Climat : Tokyo face à de brûlants défis
Contexte
L’urbanisation a la vie dure et cela ne va pas en s’arrangeant. D’ici à 2030, près des deux tiers de la population mondiale devraient habiter en ville. Autant dire que les mégapoles occupent une position essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Si les villes nouvelles, en forte croissance dans les pays émergents, peuvent notamment intégrer l’écologie dans leur construction, les villes anciennes doivent se réinventer pour répondre à ces nouveaux enjeux. C’est le cas de Tokyo. La capitale japonaise compte officiellement 9 millions d’habitants, mais il faut multiplier ce chiffre par 3,5 si l’on prend en considération l’intégralité de la mégapole et ses 31,3 millions d’habitants. En 2020, année des Jeux olympiques organisés dans la capitale, le département métropolitain de Tokyo comptera ainsi 13,35 millions d’habitants et devrait attirer 15 millions de touristes.
Bienvenue dans l’autocuiseur
À l’origine de cet état fébrile, le phénomène d’îlot de chaleur. Dans les villes densément peuplées et très urbanisées se forment des microclimats où l’air est plus chaud que dans les zones environnantes. « Les bâtiments et l’asphalte accumulent facilement la chaleur dans la journée et la renvoient pendant la nuit », poursuit Ikusei Misaka. Ces effets se conjuguent à la chaleur émise par les climatiseurs et les véhicules, à la pollution atmosphérique, importante en été, ainsi qu’au réchauffement climatique. Au sens propre comme au figuré, Tokyo bouillonne. Et les brouillards d’humidité qui régulièrement recouvrent la ville donnent presque l’impression de vivre à l’intérieur d’un rice-cooker, les autocuiseurs à riz dont les Japonais et les Coréens sont les champions.
Conséquences humaines, environnementales et économiques
Le bureau de statistiques de Tokyo indique en effet que la part des personnes âgées de 65 ans et plus dans la capitale est passée de 12,7 % en 1994 à 22,5 % en 2014. L’Agence météorologique assure ainsi une veille et informe les autorités et la population en cas de phénomènes dangereux, via des conseils et des alertes. Cette surveillance se double de mesures préventives, par exemple éducatives, surtout auprès des jeunes et des personnes âgées.
Veuves noires à dos rouge et « pluies-guérilla »
Les Cryptotympana facialis, surnommées aussi « cigales-ours » pour leur taille imposante, vrillent aussi désormais tout ce qu’elles peuvent chaque été. L’espèce devenue dominante à Osaka au début du siècle, a fini par rejoindre la capitale. Le concert des mâles est assourdissant, et les femelles ne font pas qu’écouter la sérénade puisque plusieurs d’entre elles ont été surprises à perturber les réseaux de communication en perçant les câbles de fibre optique.
Face à cela, les nombreux immeubles se transforment en refuge pour la population. En cas de précipitation importante, leurs entrées, comme les accès au métro, sont scellées au moyen de panneaux anti-intrusion. Sous la ville de Tokyo, un canal de 12,5 mètres de diamètre et de 4,5 kilomètres de long évite des catastrophes depuis 1997. Le réservoir a pu ainsi absorber 420 000 mètres cube d’eau lors des pluies torrentielles du 4 septembre 2005, où il était tombé 66 mm de pluie en une heure. Fin 2013, le département a renforcé son action avec l’adoption d’un plan prévoyant l’installation de tuyaux-réservoirs dont certains permettront, avant les Jeux olympiques, de faire face à des précipitations de 75 mm par heure.
Conséquence, l’impact économique des îlots de chaleur va en s’amplifiant. D’après l’indice des risques par villes 2015-2025 publié par Lloyd’s pour les assureurs et le marché de la réassurance, Tokyo serait au troisième rang des villes les plus touchées dans le futur suite à ces vagues de chaleur. Cette menace pourrait coûter 600 millions d’euros au PIB prévu pour la métropole entre 2015 et 2025. L’agriculture est elle aussi très concernée, les étés trop chauds réduisant la qualité et la quantité des récoltes.
Cool biz, cool share et espaces verts
Le super cool biz a alors fait son apparition. La chemise légère d’Okinawa (kariyushi), sortie du pantalon, est devenue tendance dans les bureaux et jusque dans les plus hautes sphères de l’État. Une idée qui a ensuite été déclinée pour le quotidien. Plutôt que de faire tourner à fond les ventilateurs et climatiseurs à la maison, allez donc vous rafraîchir dans l’atmosphère conditionnée des supermarchés et centres commerciaux ! Cette campagne prônant les économies d’énergies au sein des habitations, a été baptisée cool share.
« Puisqu’il est difficile de créer de nouvelles zones vertes en ville, il est recommandé de traiter le revêtement avec une matière qui retient l’eau ou de faire pousser des végétaux sur les toits et les murs », explique Ikusei Misaka, de l’Institut nippon de technologie. Dans le cadre du règlement sur la protection de la nature, depuis 2000, les constructions nouvelles ou rénovées de plus de 1 000 m² (250 m² dans le cas de bâtiments publics) doivent faire l’objet d’un verdissement. Selon le bureau de l’Environnement du département métropolitain de Tokyo, 177 hectares de toits et murs végétalisés ont ainsi été créés de 2000 à 2014.
Panneaux de lave
« Pour éviter le stockage de la chaleur du soleil, il peut aussi être efficace de couvrir les bâtiments et les routes avec une peinture qui réfléchit les rayons », ajoute Ikusei Misaka. La transformation de l’eau évacuée par les climatiseurs en vapeur a également un effet de réduction de la chaleur urbaine. Mais puisque ces techniques de mitigation sont longues à mettre en place, c’est l’adaptation qui serait privilégiée d’ici 2020 : à savoir l’amélioration du confort par la réduction de la chaleur ressentie. L’objectif est de combiner les techniques traditionnelles japonaises – installation de stores-écrans suspendus en bambou, arrosage des ruelles et trottoirs en fin de journée, plantes en pots devant les maisons et sur les trottoirs entre les arbres – et d’autres méthodes comme l’augmentation du nombre de vaporisateurs projetant de très fines gouttelettes d’eau. La température ressentie en divers endroits serait ainsi réduite, offrant un environnement plus supportable… pour un temps au moins.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don