Culture
Reportage

Le kung-fu à l’épreuve du combat libre (MMA)

Pratiquants de Wing Chun, l’un des styles de kung-fu, dans une salle de la Yip Man Martial Arts Athletic Association in Hong Kong, le 8 novembre 2011. (Crédit : AFP PHOTO / AARON TAM)
Pratiquants de Wing Chun, l’un des styles de kung-fu, dans une salle de la Yip Man Martial Arts Athletic Association in Hong Kong, le 8 novembre 2011. (Crédit : AFP PHOTO / AARON TAM)
Bien qu’il soit toujours partiellement interdit en France, le combat libre ou Arts Martiaux Mixtes (MMA) s’est imposé comme une discipline incontournable du monde des arts martiaux actuel. Le phénomène n’a pas épargné l’Asie, bien au contraire ! Le Japon fut ainsi pendant un temps la grande Mecque de ce sport, réunissant des milliers de fans à chaque évènement. Si le centre de gravité du MMA s’est depuis déplacé en Amérique du Nord, l’Asie continue à embrasser ce nouveau sport de combat. Hong Kong ne fait pas exception à la règle, en dépit du fait que l’ancienne colonie ait été pendant longtemps un refuge et une place forte pour la préservation et le développement international du kung-fu.
Retracer l’origine et le développement du kung-fu est un exercice ardu. Bien entendu, les arts martiaux représentent un symbole majeur de la culture chinoise et un instrument important de sa diplomatie culturelle. Mais les mythes et légendes se sont substitués à la rigueur historique et il est bien difficile de percer ce brouillard pour retrouver la vérité. Le terme de kung-fu cache derrière lui une multitude de styles martiaux différents, souvent caractérisés selon leur région d’origine. Les styles du Nord tendent ainsi à privilégier les techniques de pieds tandis qu’au du Sud, on se base davantage sur les poings et des positions près du sol.

Contexte

Malgré l’ancienneté des différentes formes de kung-fu et leur intégration dans la société civile, l’Etat chinois a toujours cherché un moyen de garder le contrôle de leur pratique, afin de prévenir toute révolte contre son autorité. Des cycles d’interdiction puis de tolérance se sont ainsi répétés régulièrement au cours des dynasties successives. Et quand Mao et les siens prirent le pouvoir en 1949, une nouvelle répression fut entamée, culminant lors de la Révolution culturelle.

« De nombreux maîtres et pratiquants de kung-fu ont été exécutés durant la Révolution culturelle, raconte Mark Houghton, un Anglais maître de Hung Kuen et basé à Hong Kong. Cela a fait beaucoup de mal aux arts martiaux en Chine. De nombreux maîtres sont partis se réfugier à Taïwan, Singapour ou Hong Kong. Ils ont essayé de contrôler la pratique en créant le Wushu, qui se rapproche beaucoup de la gymnastique. Même aujourd’hui, les moines à Shaolin sont des faux. Il s’agit de pratiquants de Wushu qui se sont rasés le crâne et à qui on a dit d’enseigner aux étrangers qui y venaient. »

A partir de 1949 donc, nombreux sont les maîtres qui viennent trouver asile à Hong Kong. Pour des raisons de proximité géographique et linguistique, ils regroupent essentiellement des artistes martiaux d’origine cantonaise, pratiquant des styles de kung-fu du Sud. Ainsi se mettent-ils à enseigner leurs arts : Hung Kuen, Choy Lee Fut ou Wing Chun. Trois styles qui constitueront la grande majorité de l’offre en matière de kung-fu dans la ville durant des décennies.

Un nouveau challenger entre en scène

Le MMA n’a pas tout le bagage culturel au coeur du kung-fu. L’idée de mélanger arts martiaux poings/pieds et à base de saisies/phases au sol, peut certes se retrouver en Grèce antique dans la pratique du Pancrace. Mais c’est surtout à partir du XVIIIe siècle qu’une forme balbutiante de MMA se développe. Comme d’autres disciplines, l’accroissement majeur des échanges culturels et commerciaux au siècle des Lumières bouleverse le monde des arts martiaux. Chacun d’entre eux tient alors à démontrer sa supériorité sur les autres. La concurrence entre différents styles atteint son point d’orgue en 1976, quand le célèbre boxeur Mohammed Ali affronte le catcheur Japonais Antonio Inoki dans un match ultra médiatisé à Tokyo. En parallèle, des pratiquants motivés commencent à combiner différents styles pour concevoir un « système parfait ». C’est la démarche du « Petit dragon », Bruce Lee, lorsqu’il crée son Jeet Kune Do en 1967.
A voir, ce petit documentaire en japonais sur le combat entre Mohammed Ali et Antonio Inoki, marquant les débuts médiatiques du MMA ou combat libre :
Le phénomène se développe dans le monde entier. Si le Japon et les Etats-Unis figurent en pointe, d’autres pays connaissent de pareilles évolutions. Ainsi, au Brésil, la rivalité entre une forme localisée de ju-jitsu et un style martial nouveau, la Luta Livre, mélange de catch et de judo, donne lieu à de nombreux combats plus ou moins encadrés entre des pratiquants de chacun des deux styles. Parmi les partisans de la supériorité du ju-jitsu se trouvait la famille Gracie. En 1993, l’un de ses membres, Rorion Gracie, fonde l’UFC ou Ultimate Fighting Championship : une compétition télévisée opposant des artistes martiaux aux styles bien identifiés (sumo, boxe anglaise…) et destinée à prouver la supériorité du ju-jitsu brésilien sur tous les autres arts de combat.

L’entreprise a fonctionné au-delà de tout espoir, et engendré de multiples éditions postérieures. Pourtant, la victoire du ju-jitsu n’est que temporaire. Des pratiquants de mieux en mieux entraînés apparaissent et des règles plus contraignantes sont mises en places, si bien que les atouts propres au ju-jitsu se diluent au profit d’un amalgame de techniques empruntant aussi bien à la boxe thaï qu’a la boxe anglaise, à la lutte ou au judo. Par ces changements, le MMA acquièrent une certaine légitimité et sa popularité grimpe via l’UFC, mais aussi d’autres organisations dans le monde comme le Pride au Japon. Aujourd’hui, si quelques pays continuent de traîner les pieds, le MMA s’est imposé comme un acteur incontournable dans le paysage martial global.

Le kung-fu est-il KO ?

Hong Kong ne fait pas exception à cette nouvelle règle. Tous les gymnases modernes de la ville se doivent d’avoir leurs cours de MMA. Et quand l’UFC a décidé d’organiser des événements à Macao en 2012 et 2014, l’ancienne colonie britannique fut tapissée de posters à la gloire des combattants de l’organisation, renforçant encore la curiosité des sportifs et autres artistes martiaux pour ce nouveau sport.

Devant ce phénomène, les maîtres de kung-fu traditionnels réagissent différemment. Certains choisissent tout bonnement de l’ignorer. C’est le cas de Leung Ting. Maître de Wing Chun (ou Wing Tsun selon l’orthographe qu’il préfère utiliser), Leung fut le dernier élève du célèbre Yip Man et a su construire un authentique empire commercial autour de son art. « Le Wing Chun est conçu pour se battre. C’est un style éminemment pratique qui n’a donc pas besoin d’être amélioré. Pour moi, les techniques du Wing Chun sont les meilleures. Etant donné que je suis satisfait de mon niveau, je ne vois pas l’intérêt d’apprendre un autre style. Ceux qui sont dans de telles démarches ne comprennent tout simplement pas le vrai sens du kung-fu. »

A voir, un reportage de la télévision chinoise sur le Wing Chun par Leung Ting :
La posture laisse Marc Guyon perplexe. Ce Français expatrié à Hong Kong enseignait le Wing Chun dans l’Hexagone et, depuis son installation dans le « port parfumé », il continue à transmettre son art. Mais c’est également un pratiquant de MMA, ayant livré son premier combat professionnel en juillet dernier.
« Ceux qui n’aiment pas le MMA, ce sont les vieux maîtres, confie Marc Guyon. J’ai été voir Leung Ting quand je suis arrivé à Hong Kong et il m’a permis de m’entrainer avec les instructeurs. Je pensais découvrir de nouvelles techniques mais, en fait, j’ai fait la même chose qu’en France et le niveau n’était pas terrible. Je lui disais qu’il y avait des techniques de MMA intéressantes mais cela ne l’intéressait pas. Pour lui, si tu es bon au Wing Chun, tu ne te feras pas attraper et mettre au sol. C’est souvent comme ça avec les vieux maitres. Ils n’arrivent pas à évoluer car ils pensent déjà tout connaitre, que leur style a réponse à tout. Mais les arts martiaux sont une science. Il faut toujours faire évoluer un style. »
Aujourd’hui, le Français s’entraîne à Gracie Barra à Wan Chai sur l’île de Hong Kong. Il se souvient d’un pratiquant de Wing Chun qui a voulu tester son niveau face au ju-jitsu. « Ils ont fait un combat et le pratiquant de Wing Chun s’est fait mettre au sol et soumettre. Une réaction normale aurait été de se dire qu’il doit s’améliorer au sol. Mais il n’a pas réagi comme ça. Il a pensé que son Wing Chun était nul et qu’il devait retravailler avec son maître pour corriger ça. Il aurait dû demander à comprendre les techniques de ju-jitsu mais il pensait que son maître était un dieu tout puissant ! »

Aux yeux de Lam Chun Chung, maître de Hung Kuen (voir son site), il n’existe pas de réelle compétition entre MMA et art martiaux traditionnels. « Ce sont deux choses très différentes, pense-t-il. Le MMA est davantage un sport, il convient surtout aux jeunes qui veulent faire des compétitions. Les arts martiaux traditionnels aident à développer la santé en plus d’être des outils de self-défense. Les pratiquants de MMA ou de boxe thaïlandaise ne peuvent s’entraîner et combattre que pendant une courte période. Alors que les maîtres d’arts martiaux traditionnels continuent à pratiquer et à enseigner jusqu’à un âge avancé. »

« Je suis né avec de l’asthme et j’ai subi diverses blessures en pratiquant le rugby en Australie, renchérit Vincent Liu, instructeur dans le « Kwoon » de maître Lam. En 20 ans, j’ai pratiqué aussi bien le karaté que la boxe thaïlandaise et ce n’est qu’à partir du moment où je me suis mis au Hung Kuen que ma santé s’est amélioré. Je n’ai pas de mots assez fort pour vanter les mérites de sa pratique. »

MMA et kung-fu main dans la main ?

Pro ou anti-MMA, le nombre de pratiquants du combat libre n’en continue pas moins d’augmenter à Hong Kong, alors que la pratique du kung-fu connait depuis plusieurs décennies un lent mais inexorable déclin. Un simple coup d’œil dans les salles d’entraînement suffit pour s’en rendre compte. Alors que le MMA se travaille dans des salles de sport modernes au centre de quartiers prestigieux, la plupart des Kwoon de Hung Kuen ou Choy Lee Fut se trouvent dans des vieux immeubles commerciaux des quartiers populaires.
« Les nouvelles générations n’ont plus la patience pour apprendre le Hung Kuen, constate Lam Chun Chung. Ils ne voient que les difficultés liées à sa pratique et ne réalisent pas les bénéfices à long terme. Ils veulent juste apprendre à se battre alors ils vont là où ils peuvent l’intégrer le plus rapidement. Ils préfèrent également être associés à des modes occidentales plutôt qu’à des pratiques anciennes perçues comme dépassées. »
La baisse de la pratique chez les Hongkongais a pour contrepoint l’intérêt grandissant des Occidentaux pour les arts martiaux traditionnels chinois. « Actuellement, 70 % de nos élèves sont étrangers, confesse Maître Lam. Ils ont un grand respect pour la culture chinoise et les arts martiaux. Ils les voient comme un ensemble. Grâce à cette mentalité, ils tendent à progresser plus rapidement que les gens du cru et, à terme, je pense que le développement du Hung Kuen sera dépendant de ces pratiquants étrangers. » Etonnant paradoxe !

A voir, les temps forts de la carrière d’Alberto Mina, invaincu dans le combat libre :

*Alberto Mina aura son prochain combat à Séoul, le 28 novembre 2015, contre l’ancien judoka coréano-japonais Yoshihiro Akiyama.
Si la popularité du MMA contribue à la désaffection grandissante des Hongkongais pour les arts martiaux traditionnels chinois et que les deux pratiques ont souvent été opposées, ils sont nombreux à penser qu’elles ne sont pas en soi incompatibles, mais au contraire complémentaires. C’est le cas d’Alberto Mina. Instructeur à l’Epic MMA Club, en plein milieu de Central (le quartier d’affaires de Hong Kong), le Brésilien est un combattant professionnel invaincu (11 victoires) et le seul basé à dans le « port parfum » à être signé par le prestigieux UFC.

« La première fois qu’on m’a parlé de venir à Hong Kong, j’ai pensé que ce serait un endroit très ancien, se rappelle Alberto Mina. Mais il s’est avéré que c’était une cité très moderne et cosmopolite. Je pensais également qu’il y aurait un grand nombre d’écoles de kung-fu, mais en fait, il n’y en avait pas vraiment. Hong Kong est un endroit très commercial, tout le monde est occupé à faire de l’argent. Quoi qu’il en soit, je considère que les arts martiaux traditionnels sont très importants car ils servent de fondations pour votre pratique postérieure. J’ai commencé à faire du judo à 5 ans dans un quartier très pauvre. Tous mes amis de cette époque sont depuis tombés dans la criminalité ou morts. Je suis donc très reconnaissant au judo de m’avoir permis de m’en sortir : il m’a inculqué des valeurs qui sont toujours précieuses. »

Marc Guyon, pratiquant de combat libre et instructeur de Wing Chun, renchérit : « La barrière entre arts martiaux traditionnels et MMA est surtout psychologique. Le MMA est le sport du futur et je l’intègre à mes cours de kung-fu. Mais la finalité demeure le Wing Chun. »

Arnaud Lanuque à Hong Kong

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A propos de l'auteur
Installé à Hong Kong depuis trois ans, Arnaud Lanuque est spécialiste du cinéma hongkongais et le correspondant local de la revue "L'Ecran fantastique". Il est aussi le gestionnaire du Service de coopération et d'action culturelle au Consulat de France à Hong Kong.