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Quels Mélanésiens ?

Une manifestation d'étudiants.
Manifestation d’étudiants demandant l’indépendance de la Papouasie occidentale à Surabaya (à l’est de Java) le 2 décembre 2013. (Crédit : JUNI KRISWANTO / AFP)
La Papouasie (Papua) est la province constituée par la partie occidentale de la Nouvelle-Guinée, qui est indonésienne. Jusqu’en 1999, cette province s’appelait Irian Jaya. La Papouasie occidentale (West Papoua) est une nouvelle province créée en 1999 de la scission de la Papouasie.
Dans un article paru le 13 mai 2015 dans le quotidien Jakarta Post Neles Tebay, professeur à l’école de philosophie et de théologie Fajar Timur en Papouasie indonésienne et coordinateur du Papuan Peace Network, affirme que (nous restituons volontairement le texte original en anglais) : « there are Melanesians in Indonesia [and they] can be found in the country’s two most eastern provinces, Papua and West Papua ». Il poursuit : « Melanesian […] is a human race which all indigenous Papuans, without discrimination, belong to ».
En anglais, le mot « race » n’a pas la connotation biologique qu’il a en français et signifie simplement, selon le dictionnaire anglais Cambridge disponible en ligne : « a group, especially of people, with particular similar physical characteristics, who are considered as belonging to the same type » et « a group of people who share the same language, history, characteristics, etc ».
Cela dit, « Mélanésien » n’est pas une « race », c’est une construction. C’est l’explorateur français Jules Dumont d’Urville (1790-1842) qui en 1831, a forgé le terme « Mélanésie » à partir des mots du grec ancien « mélas », qui signifie noir et « nèsos », l’île, pour désigner un ensemble formé par la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Irlande, la Nouvelle-Calédonie, les îles Salomon et le Vanuatu. Il avait inventé ce mot parce que les habitants de ces îles avaient la peau beaucoup plus sombre que ceux du reste du Pacifique.
Mona, Tommaseo-Ponzetta, Brauer, Sudoyo, Marzuki, & Kayser, 2007, p. 2546.

Certes, le terme « mélanésien » est désormais accepté par des chercheurs, comme l’illustre par exemple la tenue en août 2012 à Port Moresby, à l’université de Papouasie-Nouvelle-Guinée, d’une conférence intitulée : « Negotiating Identity in Urban Melanesia : Language and Ethnicity ». Des généticiens parlent même de « Mélanésie » pour désigner « la Nouvelle-Guinée et les îles alentour » au nord et à l’est ».

Néanmoins ces populations « noires » parlent des langues qui appartiennent à deux ensembles différents : les langues austronésiennes et les langues papoues.
La famille des langues austronésiennes comprend notamment les langues des Aborigènes de Taiwan, des Philippines, du Pacifique, de la majorité des habitants de l’Indonésie et de Madagascar. Et, on appelle « papoues » les langues de la région qui ne sont ni austronésiennes, ni aborigènes d’Australie.

Premièrement, cette situation linguistique montre que les Mélanésiens ne constituent pas une population linguistiquement homogène. Deuxièmement, on retrouve cette situation dans l’ensemble de l’Indonésie orientale. Les régions côtières de la Nouvelle-Guinée et les îles voisines, aussi bien du côté indonésien que papouasien, sont une mosaïque linguistique dans laquelle langues austronésiennes et papoues sont voisines les unes des autres. L’une des conséquences de cette mosaïque est qu’on parle plus de deux cent cinquante langues distinctes dans la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée.

Il est généralement admis qu’Homo sapiens est arrivé en Australie quarante-cinq à cinquante mille années avant notre ère.

Les populations mélanésiennes ont en effet deux origines. Le premier peuplement de la Nouvelle-Guinée se serait effectué il y a quelque quarante mille ans depuis l’Australie.

Puis, il y a environ trois mille cinq cents ans, des populations de langue austronésienne ont migré à partir des actuelles Philippines, d’une part vers le sud et l’Indonésie, et d’autre part vers le sud-est et le Pacifique. Le mythe de « Kulabob et Manup » des populations de la côte nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée que rapporte le généticien britannique Stephen Oppenheimer dans son livre Eden in the East témoigne d’une tradition des populations de cette région racontant l’expansion austronésienne dans une région déjà peuplée par des « Australo-Mélanésiens ».
On a longtemps cru que l’intérieur de la Nouvelle-Guinée était inhabité. En traversant la moitié orientale de l’île, alors divisée en un territoire australien et un territoire britannique, l’explorateur australien Michael J. Leahy (1901-1979) démontre en 1930 qu’il n’en est rien. Dans la moitié occidentale de l’île, qui faisait alors partie des Indes néerlandaises, des expéditions menées à partir de 1938-1939 par le biologiste américain Richard Archbold (1907-1976) amènent à la « découverte », dans la grande Chaîne centrale qui traverse l’île d’ouest en est, de la grande et fertile vallée de Baliem, habitée par les Dani, une population qui maîtrise l’agriculture depuis au moins 7 000 ans avant notre ère.
De nombreuses études génétiques ont été et continuent d’être faites sur les populations de la Nouvelle-Guinée en relation à celles d’Asie du Sud-Est insulaire, d’Australie et du Pacifique. Parmi elles, une analyse effectuée par une équipe de chercheurs dans sept îles d’Indonésie orientale montre que « les données ont montré un manque complet de corrélation entre les relations linguistiques et génétiques, reflétant le plus probablement le mélange génétique et/ou changement de langue » (Mona, et al., 2009, p. 1865).
L’étude conclut à « une histoire génétique complexe en Indonésie orientale, avec des composants qui reflètent des contributions de migrants d’Asie orientale parlant des langues austronésiennes et des migrants de Mélanésie parlant des langues non-austronésiennes » (Mona, et al., 2009, p. 1875). L’Indonésie orientale, Papouasie comprise, est donc à la fois austronésienne et australo-mélanésienne.
Irian Jaya est le nom de la Nouvelle-Guinée occidentale jusqu’en 1999.

Malgré cette diversité, une des conséquences des violences de l’Etat indonésien envers les populations indigènes est qu’ « une identité « papoue » a émergé qui distingue les diverses tribus d’Irian Jaya des autres groupes ethniques en Indonésie », pour reprendre les mots du politologue canadien Jacques Bertrand (Bertrand, 2003, p. 265). Cette identité est légitime. Mais elle ne saurait reposer sur la notion fallacieuse de « race ».

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
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