Climat : "L’Inde peut aussi être en pointe"
Entretien
Les élus indiens se retrouvent déchirés entre deux impératifs. D’un côté, sortir une grande partie de sa population de l’obscurité et faire accéder la majorité à un niveau de vie décent. Et de l’autre, respecter un environnement que d’autres ont déjà largement contribué à endommager.
Chandra Bhushan est un acteur et fin observateur de ce débat. Directeur adjoint du think tank indien Centre for Science and Environment, il a suivi toutes les dernières conférences internationales sur le climat, de Durban à Lima. Et il sera à Paris pour le sommet crucial qui commencera fin novembre. Il est aussi régulièrement consulté par le gouvernement indien sur les politiques environnementales et il explique ainsi pour Asialyst la position, les défis et les limites de la politique écologique de l’Inde.
A la veille de la conférence de Paris, comment peut-on résumer la position de l’Inde dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Depuis la convention des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée en 1992, l’Inde reconnaît que chaque pays doit agir contre le réchauffement, mais suivant certains principes. Le principal d’entre eux se résume ainsi : ceux qui ont pollué dans le passé, qui ont de plus hauts revenus et sont responsables d’une plus grande quantité d’émissions, ont une plus grande responsabilité. C’est la position de la plupart des pays en voie de développement. Ce principe est justifié, mais ce que nous voyons, c’est qu’aucun de ces pays, riches ou moins riches, n’a vraiment agi pour les réduire. Du coup, ces émissions de carbone ont augmenté de près de 50% en 22 ans. Il y a ainsi un important écart entre ce que le monde a besoin de faire et ce que les pays racontent.
Le nouveau gouvernement [de Narendra Modi, nationaliste hindou, élu en mai 2014, NDLR] est très engagé à développer les énergies renouvelables, car il considère que nous n’avons pas fait assez jusqu’à présent. Et cela est extrêmement positif : il a multiplié par cinq les objectifs des capacités de production d’énergie solaire, pour les porter à 100 000 MW – ou 100 GW – d’ici à 2022 [soit une multiplication par 30 de ces capacités, NDLR]. Il a créé un plan pour inciter la production de technologies solaires en Inde et a établi des règles plus strictes de construction.
Depuis cinq ans, grâce à la technique utilisée par le gouvernement des enchères inversées, le coût de l’énergie solaire a chuté de 50%. Voire de 70% dans certains cas. Cette technique a été efficace et elle va être également appliquée en Allemagne et en Afrique du Sud. Aujourd’hui, une grande centrale à charbon vend de l’électricité à 2 roupies par kw/h, contre 5 roupies pour le solaire.
L’accord passé entre la Chine et les Etats-Unis [qui a servi de référence à leurs prises de positions en novembre dernier, NDLR] n’a fait qu’empirer la situation. Ce sont les deux plus grands pollueurs et ils ont indiqué en effet qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose d’ici à 2030. Cela aura clairement une influence négative sur les autres pays, qui se serviront de ces promesses comme référence. Et si l’Inde suit ce niveau d’exigence, elle n’a rien besoin de faire.
Nous pensons que notre pays doit présenter deux types de réductions : l’un serait inconditionnel, incluant tous les efforts que l’Inde peut faire en fonction de ses ressources, comme l’installation de 100 GW de solaire et de grandes installations éoliennes ou la réduction de l’intensité d’émissions par point de PIB de 40% d’ici à 2030. Ce serait déjà un pas important et réalisable. Mais l’Inde peut également présenter un plan conditionnel, encore plus ambitieux : installer 300 GW de solaire, réduire de 60% les émissions par point de PIB. Un plan que nous appliquerons si nous recevons l’aide financière et technologique pour le réaliser. Ce transfert de ressources est prévu dans la convention des nations unies sur le changement climatique (UNFCC).
Il est en effet prévu que l’Inde double sa consommation de charbon d’ici à 2025, ce qui nous mènera à une émission totale de 4 milliards de tonnes de CO2 en 2030, soit environ 3 tonnes par habitant. Cela reste un niveau extrêmement bas [face aux 18 tonnes par habitant aujourd’hui pour les Etat- Unis, NDLR].
Si vous prenez tous les indicateurs, depuis les index de développement humains, de PIB par habitant, de consommation d’énergie ou d’émissions, l’Inde se trouve dans la moitié inférieure du monde. Ce qui veut dire que l’Inde ne devrait pas être appelée un pays à « revenus moyens », mais un « pays à bas revenu ». La Chine, le Brésil et le Mexique sont des pays à revenus moyens. L’Inde est donc victime d’une idée fausse, selon laquelle elle est devenue riche et développée. Et cette erreur pousse beaucoup à ranger notre pays et la Chine dans la même catégorie. C’est un mirage. Car l’économie chinoise est bien plus riche et même si la croissance du PIB indien atteint les 10% et que celle de la Chine est de 7%, en termes absolus, la production de richesses de l’économie chinoise sera trois fois plus importante qu’en Inde.
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