Société
Expert - Indonésie plurielle

De la peine de mort en Indonésie

Photo de Serge Atlaoui
Serge Atlaoui, dans le couloir de la mort pour trafic de drogue à son arrivée au Tribunal Tangerang près de Jakarta le 1er avril 2015. (Crédit : ROMEO GACAD / AFP)

Le 1er avril 2015, Paris Match publie un article sur Serge Atlaoui : « Français condamné à mort en Indonésie pour trafic de drogue ». Depuis, le pays attire l’attention de la presse française.

L’Indonésie fait partie des Etats qui appliquent la peine de mort pour les crimes civils. Selon Amnesty International, à ce jour 140 pays l’ont abolie. Parmi ceux qui continuent de l’appliquer figurent neuf des dix Etats les plus peuplés de la planète. Parmi ces derniers, seul le Brésil l’a en effet abolie en 1988 pour les crimes civils. En Indonésie, le trafic de drogue est passible de la peine de mort.

Amnesty International note également qu’aucune exécution n’avait eu lieu de 2009 à 2012. En 2008, dix personnes avaient été exécutées, dont seulement deux pour des affaires de drogue. En 2013, cinq personnes ont été exécutées, dont deux pour la drogue. Il n’y a eu aucune exécution en 2014. Le président Joko Widodo, surnommé « Jokowi », a été élu en juillet 2014 et investi en octobre. Le 11 décembre, le bureau du procureur général annonçait vouloir exécuter cinq condamnés, tous indonésiens, avant la fin de l’année. Le 18, Jokowi déclarait qu’il ne gracierait pas les condamnés. Quatorze personnes ont été exécutées depuis le début de 2015, toutes pour trafic de drogue. De 1999 à 2014, sept personnes seulement avaient été exécutées pour ce motif. Les pays d’Asie orientale qui exécutent régulièrement pour ce crime sont la Chine, la Malaisie, Singapour et le Vietnam.

L’Indonésie n’est pas le pays qui exécute le plus, loin de là. Pour la période 2007-2014 par exemple, le pays est au vingt-et-unième rang mondial avec seize exécutions. La Chine est en tête, avec des milliers d’exécutions, suivie par l’Iran avec 2 635, l’Irak, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Il est donc légitime de se demander les raisons de ce que la BBC appelle « Indonesia’s new appetite for execution ».

Tobias Basuki, chercheur au Centre for Strategic and International Studies, un think tank indonésien (qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme américain), explique que l’opinion en Indonésie perçoit le problème de la drogue comme l’un des « problèmes les plus graves après la corruption » . La lutte contre le trafic de drogue était un des points phares de la campagne de Jokowi. Ce dernier a d’ailleurs réaffirmé le 9 mai dernier, lors d’une visite en Papouasie indonésienne, que la peine de mort était « positive » pour le pays. Pourtant deux mois plus tôt, il déclarait dans une interview avec Al-Jazeera « qu’il [était] ouvert à l’ abolition de la peine de mort, mais pas avant « longtemps » et seulement si le peuple indonésien le veut ».

L’intransigeance du président s’inscrit dans un contexte plus large de pose « souverainiste ». Au cours des deux semaines qui ont suivi son investiture, l’armée de l’air indonésienne a par trois fois intercepté des avions étrangers qui avaient pénétré sans autorisation l’espace national. Un des pilotes indonésiens avait déclaré : « S’il y avait eu un ordre de tirer, j’aurais immédiatement abattu [l’avion étranger] ». La marine indonésienne, quant à elle, est désormais chargée de faire sauter les bateaux de pêches étrangers qui pêchent illégalement dans les eaux indonésiennes et qu’elle a arraisonnés.

Delphine Alles de l’Université Paris Est-Créteil et spécialiste de l’Asie du Sud-Est, déclare que

« les pressions ouvertes des gouvernements étrangers dont les ressortissants ont été condamnés à mort l’ont incité à durcir sa position. Il est en effet confronté à une opinion publique qui ne comprendrait pas un recul face à des puissances extérieures. »

Appeler à « une pression politique vigoureuse et [à] la menace de sanctions diplomatiques et économiques », comme le fait un éditorialiste français, c’est traiter l’Indonésie différemment de pays comme la Chine ou les Etats-Unis. C’est ignorer que ses principaux partenaires économiques sont des pays asiatiques qui appliquent la peine de mort pour la drogue. Et cela ne peut que provoquer une crispation nationaliste dans l’opinion indonésienne.

Plusieurs parlementaires ont proposé la suppression de la peine de mort du code pénal indonésien, dont la révision fait partie des programmes prioritaires du DPR (Dewan Perwakilan Rakyat, « Conseil de représentation du peuple »), l’assemblée nationale indonésienne. De nombreuses ONG locales demandent cette suppression. Comme l’explique Delphine Alles, « [t]out espoir de transformation de la législation indonésienne sur [la peine de mort] repose donc sur une évolution de l’opinion publique, à la faveur d’un engagement renforcé de la société civile ». Jokowi ne dit pas autre chose.

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
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