Société
Expert - Indonésie plurielle

Tests de virginité et islam en Indonésie

Photo des candidates
Candidates en attente de leur visite médical au centre de commandement militaire de Diponegoro (Java). (Crédit : WF Sihardian / NurPhoto)

Le 13 mai dernier, l’organisation Human Rights Watch (HRW) a envoyé au président du Comité International de Médecine Militaire (CIMM), dont la conférence mondiale se tient à Bali depuis le 17 mai et se termine ce vendredi 22 mai, une lettre « pour exprimer sa profonde préoccupation à propos de l’exigence des forces armées nationales indonésiennes que toutes les candidates féminines à l’armée passent des « tests de virginité »  » .

HRW explique avoir interviewé plus d’une douzaine de femmes de militaires et d’officiers féminines indonésiennes « qui ont parlé du traumatisme physique et psychologique de ces tests », dont le test « des deux doigts ». L’organisation rappelle que « ce qu’on appelle des « tests de virginité » ont été reconnus internationalement comme une violation des droits de l’homme ». HRW demande au président du CIMM de contacter le général de division Daniel Tjen, médecin général des armées de l’Indonésie, pour qu’entre autres, « [il] ordonne l’arrêt immédiat de tous les tests de virginité ».

Plusieurs journaux dans le monde ont publié un article sur cette demande d’HRW, parmi lesquels le quotidien britannique The Guardian. Celui-ci rappelle que « ce n’est pas la première fois que la question des tests de virginité attire la colère dans une Indonésie à majorité musulmane« . Le quotidien n’est pas le seul à préciser la religion de la majorité des Indonésiens : la BBC accompagne son article sur l’affaire d’une photo avec pour légende : « L’Indonésie est un pays largement musulman ». En revanche, cette mention ne figure pas dans l’article de la Deutsche Welle, ni dans celui d’Al Jazeera. Quant à l’armée indonésienne, elle a annoncé qu’elle n’abandonnerait pas ces tests « nécessaires pour [elle] pour connaître l’état mental des candidates » : ses arguments, pour curieux qu’ils soient, ne font aucune référence à l’islam.

Spécialiste de l’Asie du Sud-Est, Delphine Alles de l’Université Paris Est-Créteil constate que « présentée [jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001] comme « le plus grand pays d’Asie du Sud-Est », l’Indonésie est devenue le « pays musulman le plus peuplé au monde » dans le contexte d’une attention accrue au facteur religieux » . De temps à autre, les autorités indonésiennes, comme l’ex-président Yudhoyono, s’efforcent de rappeler que « l’Indonésie n’est pas un pays musulman ».

Pancasila est une expression en sanskrit, la « principale langue religieuse et de culture du monde indien » comme la définit l’INALCO. Cette expression désigne également les « cinq préceptes » du bouddhisme en pali, proche du sanskrit et langue religieuse de cette religion en Asie du Sud-Est.

L’idéologie de l’Etat indonésien s’exprime en effet dans les Pancasila, les « cinq principes » qui forment le préambule de la Constitution indonésienne, et ont été rédigés de façon à exclure toute référence à l’islam. Associer les tests de virginité de l’armée indonésienne à l’islam, c’est ignorer que la deuxième des Sapta Marga, les « sept voies » que doivent suivre les soldats indonésiens, proclame que « nous sommes des patriotes indonésiens, partisans et défenseurs de l’idéologie de l’Etat ».

Comme toute société moderne, l’Indonésie « se caractérise par une pluralité des valeurs et des manières de vivre », pour reprendre les mots de l’équipe de recherche « Gestion et Société » qui s’intéresse aux différentes façons dont les hommes travaillent et vivent ensemble à travers le monde. Une illustration en est l’affaire qui passionne en ce moment le public indonésien – bien plus que les tests de virginité de l’armée -, à savoir des célébrités locales qui se prostituent, au point que Giwo Rubianto Wiyogo, une spécialiste des questions féminines et de l’enfance, déplore que « dans notre pays, la renommée de beaucoup d’artistes augmente après avoir été impliquées dans des conduites répréhensibles ».

Le Guardian reconnaît d’ailleurs lui-même de façon paradoxale cette pluralité quand il écrit que « des parties de l’Indonésie sont encore socialement conservatrices et accordent une grande valeur à la virginité féminine. En février, un district indonésien de l’île principale de Java a été forcé d’abandonner un plan pour des tests de virginité pour les lycéennes passant le baccalauréat après qu’il eut provoqué un immense tollé dans le public ».

L’écrivain Jean Couteau, qui vit à Bali, évoquant la perception de l’identité de cette île comme « le produit d’un conflit […] entre l’hindouisme et l’islam », considère que « les Occidentaux pensent […] l’histoire de Bali à travers le miroir déformé de leurs propres obsessions historiques ». Il nous semble qu’associer les tests de virginité de l’armée indonésienne à l’islam relève des mêmes obsessions. Quand on sait qu’un maire français demande d’« interdire le culte musulman en France », ce genre d’amalgame paraît quelque peu irresponsable.

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.