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Expert - INDONESIE PLURIELLE

Indonésie : une nouvelle espèce de dirigeants

Photo du Président indonésien
Le président indonésien Joko Widodo lors de la cérémonie d’ouverture du World Economic Forum on East Asia le 20 avril 2015. (Crédit : ADEK BERRY / AFP)

Les Jakartanais aiment de plus en plus leur gouverneur, Basuki Tjahaja Purnama, qu’on appelle familièrement « Ahok ». Ahok, dont le nom de naissance est Tjung Ban Hok (鍾萬學), est un Chinois d’Indonésie. Il a été élu vice-gouverneur de Jakarta en 2012 sur le « ticket » de Joko Widodo. Quand celui-ci a été investi comme président de la République en octobre 2014, Ahok est devenu d’office gouverneur. Au prétexte qu’il est protestant, un groupe islamiste, le Front Pembela Islam (FPI), a organisé des manifestations violentes contre lui. Peine perdue : les Jakartanais ont pu voir Ahok à l’œuvre pendant deux ans, et apprécient son travail.

Ahok ne devra néanmoins pas se reposer sur ses lauriers s’il veut être réélu. Des sondages montrent que d’autres candidats auraient les faveurs des électeurs : Tri Rismaharini, qu’on appelle « Risma », maire de Surabaya, la deuxième ville d’Indonésie, et Ridwan Kamil, familièrement appelé « Emil », maire de Bandung, la troisième ville.

La notion de « nom de famille » est inconnue de la majorité des Indonésiens. Un(e) Indonésien(ne) a un nom de naissance et d’état-civil, qui peut comporter plusieurs noms, et un nom d’usage qui peut n’avoir aucun rapport avec le nom d’état-civil.

Risma et Emil sont populaires parce qu’ils ont mis de l’ordre dans des villes mal gérées par leurs prédécesseurs. Tous deux sont architectes de formation.

La génération du suffrage universel direct

Ahok, Risma, Emil sont ce que le New York Times appelle « une nouvelle espèce de politiciens ». Mais le plus éminent est évidemment l’actuel président. Jokowi, comme on le surnomme, avait été élu maire de Surakarta, une des deux villes royales javanaises, en 2005 avec 37% des voix. Cinq ans plus tard, il était réélu avec 90%. Sa popularité était fondée sur des réalisations concrètes sur le plan social, une méthode de gestion participative incluant le travail de terrain, et un style simple et direct. Ce petit entrepreneur fabricant et exportateur de meubles, fils de charpentier, ingénieur agronome de formation, peut sembler atypique. Mais on trouve d’autres exemples, comme Buchori, un ancien conducteur de cyclopousse qui a été maire de Probolinggo, une ville de 200 000 habitants dans l’est de Java, pendant deux mandats, de 2004 à 2014. Il avait été réélu pour ses réalisations, notamment en matière sociale.

Les gestions de Risma, Emil et Buchori se caractérisent non seulement par leurs réalisations, mais à l’instar de Jokowi, par une méthode participative et de terrain, et un style aux antipodes de la bureaucratie de l’époque de Soeharto, arrogante et paternaliste, corrompue et inefficace.

L’Indonésie est divisée en 34 provinces, à leur tour divisées en départements et grandes villes, celles-ci ayantle même niveau administratif que les départements.

Ces dirigeants politiques d’un type nouveau sont apparus avec une loi votée en 2004 qui instituait l’élection des gouverneurs de province, préfets de département et maires de grande ville au suffrage direct. Auparavant, ces dirigeants étaient élus par les assemblées provinciales, départementales et de grande ville.

L’Indonésie a des assemblées à trois niveaux : national, provincial, départemental et de grande ville.

A l’époque de Soeharto, ils étaient désignés par le président lui-même.

En septembre 2014, l’assemblée nationale indonésienne a voté une loi annulant celle de 2004 et rendant aux assemblées régionales le pouvoir d’élire les dirigeants régionaux. Une semaine plus tard, devant les protestations du public Yudhoyono, encore président dans l’attente de l’investiture de Jokowi, établissait deux règlements qui annulaient cette nouvelle loi. Ces règlements ont été confortés comme loi dans une session plénière du DPR en janvier 2015, réinstaurant l’élection au suffrage direct des dirigeants régionaux. En Indonésie, la pression de l’opinion peut donc amener à changer une loi. Et le pays peut espérer que d’autres dirigeants de la nouvelle espèce seront élus.

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.