Inde : le gouvernement contre les ONG
Début avril, le ministère de l’Intérieur a en effet ordonné le gel de tous les comptes de Greenpeace Inde et l’association était sur le point de cesser ses opérations à partir du 1er juin, ce qui n’est arrivé à aucune branche de l’ONG en 44 ans d’existence. Mais quelques jours avant cette date guillotine, la Cour d’appel de New Delhi a ordonné en référé le dégel de trois comptes indiens et d’une partie des contributions reçues de l’étranger.
C’était la deuxième fois en six mois que le gouvernement tentait d’asphyxier l’association, à chaque fois secourue par la justice. Officiellement, le ministère reproche à Greenpeace d’avoir violé plusieurs dispositions de la loi sur le financement étranger des ONG – un cadre strict créé en 1976 pour contrôler l’influence étrangère sur les militants indiens : rétribution illégale d’un consultant étranger, déplacement du siège de l’association sans autorisation préalable ou dépassement du plafond autorisé pour la dépense de frais administratifs.
Contexte
En ces temps difficiles pour les ONG étrangères en Inde, il est une nomination qui a fait grand bruit ces jours-ci. Le journaliste Aakar Patel a été nommé directeur exécutif d’Amnesty International Inde. Ancien rédacteur en chef, publiciste, éditorialiste, directeur d’agence média, Patel est célèbre pour son discours sans fard sur les questions de droits de l’homme. L’organisation créée à Londres en 1961 a le projet de se développer davantage dans toutes les régions de l’Inde. Elle y compte déjà 65 000 membres. Patel est donc appelé à devenir l’un des principaux porte-voix de la société civile dans le pays.
Les ONG coûteraient « entre 2 et 3 % de croissance à l’économie indienne »
« Greenpeace a développé une stratégie en trois phases, confiait en avril un responsable du ministère de l’Intérieur au journal The Hindu : créer un mouvement de protestation contre le charbon, attaquer l’attribution de nouvelles mines par des actions judiciaires et mener campagne contre Coal India auprès des investisseurs indiens et étrangers. »
Greenpeace, face émergée d’une vaste répression
Greenpeace n’est que la face émergée d’une répression plus profonde de la société civile indienne, au nom des impératifs de croissance. Ces derniers mois, plus de 13 000 autres ONG ont vu leur permis de recevoir des fonds de l’étranger retiré – la plupart pour ne pas avoir envoyé leurs déclarations comptables, en violation de la loi. Pour d’autres, comme la plateforme écologiste 360.org, la raison reste plus obscure. Mais leurs représentants n’ont pas les moyens de Greenpeace pour contester cette asphyxie financière en justice et font donc profil bas.
La loi court-circuitée sur le droit à l’information
Ce Premier ministre a l’obsession du résultat, ce qui a redonné du souffle à l’action politique indienne. Il est d’ailleurs souvent pris pour un chef d’entreprise plutôt que pour un chef de gouvernement. Mais dans cette India Inc., Narendra Modi ne semble pas vouloir entendre de voix contestataires. L’une des conquêtes démocratiques les plus importantes des dernières années en Inde, la loi sur le droit à l’information, qui permet à tout citoyen de réclamer des données de la part de l’administration, a ainsi été court-circuitée. « Le poste du commissaire en chef de l’administration en charge de son application est vacant depuis neuf mois, ce qui est inédit, dénonce Nikhil Dey, qui a été en tête du mouvement pour l’adoption de cette loi. Les plus importantes demandes ne peuvent pas être traitées. Aujourd’hui, 14 000 requêtes sont en attente. Même si quelqu’un est nommé demain, cela prendra des mois avant de rattraper le retard. C’est une manière malicieuse de rendre inutile ce droit à l’information ».
La Cour d’appel de Delhi avait également alerté le gouvernement de cette dérive autoritaire, lors d’un premier jugement en faveur de Greenpeace, fin janvier. « Vous ne pouvez pas accuser les ONG d’agir contre les intérêts de la nation, seulement parce que leur point de vue diffère du vôtre », sermonnait le juge.
Sébastien Farcis à New Delhi
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