The Storm Makers : Cambodgiens brisés
Durant les premières minutes du film The Storm Makers, on voit des voitures de police entourer des bus d’où descendent hagards les passagers. Il fait nuit. Des femmes sortent avec des enfants en bas âge. La voix off, facilement identifiable comme étant celle d’un commentateur d’une radio ou d’une télévision, nous permet de comprendre ce qui se passe. Elle raconte le sort de ces travailleurs migrants qui viennent d’être rapatriés. Ils sont un demi-million de Cambodgiens à partir travailler en Thaïlande, en Malaisie, à Taïwan, nous dit-on. Un tiers de ces migrants sont vendus par des agences et deviennent esclaves, pris au piège, sans passeport.
Salué par plusieurs prix dans des festivals, notamment celui de Pusan en Corée, The Storm Makers ne décortique pas les réseaux mafieux. Guillaume Suon a choisi de nous raconter une histoire. Celle des intermédiaires, « ceux qui amènent la tempête », comme on les désigne couramment dans les villages. Celle de cette femme handicapée qui incite les jeunes à partir, contre rémunération d’une agence. Celle aussi du responsable de l’agence de recrutement, un chrétien fervent, qui explique la stratégie :
« viser ceux qui ne savent pas lire ou pas écrire, les plus pauvres »
Contexte
Guillaume Suon est un réalisateur franco-cambodgien de 32 ans, dont l’oeuvre documentaire porte sur l’histoire et la société contemporaine du Cambodge. Formé par le cinéaste Rithy Panh, Guillaume Suon est lauréat du Berlinale Talent Campus, de l’Institut Sundance et de l’Académie IDFA. Les Noces rouges (2012, 58 min) a reçu le Prix du meilleur moyen-métrage documentaire au Festival international du film documentaire d’Amsterdam. Pour Le dernier refuge (2013, 65 min), il a reçu le Prix du meilleur documentaire d’Asie du Sud-Est au Freedom Film Fest 2014.
Familles cassées
C’est à une immersion dans la réalité des campagnes cambodgiennes, de familles cassées, dépossédées de leur terre, que nous invite le film. « Même la langue ne fait plus sens », constate Guillaume Suon. « La manière de parler dans ces familles s’est appauvrie. Les phrases sont réduites à leur plus simple expression », assure-t-il.
« L’Ecole Rithy Panh »
On sent l’enfermement et l’abandon de ces campagnes où les villages ont été désertés par ceux partis tenter l’aventure ailleurs. Il ne reste rien, les rizières sont sèches, il faut glaner des escargots ou de minuscules poissons dans les trous d’eaux pour survivre. Les maisons tiennent à peine debout. On vit là dans un quotidien plus que précaire.
Guillaume Suon a choisi comme il le dit lui-même « l’école Rithy Panh », celle où chaque plan doit avoir sa raison d’être.
« Un beau plan n’a pas sa place, s’il ne fait pas sens, explique le réalisateur dont The Storm Makers est le quatrième opus. Cette manière de filmer demande une grande implication, du temps, de réfléchir beaucoup au positionnement et aux choix. »
Guillaume Suon opte pour un choix très fort à la fin de son film, laissant les derniers mots à Aya. Terribles, ces mots résonnent longtemps après la fin du générique. Et révèlent les séquelles durables de l’esclavage moderne qui touche, selon l’Organisation mondiale du travail, six millions d’individus.
Par Christine Chaumeau
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