Economie
L’Asie du Sud-Est vue par AlterAsia

 

De faux papiers d’identité pour détourner le code du travail au Cambodge

Photo d'ouvrières à la sortie du travail.
Des ouvrières à la sortie d'une usine au Cambdoge. (Crédit : AFP PHOTO/ TANG CHHIN SOTHY)
Au Cambodge, la législation en matière de droit du travail est assez précise. Ainsi, l’âge minimum légal pour travailler en usine est de 15 ans. Et, pour les jeunes adultes âgés de 15 à 17 ans, la loi stipule qu’ils ne peuvent effectuer d’heures supplémentaires, qu’ils ne doivent pas être affectés à des travaux pénibles et que l’entreprise doit leur fournir 13 heures de récupération entre chaque prise de poste. Pour se conformer au droit, les usines de la périphérie de Sihanoukville n’acceptent ainsi d’embaucher que des employés majeurs. Mais ce respect du droit n’est qu’apparence. Ainsi, nombre d’entre elles préfèrent fermer les yeux et engager des travailleurs mineurs sous une fausse identité pour se conformer aux exigences concernant l’âge. Et ce recours à de fausses identités est monnaie courante. Selon Moeun Tola, responsable du programme Travail au Community Legal Education Center (CLEC), « étant donné que les usines ne veulent pas se conformer aux dispositions relatives au travail des jeunes, elles acceptent les faux documents et prétendent ignorer que les travailleurs ont moins de 18 ans ».
Cette pratique est largement utilisée car les compagnies sont gagnantes à tous les niveaux. « Pratiquement aucun n’a plus de 25 ans dans cette usine, déclare Ath Thorn, le responsable du plus important syndicat indépendant du pays ; c’est bon pour la compagnie car les jeunes femmes craignent de créer un syndicat et n’ont pas encore d’enfant ». Cette usine, c’est celle de New Star, une société taïwanaise basée à Sihanoukville, qui fabrique des chaussures pour des marques internationales comme Geox, une société italienne de 1 225 boutiques à travers le monde – au chiffre d’affaires supérieur à 873 millions de dollars l’année dernière – mais aussi pour le géant international de la chaussure de sport Asics.
Le recours aux faux papiers d’identité est un secret de polichinelle au Cambodge, pays où le PIB par habitant est estimé en 2014 à 3 300 dollars par an. Ce qui fait du pays le 183ème dans un classement mondial comptant 230 pays. Ainsi, comme le note une jeune femme interrogée dans le cadre de cette enquête : « Nous n’avons pas le choix, nous sommes obligés d’y aller car nos parents sont pauvres ». Tha, le père d’une jeune fille de 17 ans employée par New Star, nous explique les méandres du système et la facilité avec laquelle sa famille a obtenu de faux papiers afin de correspondre à la limite d’âge : « Ma fille était trop jeune pour travailler à l’usine, nous avons donc emprunté le livret de famille et un certificat de naissance de l’un de l’enfant plus âgé d’une autre famille ». Il conclut en ajoutant que sa fille, avant l’entretien avec le chef du personnel de l’usine, n’a eu qu’à mémoriser les faux documents : ses nouveaux noms, sa date et son lieu de naissance et le nom des autres membres de la famille.

Le chat du Cheshire, du respect du code du travail

Cette pratique ne saurait être possible sans l’aide tacite des entreprises qui ne mettent pas tout en œuvre pour vérifier l’âge des futurs ouvriers. Ainsi, Living Lu, responsable senior de New Star Corporation la maison mère de New Star Shoes, révèle que la procédure habituelle pour vérifier l’âge d’un candidat, se résume en « un simple entretien et une épreuve orale », afin de s’assurer que les informations d’au moins deux documents d’identification sont correctes. Et ce dernier n’hésite pas à blâmer le peu de contrôle qu’effectue le gouvernement cambodgien : « En raison de la faiblesse du contrôle des faux certificats par le gouvernement cambodgien, certains travailleurs peuvent facilement obtenir des documents falsifiés ».
Il est un peu trop simpliste de jeter la pierre au gouvernement, déclare pour sa part Dave Welsh, directeur au Cambodge du Solidarity Center, un groupe de défense des droits des travailleurs basé aux Etats-Unis. Dave Welsh rappelle qu’une main d’œuvre jeune et docile reste une opportunité pour les employeurs. « Toutes les grandes marques qui disent ignorer le rapport entre le problème des fausses cartes d’identité et le travail des ouvriers mineurs, soit ne sont pas fiables, soit reconnaissent qu’elles ne peuvent contrôler une industrie de 20 ou 30 usines ».
En raison de la pauvreté généralisée dans le pays, ajoute M. Tola du CLEC, il est inévitable que certaines familles choisissent d’envoyer leurs filles mineures travailler dans les usines. Mais cela ne doit pas être une justification pour bafouer les lois en ne fournissant pas une protection adéquate à ces jeunes travailleurs. « Nous comprenons que ces familles soient dans le besoin mais les fabricants tirent avantage de cette pauvreté. Les entreprises doivent respecter les exigences liées à l’emploi des adolescents, si elles veulent les employer ».
Source : (Jamie Elliott et Mech Dara / The Cambodia Daily) :
Fake IDs make mockery of factory age rules
Un article traduit par Michelle Boileau

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