Inde : le défi démocratique des "villes intelligentes"
Ville intelligente, c’est-à-dire ?
« Au début, Madurai n’était concentrée qu’autour de son temple, et s’est peu à peu étendue au fil des années, raconte S. Balasubramanian, journaliste à Pudur, une commune qui fait partie de l’agglomération de Madurai. Aujourd’hui, certaines personnes vivant à 20 kilomètres d’ici viennent travailler à Madurai. Il faudra donc améliorer les transports, et tout ce qui fait la priorité des habitants. »
Expérience participative
Une conférence s’est donc tenue à Madurai, ouverte au grand public et aux débats. Dans la foule, beaucoup de journalistes et de représentants d’associations locales de résidents. Au micro, le maire de Madurai VV. Rajan Chellappa donne quelques grandes priorités, que sont la gestion de l’eau et la rénovation des toilettes publiques. Dans le public, on rédige les suggestions qui seront évaluées par les consultants désignés par la ville.

G. Sankari, 53 ans, réside en dehors du centre-ville et même si elle reconnaît quelques améliorations à Madurai, les obstacles à une bonne qualité de vie demeurent. « En dehors du centre-ville, nous n’avons rien pour gérer les déchets qui s’amassent sur le sol. Dans le centre-ville, aux alentours du temple de Meenakshi, lorsqu’il pleut, les rues sont inondées. Rien n’a été fait pour évacuer l’eau qui rentre parfois dans les habitations. » Ce n’est pas mieux pour les moyens de transports : « De nouveaux bus ont été mis en service il y a huit ans, mais la qualité n’était pas bonne, et il n’y en a pas suffisamment le matin. Lorsque les étudiants se rendent à leurs cours, les bus sont trop pleins, et nous devons rester debout. Par ailleurs, il y a beaucoup trop de circulation, et nous avons peur de traverser la rue. Je suis âgée, je ne peux pas marcher vite. »
Autre dossier urgent pour les habitants de Madurai : en finir avec les lourdeurs et le flou bureaucratiques. Vijay Kumar, 34 ans, y voit le principal obstacle à tout projet de ville intelligente. « Lorsqu’il faut se rendre au Madurai Corporation pour obtenir n’importe quel document, nous ne savons pas vraiment à qui s’adresser, déplore-t-il. On doit parfois attendre plusieurs heures sans pour autant obtenir quoi que ce soit. Nous espérons vraiment que la ville devienne une smart city. Si tout est fait par ordinateur, il n’y aura plus ou en tout cas beaucoup moins de corruption. »
S’adresser directement aux habitants de la ville à l’occasion d’une conférence participative, voilà une pratique nouvelle qui a encore besoin de se rôder. C’est l’avis de Pandya Rajan, rédacteur en chef du quotidien local Thai Tamil Nadu. « Il n’y a pas vraiment d’études sur ce genre d’expérience, explique-t-il. Le but était surtout d’ouvrir le débat au plus grand nombre. »
Pour ceux qui n’auront pas pu être présent lors de la conférence, il restera encore une semaine pour faire part de leurs idées, avant que le rapport final ne soit envoyé au gouvernement central. C’est sur cette base que les « smart cities » pourront être construites, selon la stratégie officielle.
E-gouvernance et ville propre
Parmi ces grands chantiers, revenons sur l’informatisation des données. Aujourd’hui à Madurai, la naissance d’un enfant ou un acte de mariage sont conservés en version papier. Impossible donc pour le gouvernement central d’y avoir accès ou de savoir si les documents sont des originaux. Narendra Modi a donc souhaité l’informatisation des données d’état-civil à la fois pour lutter contre la corruption et pour que la capitale indienne contrôle mieux les provinces éloignées. « Le but de la manœuvre est de supprimer l’intermédiaire qui aide à faire les démarches en prenant un maximum de commission, précise Pandya Rajan. Tout devrait être facilement réalisable par ordinateur. »
Mais le changement prendra du temps. « Beaucoup de gens à Madurai n’ont pas accès à la technologie, souligne le journaliste. Parmi les pistes de travail, des centres informatiques pourraient être construits pour réaliser toutes les démarches administratives en ligne. »
L’autre chantier majeur est la gestion des déchets et l’hygiène publique. Madurai possède déjà un centre de tri, mais il pourrait être rénové et amélioré dans les prochaines années. Pour l’heure, la mairie réfléchit à la gestion des eaux usées et à la rénovation des toilettes publiques. Aux yeux du reporter S. Balasubramanian, « il faut commencer par les besoins prioritaires de la ville : l’accès aux soins, l’amélioration du réseau routier, entre autres. Ce n’est qu’une fois tous ces problèmes résolus que nous pourrons penser aux énergies vertes. Madurai ne va pas devenir ultra-moderne en un jour ! »
S’il n’est pas exclu que les touristes étrangers et les investisseurs se pressent dans ces nouveaux centres, amenant leurs flux de travailleurs, ce n’est pas la seule priorité du gouvernement. « L’objectif est surtout de désengorger les grands centres comme Delhi ou Bangalore dans le Sud en réorganisant le réseau de transport autour de ces nouvelles villes intelligentes. Toutes ces villes devraient être interconnectées », explique S. Balasubramanian.
Une entente cordiale entre le centre et les Etats indiens
Si le Tamil Nadu s’est réjoui de la nomination pour le projet smart cities de 12 de ses villes, il n’en reste pas moins sur ses gardes sur le plan politique. Dans cet Etat, la chef du gouvernement local, J. Jayalalithaa est une personnalité à part sur la scène politique indienne. Obligée de démissionner à cause de poursuites judiciaires pour corruption, elle a bénéficié d’une relaxe spectaculaire ; ce qui lui a permis d’être candidate aux prochaines élections locales en 2017. Comment verra-t-elle le projet de smart cities voulu par Modi ? Si le projet est un succès, les honneurs ne reviendront-ils pas au Premier ministre ? Réponse après les élections.
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