait réussi à créer sur le Népal va s’affaiblir. D’autres crises internationales surgissent déjà, et comme nous sommes dans un contexte de désengagement de l’aide internationale, les bailleurs vont certainement rappeler des promesses qui n’ont pas pas encore été honorées.
Ce que l’on constate déjà sur le terrain, c’est que les communautés locales n’attendent pas et trouvent des solutions par elles-mêmes, ce qui veut dire qu’elles vont reconstruire de la même manière qu’avant. Ainsi, les technologies auxquelles nous avons envie de leur donner accès pour mieux reconstruire ne seront pas déployées. Arrivera le prochain séisme, tout retombera et nous referons un bond en arrière, comme nous avons fait en avril et en mai derniers.
Propos recueillis par Sébastien Farcis

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A propos de l'auteur
Correspondant pour Radio France Internationale (RFI) depuis dix ans en Asie, d’abord aux Philippines puis en Inde, il couvre aujourd’hui l’Asie du Sud (Inde, Sri Lanka, Bangladesh et Népal) pour RFI, Radio France et Libération. Avide de voyages et de découvertes, il a également vécu au Laos.