Cambodge : la médecine informelle toujours attractive malgré les risques de contamination
Et pourtant, Seurn Sokheang l’admet lui-même, il n’a jamais fréquenté d’école de médecine : « J’ai juste acquis les compétences auprès de mon père qui a travaillé dans ce village pendant 30 ans. Je ne suis pas encore reconnu par le ministère de la Santé, mais je peux continuer parce que je me suis déjà signalé auprès du responsable de mon centre de santé et auprès des autorités. » Seurn envisage de demander une licence, « à l’avenir ».
Selon Indrajit Hazarika, responsable technique de l’Organisation mondiale de la santé au Cambodge, des temps d’attente plus courts, de fausses idées préconçues sur la qualité des soins et des horaires plus souples conduisent les gens à se tourner vers ce type de solutions : « Tant que ces facteurs l’emporteront et que le choix d’établissements privés semblera plus intéressant pour les patients, il sera difficile d’arrêter ces pratiques, explique le spécialiste. L’offre ne se réduira que lorsque la demande aura diminué et il faut pour cela mettre en place des solutions légales plus attractives et une réglementation plus stricte qui assure que seuls les praticiens de santé qualifiés et compétents soient agréés et autorisés à exercer leur profession. »
Suite à la contamination au VIH de 270 villageois de Roka, dans la province de Battambang, en décembre 2014 due à la réutilisation d’une seringue pour perfusion par le « médecin » local, qui travaillait sans licence, le ministère de la Santé a annoncé un renforcement des contrôles. 3 000 praticiens ont reçu un avertissement leur interdisant de pratiquer les injections et les perfusions et, selon les autorités, 80% à 90% des cliniques du pays ont été inspectées.
M. Srun, le responsable des hôpitaux au ministère de la Santé, a tenu a préciser il y a peu qu’« il est absolument illégal de prodiguer aux gens des injections de chez soi. Nous voulons éliminer cette pratique car les personnes qui le font manquent d’hygiène et peuvent engendrer de graves problèmes. »
Pour le moment, ce réveil des autorités sanitaires est néanmoins peu suivi d’effets, et la pratique de la médecine informelle reste encore très répandue sur le terrain. Un médecin étranger ayant requis l’anonymat estime que ce sont les habitudes même des patients qui posent problème : « Ils se sont habitués à recevoir des injections et des perfusions et c’est ce qu’ils réclament désormais. Dans un centre de santé, on vous donnera des pilules comme traitement mais un praticien privé acceptera de vous faire une injection à la place. Les médecins sont plus sensibles à la pression de leurs patients qu’on ne pourrait l’imaginer. »
Ainsi Yem Sophat, médecin dans un hôpital de Phnom Penh et vivant dans la province de Kandal explique qu’il reçoit toujours ses voisins chez lui, sans disposer d’une licence lui permettant d’intervenir de manière privée. « Je ne possède pas les documents nécessaires donc je ne suis pas encore agréé. Quand je suis ici, les malades viennent et je leur fais des injections, explique le soignant. Et lorsqu’ils arrivent bouillants avec de la fièvre, parfois je pratique une perfusion. » Le médecin affirme qu’il procédera aux enregistrements nécessaires dès qu’il aura pris sa retraite : « J’ouvrirai une clinique en bonne et due forme lorsque j’aurais arrêté de travailler à l’hôpital. De toute façon, les gens viennent me voir parce qu’ils me font confiance. »
Une confiance parfois aveugle qui a déjà mené 9 des 270 villageois de Roka contaminés au cimetière…
Source : George Wright et Buth Kimsay / The Cambodia Daily
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