Le kung-fu à l’épreuve du combat libre (MMA)
Contexte
Malgré l’ancienneté des différentes formes de kung-fu et leur intégration dans la société civile, l’Etat chinois a toujours cherché un moyen de garder le contrôle de leur pratique, afin de prévenir toute révolte contre son autorité. Des cycles d’interdiction puis de tolérance se sont ainsi répétés régulièrement au cours des dynasties successives. Et quand Mao et les siens prirent le pouvoir en 1949, une nouvelle répression fut entamée, culminant lors de la Révolution culturelle.
« De nombreux maîtres et pratiquants de kung-fu ont été exécutés durant la Révolution culturelle, raconte Mark Houghton, un Anglais maître de Hung Kuen et basé à Hong Kong. Cela a fait beaucoup de mal aux arts martiaux en Chine. De nombreux maîtres sont partis se réfugier à Taïwan, Singapour ou Hong Kong. Ils ont essayé de contrôler la pratique en créant le Wushu, qui se rapproche beaucoup de la gymnastique. Même aujourd’hui, les moines à Shaolin sont des faux. Il s’agit de pratiquants de Wushu qui se sont rasés le crâne et à qui on a dit d’enseigner aux étrangers qui y venaient. »
A partir de 1949 donc, nombreux sont les maîtres qui viennent trouver asile à Hong Kong. Pour des raisons de proximité géographique et linguistique, ils regroupent essentiellement des artistes martiaux d’origine cantonaise, pratiquant des styles de kung-fu du Sud. Ainsi se mettent-ils à enseigner leurs arts : Hung Kuen, Choy Lee Fut ou Wing Chun. Trois styles qui constitueront la grande majorité de l’offre en matière de kung-fu dans la ville durant des décennies.
Un nouveau challenger entre en scène
L’entreprise a fonctionné au-delà de tout espoir, et engendré de multiples éditions postérieures. Pourtant, la victoire du ju-jitsu n’est que temporaire. Des pratiquants de mieux en mieux entraînés apparaissent et des règles plus contraignantes sont mises en places, si bien que les atouts propres au ju-jitsu se diluent au profit d’un amalgame de techniques empruntant aussi bien à la boxe thaï qu’a la boxe anglaise, à la lutte ou au judo. Par ces changements, le MMA acquièrent une certaine légitimité et sa popularité grimpe via l’UFC, mais aussi d’autres organisations dans le monde comme le Pride au Japon. Aujourd’hui, si quelques pays continuent de traîner les pieds, le MMA s’est imposé comme un acteur incontournable dans le paysage martial global.
Le kung-fu est-il KO ?
Devant ce phénomène, les maîtres de kung-fu traditionnels réagissent différemment. Certains choisissent tout bonnement de l’ignorer. C’est le cas de Leung Ting. Maître de Wing Chun (ou Wing Tsun selon l’orthographe qu’il préfère utiliser), Leung fut le dernier élève du célèbre Yip Man et a su construire un authentique empire commercial autour de son art. « Le Wing Chun est conçu pour se battre. C’est un style éminemment pratique qui n’a donc pas besoin d’être amélioré. Pour moi, les techniques du Wing Chun sont les meilleures. Etant donné que je suis satisfait de mon niveau, je ne vois pas l’intérêt d’apprendre un autre style. Ceux qui sont dans de telles démarches ne comprennent tout simplement pas le vrai sens du kung-fu. »
« Ceux qui n’aiment pas le MMA, ce sont les vieux maîtres, confie Marc Guyon. J’ai été voir Leung Ting quand je suis arrivé à Hong Kong et il m’a permis de m’entrainer avec les instructeurs. Je pensais découvrir de nouvelles techniques mais, en fait, j’ai fait la même chose qu’en France et le niveau n’était pas terrible. Je lui disais qu’il y avait des techniques de MMA intéressantes mais cela ne l’intéressait pas. Pour lui, si tu es bon au Wing Chun, tu ne te feras pas attraper et mettre au sol. C’est souvent comme ça avec les vieux maitres. Ils n’arrivent pas à évoluer car ils pensent déjà tout connaitre, que leur style a réponse à tout. Mais les arts martiaux sont une science. Il faut toujours faire évoluer un style. »
Aux yeux de Lam Chun Chung, maître de Hung Kuen (voir son site), il n’existe pas de réelle compétition entre MMA et art martiaux traditionnels. « Ce sont deux choses très différentes, pense-t-il. Le MMA est davantage un sport, il convient surtout aux jeunes qui veulent faire des compétitions. Les arts martiaux traditionnels aident à développer la santé en plus d’être des outils de self-défense. Les pratiquants de MMA ou de boxe thaïlandaise ne peuvent s’entraîner et combattre que pendant une courte période. Alors que les maîtres d’arts martiaux traditionnels continuent à pratiquer et à enseigner jusqu’à un âge avancé. »
« Je suis né avec de l’asthme et j’ai subi diverses blessures en pratiquant le rugby en Australie, renchérit Vincent Liu, instructeur dans le « Kwoon » de maître Lam. En 20 ans, j’ai pratiqué aussi bien le karaté que la boxe thaïlandaise et ce n’est qu’à partir du moment où je me suis mis au Hung Kuen que ma santé s’est amélioré. Je n’ai pas de mots assez fort pour vanter les mérites de sa pratique. »
MMA et kung-fu main dans la main ?
A voir, les temps forts de la carrière d’Alberto Mina, invaincu dans le combat libre :
« La première fois qu’on m’a parlé de venir à Hong Kong, j’ai pensé que ce serait un endroit très ancien, se rappelle Alberto Mina. Mais il s’est avéré que c’était une cité très moderne et cosmopolite. Je pensais également qu’il y aurait un grand nombre d’écoles de kung-fu, mais en fait, il n’y en avait pas vraiment. Hong Kong est un endroit très commercial, tout le monde est occupé à faire de l’argent. Quoi qu’il en soit, je considère que les arts martiaux traditionnels sont très importants car ils servent de fondations pour votre pratique postérieure. J’ai commencé à faire du judo à 5 ans dans un quartier très pauvre. Tous mes amis de cette époque sont depuis tombés dans la criminalité ou morts. Je suis donc très reconnaissant au judo de m’avoir permis de m’en sortir : il m’a inculqué des valeurs qui sont toujours précieuses. »
Marc Guyon, pratiquant de combat libre et instructeur de Wing Chun, renchérit : « La barrière entre arts martiaux traditionnels et MMA est surtout psychologique. Le MMA est le sport du futur et je l’intègre à mes cours de kung-fu. Mais la finalité demeure le Wing Chun. »
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