Premier Trait
« Tout le Zen, dont le haïkaï n’est que la branche littéraire, apparaît ainsi comme une immense pratique destinée à arrêter le langage, à casser cette sorte de radiophonie intérieure qui émet continûment en nous, jusque dans notre sommeil ».
Roland BARTHES, L’Empire des signes, Paris, Seuil, 2005, p. 101.
Mon intention est de faire des exercices ludiques pour sensibiliser les étudiants à la prise de son, à la matérialité du son. Il n’est pas évident d’isoler, de capter un son clair et significatif.
Dans une ville, la pollution sonore est extrême. Les bruits parasites et la mauvaise manipulation du micro rendent l’exercice plutôt difficile. Il faut pourtant prendre conscience avant de se lancer dans le documentaire radio de la différence entre un bruit et un son. Un son, c’est-à-dire un « signe auditif », un élément sonore qu’on peut identifier, comprendre et qui permet l’évocation quasi immédiate d’un univers (une représentation mentale).
Je me prête moi-même à l’exercice en enregistrant un concert de crapauds par-ci, des chiens qui jappent par-là. Quand je tombe sur ces quelques joueurs de basket. La rivière est bordée de terrains de sport – tennis, base-ball bien sûr et surtout basket.
« Basket à minuit
Panier à trois points
Les crapauds ovationnent. »
« Tout le Zen, dont le haïkaï n’est que la branche littéraire, apparaît ainsi comme une immense pratique destinée à arrêter le langage, à casser cette sorte de radiophonie intérieure qui émet continûment en nous, jusque dans notre sommeil » (Roland BARTHES, L’Empire des signes, p. 101).
Ce n’est pas moi qui fais le lien avec la radiophonie, la matérialité du son et la pensée (ou plutôt l’absence de pensée), c’est lui ! Roland Barthes. Cette sensibilité à la « justesse du trait », au rapport du trait à la « vision », le primat de l’impression sur la description, comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? « De tels traits (ce mot convient au haïku, sorte de balafre légère tracée dans le temps) installent ce qu’on a pu appeler la vision sans commentaire » (Roland BARTHES, L’Empire des signes, p.113-115).
Voyons voir alors s’il est possible d’allier le croquis, le poème et le son en un seul tableau zen : le haïku sonore…
C’est ainsi que je commence ce cours de « littérature appliquée au journalisme et à la radio » sous l’égide de Roland Barthes (dont on commémore le centenaire de la naissance) par l’étude de cette forme courte, facile (en apparence peut-être) à pratiquer.
Hormis cette explication formelle – « poème de 3 vers, comportant 5-7-5 syllabes » – le haïku ne peut avoir ici la portée que lui donne Roland Barthes qui le brandit comme un étendard littéraire contre tout ce qu’il exècre dans l’Occident vu depuis les années 1970.
Mais justement. J’ai bien conscience que le Haïku a été sans doute l’un des exercices phares de cette grande vogue des ateliers d’écriture. Le truc qui permet de libérer l’écriture, la formule qui décomplexe le stylo-bille… Peu importe pour le moment, évitons cette histoire qui doit être aussi l’histoire de la réception de Roland Barthes et de la passion littéraire qu’il a déclenchée chez toute une génération (j’aurais été séduit tout autant).
Et faisons cette expérience sans alourdir nos préjugés : Barthes prétend que la pensée occidentale, pétrie qu’elle est de son logos et de sa rhétorique séculaire, est incapable de comprendre l’essence du haïku qui réside dans son « non-sens ».
Ici, à Taipei, le haïku se traduit par 俳句 pai ju… Nous verrons bien si mes étudiants taïwanais, à 10 000 km de ce centre de la pensée occidentale qu’est Paris, y parviendront mieux.
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