Environnement
Entretien

Agriculture urbaine : « Les Japonais intéressés par des légumes cultivés sans pesticides »

Un ingénieur vérifie la croissance d’une laitue dans une salle de culture de l’usine “Clean room Farm Yokosuka” créée par Toshiba à Yokosuka, dans la préfecture de Kanagawa le 12 novembre 2014 (Crédit : AFP PHOTO / TOSHIFUMI KITAMURA)
Un ingénieur vérifie la croissance d’une laitue dans une salle de culture de l’usine “Clean room Farm Yokosuka” créée par Toshiba à Yokosuka, dans la préfecture de Kanagawa le 12 novembre 2014 (Crédit : AFP PHOTO / TOSHIFUMI KITAMURA)
L’agriculture au secours de la high-tech ? Pour contrer leur déclin relatif sur le marché des produits de haute technologie, soumis à une concurrence asiatique toujours plus acharnée, les géants japonais tels que Fujitsu, Sharp, Toshiba ou encore Panasonic se lancent dans une nouvelle activité : le secteur primaire. Que l’on parle de « fermes verticales », « d’agriculture urbaine » ou « d’ usine à légumes », l’idée est la même : proposer une production agricole élaborée, cultivée et récoltée dans un cadre industriel, parfois en pleine ville, grâce à un appareil technologique complexe pour maximiser le rendement, tout en limitant l’énergie et l’eau nécessaire.
Un grand écart ? Pas nécessairement, tant les entreprises concernées comptent justement sur leurs spécialités pour exceller dans ce nouveau secteur. Maîtrise de la climatisation, des procédés de stérilisation, des systèmes informatiques, des semi-conducteurs, voire des lampes LED, les acteurs nippons de ce marché arrivent déjà avec les outils adéquats pour faire rapidement émerger la production. Et côté promotion, outre la force de frappe de ces entreprises en matière de communication, les acteurs du marché espèrent surfer sur deux tendances : la préoccupation toujours plus grande des Japonais pour la sécurité alimentaire, et l’inexorable déclin de l’agriculture « traditionnelle » dans le pays, qui ne contribue qu’à 40% de la consommation alimentaire nationale – le reste étant importé -, et dont 60% des agriculteurs ont plus de 65 ans.
Conséquence : tandis que l’agriculture urbaine n’en est qu’à ses balbutiements dans les autres pays développés, le Japon compte déjà plus de 200 unités de production et un vrai projet industriel porté par des entreprises multinationales.

Entretien

Après plus de quarante ans passés comme chercheur en agriculture, en horticulture et en bioprodutcion à l’université de Chiba (qu’il présida de 2005 à 2008), Toyoki Kozai est depuis 2010 le président de la Japan Plant Factory Association. Cette organisation regroupe les principaux acteurs du marché et les chercheurs spécialisés dans ce nouveau domaine, pour soutenir la filière et assurer des modèles de production garantissant la qualité des produits, un rendement maximum et une consommation d’énergie optimisée, tout en communiquant auprès du grand public sur les opportunités d’une production agricole conçue dans un cadre industriel. Toyoki Kozai répond aux questions de Damien Durand.

Toyoki Kozai, directeur de la Japan Plant Factory Association
Toyoki Kozai, directeur de la Japan Plant Factory Association
Quel est le poids économique réel de la production en usine de fruits et légumes au Japon, en comparaison de l’ensemble de la production agricole nationale ?
Le poids de ce secteur d’activité est encore faible pour l’instant. Nous représentons actuellement environ 1% de l’ensemble de la production de légumes au Japon, et approximativement 0,1% de l’ensemble de la production agricole, tous produits confondus.
Qu’est-ce qui intéresse le plus les Japonais dans la possibilité de consommer des légumes qui n’ont jamais vu la campagne réelle ?
Les Japonais sont surtout intéressés par la possibilité de consommer des légumes qui ont été cultivés sans l’usage de pesticides. En 2008 en effet, l’inquiétude a grandi lorsque l’on a découvert qu’une utilisation importante de ces produits était faites sur les légumes importés de Chine. Cela a été un déclic.
Pour le moment, la production des fermes urbaines est majoritairement composée de laitues, de fraises et de chou mizuna. Pourquoi ce manque de diversité ?
La diversité de la production est assez limitée en effet, tout simplement parce que les usines de culture de légumes sont pour l’instant rentables pour les laitues, les fraises et le mizuna ! Techniquement parlant, nous pouvons bien sûr faire pousser beaucoup d’autres variétés de fruits et légumes. Mais nous ne sommes pas encore compétitifs par rapport aux productions sous serre ou dans les champs.
Cependant, malgré ce manque de compétitivité, nos usines apportent un vrai avantage dans la production de légumes frais dont le stockage peut s’avérer complexe, qui peuvent s’abîmer lors de la récolte, ou qui nécessitent de long trajets pour être acheminés.
Une production très ciblée localement comme la nôtre pour une zone de consommation bien définie permet d’éviter toutes ces problématiques.
Les usines de production de légumes sont pour l’instant un secteur d’activité largement soutenu par les grosses entreprises japonaises du high-tech. Y a-t-il un risque de voir une situation de monopole se développer sur un secteur, celui de l’alimentation, qui reste hautement stratégique ?
Notre secteur est encore de très petite taille si vous le comparez à la production rizicole ou à l’élevage ! Nous restons pour l’instant positionnés sur des productions mineures et peu diversifiées. Et les légumes à faible valeur ajoutée comme les choux chinois ou les radis ne sont pas réellement rentables quand ils sont produits dans une usine spécifique. Nous ne pouvons donc pas vraiment espérer nous développer si nous nous focalisons sur les mêmes productions que l’agriculture classique sous serre. Nous devons donc créer de nouvelles technologies, voire de nouveaux légumes qui ne peuvent être conçus que dans un cadre industriel, pour partir à la conquête de marchés encore vierges. Et pour cela, le soutien logistique et financier des grosses entreprises est incontournable.
Ces technologies « made in Japan » sont-elles exportables ? Quels pourraient être les pays intéressés et pourquoi ?
Elles sont tout à fait exportables ! Les pays au climat aride, ou au contraire qui subissent des conditions polaires, se retrouvent à devoir importer la quasi-totalité des légumes qu’ils consomment. Je pense notamment aux Émirats, à la Mongolie, au Canada… Or, les produits agricoles qu’ils consomment y ont souvent un prix élevé et une qualité médiocre.
De grosses mégalopoles comme Tokyo bien sûr, mais, à l’export, Shanghai ou Hong Kong sont également intéressées par l’acquisition de ces technologies qui permettent d’avoir toute l’année des légumes pour un prix constant et une qualité maîtrisée.
Mais quel a été réellement le déclic pour développer un secteur dont les bases technologiques étaient pourtant connues ?
Le vrai décollage du secteur date de 2009, quand le gouvernement a décidé d’octroyer des subventions à l’agriculture « industrielle » après la découverte de la contamination par des pesticides de produits importés que je vous évoquais. Evidemment, l’accident du réacteur nucléaire de Fukushima Dai-Ichi en mars 2011 a beaucoup influencé la dynamique positive du secteur. On voit d’ailleurs que beaucoup d’unité de production se montent à Osaka, Kyoto ou Okinawa, loin des environs de Fukushima. Mais contrairement à ce que vous pouvez croire, je ne pense pas que la question du risque d’accident nucléaire soit l’élément principal.
Quelles sont les principales innovations prévues dans le court terme pour ce secteur qui en est encore à ses débuts ?
Nous allons développer la mécanisation et l’automatisation du moissonnage et du conditionnement des légumes après la récolte. Côté marché, nous visons à devenir l’un des fournisseurs des secteurs des additifs alimentaires et des sodas. Mais nous envisageons aussi un développement dans des domaines qui ne sont pas liés directement à l’alimentaire. Je pense notamment aux cosmétiques, au bien-être et à la médecine chinoise, qui peuvent être intéressés par nos productions.
Propos recueillis par Damien Durand

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A propos de l'auteur
Journaliste, Damien Durand travaille principalement sur des questions économiques, sociales et politiques au Japon et dans le reste de l'Asie de l'Est. Après avoir été correspondant en France pour le quotidien japonais Mainichi Shimbun, il a collaboré depuis pour Le Figaro, Slate, Atlantico, Valeurs Actuelles et France-Soir. Il a également réalisé "A l'ombre du Soleil Levant", un documentaire sur les sans domicile fixe au Japon. Il a reçu le prix Robert Guillain Reporter au Japon en 2015. Pour le suivre sur Twitter : @DDurand17