Environnement
Entretien

Climat : "L’Inde peut aussi être en pointe"

Une agricultrice indienne fait sécher des piments dans une ferme de Sertha, à 25 km d’Hyderabad en Inde, le 6 février 2015. Cette année, la moisson est en forte baisse à cause des dérèglements climatiques, ce qui a fait doubler le prix des piments en 2014. (Crédit : AFP PHOTO / Sam PANTHAKY)
Une agricultrice indienne fait sécher des piments dans une ferme de Sertha, à 25 km d’Hyderabad en Inde, le 6 février 2015. Cette année, la moisson est en forte baisse à cause des dérèglements climatiques, ce qui a fait doubler le prix des piments en 2014. (Crédit : AFP PHOTO / Sam PANTHAKY)
Dans les négociations diplomatiques en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, l’Inde se pose en énigme. Le pays représente le troisième émetteur de CO2 de la planète et cette économie émergente en plein développement devrait doubler sa consommation de charbon dans les dix ans à venir, ce qui fera grimper ses émissions. A la veille de la COP21, l’importante Conférence de l’ONU sur le climat qui se tient à Paris du 30 novembre au 11 décembre, les grandes puissances comme les Etats-Unis, l’Europe et la Chine font donc pression sur New Delhi pour qu’il s’engage à tempérer cette consommation d’énergies fossiles afin de ne pas endommager davantage la planète. A ce jour, l’Inde est l’un des derniers grands pays à ne pas s’être engagé sur un plan précis de réduction. Mais le blâme est trop facile, rétorque New Delhi. Car l’Inde compte 1,25 milliards d’habitants, soit le deuxième pays le plus peuplé du monde. Et cette population, majoritairement pauvre, ne consomme que 2 tonnes de CO2 par habitant – soit 6 fois mois qu’un Européen, 10 fois moins qu’un Américain et un tiers seulement de l’émission moyenne des Terriens. Et pour cause : un quart des Indiens, soit environ 300 millions de personnes, ne sont même pas raccordés au réseau électrique.

Entretien

Les élus indiens se retrouvent déchirés entre deux impératifs. D’un côté, sortir une grande partie de sa population de l’obscurité et faire accéder la majorité à un niveau de vie décent. Et de l’autre, respecter un environnement que d’autres ont déjà largement contribué à endommager.

Chandra Bhushan est un acteur et fin observateur de ce débat. Directeur adjoint du think tank indien Centre for Science and Environment, il a suivi toutes les dernières conférences internationales sur le climat, de Durban à Lima. Et il sera à Paris pour le sommet crucial qui commencera fin novembre. Il est aussi régulièrement consulté par le gouvernement indien sur les politiques environnementales et il explique ainsi pour Asialyst la position, les défis et les limites de la politique écologique de l’Inde.

Chandra Bhushan, directeur adjoint du think tank Center for Science and Environment (CSE) à New Delhi.
Chandra Bhushan, directeur adjoint du think tank Centre for Science and Environment (CSE) à New Delhi.

A la veille de la conférence de Paris, comment peut-on résumer la position de l’Inde dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Depuis la convention des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée en 1992, l’Inde reconnaît que chaque pays doit agir contre le réchauffement, mais suivant certains principes. Le principal d’entre eux se résume ainsi : ceux qui ont pollué dans le passé, qui ont de plus hauts revenus et sont responsables d’une plus grande quantité d’émissions, ont une plus grande responsabilité. C’est la position de la plupart des pays en voie de développement. Ce principe est justifié, mais ce que nous voyons, c’est qu’aucun de ces pays, riches ou moins riches, n’a vraiment agi pour les réduire. Du coup, ces émissions de carbone ont augmenté de près de 50% en 22 ans. Il y a ainsi un important écart entre ce que le monde a besoin de faire et ce que les pays racontent.

Quelles mesures sont déjà prises par le gouvernement pour réduire ses émissions ?

Le nouveau gouvernement [de Narendra Modi, nationaliste hindou, élu en mai 2014, NDLR] est très engagé à développer les énergies renouvelables, car il considère que nous n’avons pas fait assez jusqu’à présent. Et cela est extrêmement positif : il a multiplié par cinq les objectifs des capacités de production d’énergie solaire, pour les porter à 100 000 MW – ou 100 GW – d’ici à 2022 [soit une multiplication par 30 de ces capacités, NDLR]. Il a créé un plan pour inciter la production de technologies solaires en Inde et a établi des règles plus strictes de construction.

La concrétisation de ces objectifs constituera clairement un défi, mais j’estime que cela est réalisable. Et même s’il ne parvient qu’à réaliser la moitié, et multiplie la capacité de production de solaire par quinze, cela représentera déjà un formidable bond pour rendre cette énergie bon marché. Or, la généralisation d’une énergie dépend de son prix. Le jour où cela devient bon marché pour moi d’installer des panneaux solaires sur ma maison, le gouvernement n’a plus de rôle à jouer.
Comment ont évolué le prix de l’énergie solaire en Inde ?

Depuis cinq ans, grâce à la technique utilisée par le gouvernement des enchères inversées, le coût de l’énergie solaire a chuté de 50%. Voire de 70% dans certains cas. Cette technique a été efficace et elle va être également appliquée en Allemagne et en Afrique du Sud. Aujourd’hui, une grande centrale à charbon vend de l’électricité à 2 roupies par kw/h, contre 5 roupies pour le solaire.

Mais le solaire est compétitif face aux usines qui tournent au diesel comme énergie de secours. Le gouvernement va devoir à présent faire passer une directive qui assure que nous installons à présent des panneaux solaires à la place de générateurs au diesel pour ce besoin. Une estimation a montré que si nous remplaçons tous les générateurs au diesel qui font tourner les antennes mobiles, nous pourrons installer 20 GW d’énergie solaire.
Infographie : en fonction des régions, l'Inde ne doit pas faire face aux mêmes défis posés par le changement climatique. Réalisation : Alexandre Gandil.
Infographie : en fonction des régions, l'Inde ne doit pas faire face aux mêmes défis posés par le changement climatique. Réalisation : Alexandre Gandil.
Les principales économies mondiales, comme les Etats-Unis et la Chine, se sont engagées sur des réductions précises. Où en est l’Inde ?

L’accord passé entre la Chine et les Etats-Unis [qui a servi de référence à leurs prises de positions en novembre dernier, NDLR] n’a fait qu’empirer la situation. Ce sont les deux plus grands pollueurs et ils ont indiqué en effet qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose d’ici à 2030. Cela aura clairement une influence négative sur les autres pays, qui se serviront de ces promesses comme référence. Et si l’Inde suit ce niveau d’exigence, elle n’a rien besoin de faire.

Le problème, cependant, est qu’à ce rythme, nous aurons épuisé en 2030 quasiment toute la « réserve » disponible d’émissions que nous pourrions utiliser d’ici à 2100 si nous voulons rester dans la limite de l’augmentation de 2 degrés des températures par rapport au niveau de 1850. Si tout le monde agit de cette manière, il ne nous restera plus qu’à prier pour que la température n’augmente pas davantage.
Cela ne dédouane pas l’Inde. Le gouvernement indien devrait bientôt présenter son plan, sûrement dans le courant du mois de septembre. Et nous considérons au CSE (Centre for Science and Environment) que New Delhi doit s’engager sur un programme ambitieux de réduction d’émissions, car c’est avant tout les pauvres de notre pays qui vont souffrir de ce réchauffement climatique [voir nos infographies ci-dessus]. Quelqu’un doit servir de meneur pour réussir cette mission. Cela peut être l’Europe, mais cela peut aussi être l’Inde.
Sur quel plan de réductions estimez-vous que l’Inde peut et doit s’engager ?

Nous pensons que notre pays doit présenter deux types de réductions : l’un serait inconditionnel, incluant tous les efforts que l’Inde peut faire en fonction de ses ressources, comme l’installation de 100 GW de solaire et de grandes installations éoliennes ou la réduction de l’intensité d’émissions par point de PIB de 40% d’ici à 2030. Ce serait déjà un pas important et réalisable. Mais l’Inde peut également présenter un plan conditionnel, encore plus ambitieux : installer 300 GW de solaire, réduire de 60% les émissions par point de PIB. Un plan que nous appliquerons si nous recevons l’aide financière et technologique pour le réaliser. Ce transfert de ressources est prévu dans la convention des nations unies sur le changement climatique (UNFCC).

Beaucoup s’inquiètent de la dépendance de l’Inde envers le charbon, qui est la source de plus des deux tiers de son énergie…

Il est en effet prévu que l’Inde double sa consommation de charbon d’ici à 2025, ce qui nous mènera à une émission totale de 4 milliards de tonnes de CO2 en 2030, soit environ 3 tonnes par habitant. Cela reste un niveau extrêmement bas [face aux 18 tonnes par habitant aujourd’hui pour les Etat- Unis, NDLR].

Le gouvernement a lancé trois politiques pour réduire les émissions dans ce domaine : l’une prévoit la fermeture des centrales à charbon âgées de plus de 25 ans, qui sont polluantes, et le gouvernement central est en train de négocier avec les Etats fédérés pour les remplacer par des centrales plus efficaces.
La deuxième politique prévoit que celles qui seront installées dans le futur seront uniquement des centrales supercritiques, qui émettent entre 15 et 20% en moins d’émissions de carbone.
La troisième politique prévoit la réduction générale de la pollution (en particules, oxydes d’azote ou sulphures d’oxyde) par ces centrales. L’Inde a établi des limites strictes concernant ces facteurs. Cela veut dire qu’à partir du 1er janvier 2017, les centrales qui seront installées seront parmi les plus efficaces et propres du monde. Et je suis confiant que ces technologies seront utilisées. Nous aurons donc bientôt des centrales à charbon bien plus avancées que ce que nous avons aujourd’hui.
Estimez-vous que les pays occidentaux attendent trop de l’Inde ?

Si vous prenez tous les indicateurs, depuis les index de développement humains, de PIB par habitant, de consommation d’énergie ou d’émissions, l’Inde se trouve dans la moitié inférieure du monde. Ce qui veut dire que l’Inde ne devrait pas être appelée un pays à « revenus moyens », mais un « pays à bas revenu ». La Chine, le Brésil et le Mexique sont des pays à revenus moyens. L’Inde est donc victime d’une idée fausse, selon laquelle elle est devenue riche et développée. Et cette erreur pousse beaucoup à ranger notre pays et la Chine dans la même catégorie. C’est un mirage. Car l’économie chinoise est bien plus riche et même si la croissance du PIB indien atteint les 10% et que celle de la Chine est de 7%, en termes absolus, la production de richesses de l’économie chinoise sera trois fois plus importante qu’en Inde.

Lors de ces négociations sur le climat, certains essaient d’éliminer les différences de traitement entre les pays développés et ceux en développement. Mais si nous voulons obtenir un accord ambitieux, il faut respecter les principes de la convention de 1992, qui reconnaissent cette différenciation. Et, bien sûr, si l’Inde devient plus riche, elle devra prendre plus de responsabilités.
Propos recueillis par Sébastien Farcis à New Delhi

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Correspondant pour Radio France Internationale (RFI) depuis dix ans en Asie, d’abord aux Philippines puis en Inde, il couvre aujourd’hui l’Asie du Sud (Inde, Sri Lanka, Bangladesh et Népal) pour RFI, Radio France et Libération. Avide de voyages et de découvertes, il a également vécu au Laos.