La Chine en quête d'organes
Contexte
Le nombre des condamnations à mort est un secret d’Etat en Chine. Néanmoins, la fondation américaine Duihua a affirmé en octobre 2014 avoir obtenu d’un « responsable judiciaire » une estimation de 2400 exécutions pour l’année précédente — c’est-à-dire une moyenne de plus de six exécutions par jour. Un spécialiste du droit criminel qui requiert l’anonymat affirme toutefois à Asialyst que d’après ses calculs, « plus de 5000 personnes » auraient été exécutées en 2013. Chiffre invérifiable. Un progrès malgré tout puisqu’on est loin des 24.000 condamnations à mort prononcées en 1983.
« La raison principale est culturelle, explique Liu Changqiu, qui travaille depuis 10 ans sur le sujet à l’Académie des Sciences Sociales de Shanghai. Un proverbe chinois affirme que notre corps, nos cheveux et notre peau nous ont été donnés par nos parents. On doit donc maintenir l’intégrité de ce corps pour leur rendre hommage, même après la mort. Cette idée prédomine en Chine. » Ces vieux préceptes confucéens désolent Lu Weimin, qui est aujourd’hui sans travail et a rejoint ses parents dans la campagne proche de Shanghai. « J’ai tenté de convaincre ma propre mère de s’inscrire sur la liste des donneurs d’organes, elle a refusé ! Elle vient d’une famille traditionnelle. J’ai l’impression que les donneurs sont plutôt issus des milieux intellectuels, chez les professeurs notamment. »
« Quelques irrégularités dans les hôpitaux isolés »
En 2005, le gouvernement a fini par reconnaître qu’il compense la pénurie d’organes en allant chercher les greffons dans les couloirs de la mort de ses prisons. Les prélèvements sur les détenus exécutés fournissent « la majorité des transplantations », avoue même le vice-ministre de la santé de l’époque, Huang Jiefu. Le Parti Communiste chinois devient alors le seul régime au monde à assumer une telle pratique, quasi industrielle. « Avec le consentement des condamnés ou de leurs familles », se défend Pékin. Les autorités restent pourtant incapables de prouver que cette soudaine générosité n’a pas été forcée.
Il aurait existé de véritables « fermes d’organes », selon un rapport
Les hôpitaux doivent convaincre les malades en fin de vie

Toujours est-il que ces nouvelles procédures semblent porter leurs premiers fruits. En 2014, environ 1700 personnes ont donné un ou plusieurs organes en Chine. Ce chiffre est supérieur à l’ensemble de la période 2010-2013. Les deux premiers mois de l’année 2015 sont également encourageants avec 380 donneurs (50 % de plus qu’en janvier-février 2014) et 1000 organes prélevés, selon les chiffres donnés par Huang Jiefu, devenu Président de la Commission du don d’organes. Mais cette prise de conscience reste très insuffisante. Pour Liu Changqiu de l’Académie des Sciences Sociales, il faut aller plus loin : « Dans un premier temps, on pourrait rendre le don d’organes obligatoire chez les millions de membres du Parti Communiste, afin qu’ils donnent l’exemple », propose le chercheur.
Les autorités assurent faire en sorte d’obtenir le consentement des suppliciés
L’opacité qui règne autour du système répressif chinois, force encore à la méfiance. La plupart des militants des droits de l’homme restent prudents : comment prendre pour argent comptant des informations données par un régime, qui refuse toujours de publier le nombre de personnes exécutées chaque année ?
Baptiste Fallevoz à Shanghai
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