Culture
Entretien

Liao Yiwu : “Berlin a organisé mon opération de sauvetage”

Photo de LIAO YIWU avec le PRESIDENT ALLEMAND
L’écrivain et dissident chinois Liao Yiwu, aux côtés du président allemand Joachim Gauck, à l’Eglise Saint-Paul de Francfort le 14 Octobre 2012. Ce jour-là, il reçoit le Prix de la Paix des mains décerné par la Fédération allemande du Commerce du Livre. (Crédit : AFP PHOTO / DANIEL ROLAND)
Pour la première fois, l’écrivain dissident raconte son départ clandestin de Chine en 2011. Un récit digne d’un thriller, où se croisent la mafia du Sichuan, un éditeur berlinois, des policiers complices et des diplomates missionnés par Angela Merkel.

Entretien

Liao Yiwu, 56 ans, vit à Berlin depuis qu’il s’est échappé clandestinement de Chine en 2011. Heureux de pouvoir enfin parler à ses lecteurs, joueur de flûte, il a refait sa vie et poursuit son oeuvre entamée dans les geôles chinoises dans les années 1990. Après son témoignage glaçant, L’Empire des Ténèbres, paru en 2013 en France aux Editions François Bourin, il publie chez le même éditeur Dieu est Rouge. Une plongée hallucinante dans l’univers des irréductibles chrétiens chinois, martyrisés par le régime de Pékin.

Pour Asialyst, l’écrivain souvent comparé à Alexandre Soljénitsyne raconte son exfiltration rocambolesque facilitée par la chancelière allemande Angela Merkel, et sa vie à 7500 kilomètres de sa ville natale de Chengdu.

Vous étiez déjà sorti de Chine avant 2011 ?
La première fois, c’était en 2010, grâce à la chancelière allemande Angela Merkel qui avait demandé personnellement au président Hu Jintao de me laisser sortir. J’en étais à ma dix-huitième tentative officielle, c’est la seule qui a marché. Je suis donc allé en Allemagne, où j’étais déjà connu pour mon livre l’Empire des Bas-fonds (Bleu de Chine, 2003).

Pour ma plus grande joie, j’ai été accueilli en héros là-bas. J’ai découvert que ma meilleure admiratrice était la prix Nobel de littérature Herta Müller, qui m’a dit en pleurant :
« Tu dois rester, fais une demande d’asile politique. C’est trop dangereux pour toi là-bas. »

Mais j’étais optimiste. Liu Xiaobo, condamné à 11 ans de prison en Chine en 2010, venait de recevoir le prix Nobel de la Paix. Sa femme Liu Xia, venait d’être autorisée à lui rendre visite…

J’étais persuadé qu’on allait vivre une nouvelle époque, que les choses allaient s’arranger. Quand je suis rentré à Pékin, j’ai été accueilli par la police et j’ai été coffré pendant trois heures. J’ai commencé à regretter de n’avoir pas suivi les conseils de Herta Müller… Un an après, j’étais décidé à m’exiler.

Qu’est-ce qui vous a convaincu ?

Début 2011, la révolution de Jasmin en Tunisie a eu pas mal d’écho en Chine, et la situation s’est tendue. Plein de gens se sont mis à disparaître du jour au lendemain, comme l’avocat des droits de l’Homme Teng Biao, arrêté brutalement en même temps que deux confrères, ou l’artiste Ai Wei Wei, qui est resté 83 jours dans les geôles. Moi j’avais prévu de repartir, cette fois aux Etats-Unis, où devait sortir mon nouveau livre, L’Empire des Ténébres.

En avril, j’ai reçu la visite du policier qui me suivait depuis 10 ans, dans ma ville de Chengdu, presqu’un copain depuis le temps. Il m’ a dit : « Cette fois ça va te coûter cher, il ne vont pas te laisser sortir, et tu seras « disparu » à ton tour. » J’ai été couvert de sueur froide. Les autorités ne voulaient absolument pas que l’Empire des Ténébres, récit de mes années dans les geôles chinoise après 1989, paraisse à l’étranger. Ils avaient tout fait pour m’empêcher de l’écrire, j’ai même été obligé de faire trois versions. Les deux premières ont été détruites par la police, et la troisième a pu sortir de Chine clandestinement sur une clé USB.

En avril, mon livre était sur le point de paraître à l’étranger, quand des policiers sont venus fouiller ma maison à la recherche de mes contrats d’édition. C’est alors que je me suis décidé à partir. Je leur ai demandé la permission d’aller dans la province voisine du Yunnan, pour continuer mes recherches sur mon nouveau livre en cours sur les Chrétiens (Dieu est Rouge, NDLR). Ils ont été d’accord, à condition que je leur passe un coup de fil tous les 3 jours. Mon idée était de me retirer du monde et de vivre avec les Chrétiens, là où personne ne pourrait jamais me retrouver. Mais mon éditeur allemand m’ a dit : « Tu es fou, on n’est plus au Moyen-Age ! ».

J’ai embarqué quatre téléphones, un pour les flics, un pour mon agent littéraire en Allemagne, un pour la mafia locale et un autre pour être appelé. Je me suis ensuite planqué pendant deux mois du coté de Dali (Province du Yunnan, Sud), hésitant à franchir le pas, puis je me suis décidé d’un coup. Mon éditeur Fischer a organisé l’opération de sauvetage, avec le ministère allemand des Affaires étrangères. Le consul d’Allemagne à Chengdu était dans la confidence, et m’avait dit :

« On ne peut rien pour toi, mais on te récupère sans problème à l’étranger ».

J’ai passé un dernier coup de téléphone aux flics de Chengdu, ce qui me laissait trois jours de répit. Après cela, je n’avais plus qu’à faire affaire avec la mafia du Yunnan, qui réclamait 40 000 yuans (6000 euros) pour m’exfiltrer. Mon choix, c’était de voir mon livre publié et de continuer à vivre, ou de retourner en prison. Je n’avais pas beaucoup de marge de manœuvre.

Vous n’avez averti personne ?
Non, ni ma copine, ni mes parents, ni mes amis. J’ai tout laissé, n’emportant que mon ordinateur, ma flûte, de l’argent liquide… Et aussi les poèmes de Confucius et la bible taoiste, les deux monuments littéraires de la Chine. Si j’avais pris autre chose qu’un petit sac, cela aurait été compromettant. Ensuite, j’ai passé la frontière entre la Chine et le Vietnam dans des conditions que je raconterai dans un prochain livre, et je suis arrivé à l’ambassade d’Allemagne à Hanoï. Au petit matin, le 6 juillet 2011, j’étais à Berlin.

Comment vivez-vous l’exil depuis bientôt quatre ans?
Le pire pour moi a été l’arrestation de mon ami Li Bifeng, deux mois après mon évasion. Il a été accusé à tort de m’avoir aidé dans ma fuite et a été condamné à 10 ans de prison. C’est pour moi une torture morale. Je fais tout ce que je peux pour l’aider depuis l’Allemagne, je diffuse ses poèmes dans le monde entier et je ne cesse d’alerter l’opinion à son sujet. Angela Merkel a signalé son cas aux dirigeants chinois, et a personnellement demandé d’aller le voir en prison à Chengdu, mais cela n’a servi à rien.

Pour ce qui est de moi, je vis très bien, libre d’écrire sans les flics sur le dos. Pour la première fois de ma vie d’auteur, j’échange avec mes lecteurs, ce qui n’a jamais été possible en Chine, car aucun de mes livres n’y a jamais été publié. Je ne parle ni anglais ni allemand, je vis à Berlin dans un bel appartement, j’ai de l’argent, et je donne beaucoup de concerts de flûte, qui ont un certain succès. J’ai aussi épousé une jeune Chinoise qui m’a donné une petite fille, il y a deux mois. Avant de la rencontrer, j’allais souvent me promener dans les cimetières, parler aux morts qui me manifestaient leur approbation. Je me sentais très seul.

Aujourd’hui, je ne regrette que mon mode de vie à Chengdu, avec mes amis. On s’écrit par mail, ceux qui le peuvent viennent me voir à Berlin. Je travaille beaucoup, car je suis dans l’urgence de laisser un témoignage qui me survive. Mes deux héros littéraires sont Orwell pour son livre 1984, et Soljénitsyne, qui a créé le mot « goulag ». Je voudrais que l’Empire des ténèbres laisse une trâce, car l’humanité doit retenir ce qui s’est passé dans les prisons chinoises et ce qu’il s’y passe toujours. Les choses ont peu changé sur le fond. Je suis fier déjà que ce livre ait été traduit en 17 langues, à la grande colère du gouvernement chinois !

Comment parvenez-vous à écrire, coupé de vos sources d’inspiration?
Avec ce que j’ai vécu pendant cinquante ans en Chine, cela me prendra le reste de ma vie pour vider ma mémoire ! J’ai toujours tout noté, et en 2010, lors de ma première sortie de Chine, je me suis débrouillé pour enregistrer toute ma documentation sur des clés USB que j’ai confiées à un journaliste allemand. Il y avait aussi quelques photos de famille, et 300 reportages jamais publiés. Il a passé la douane sans problème, emportant ma mémoire.

Reviendrez-vous en Chine un jour ?
Quand le Sichuan sera indépendant, quand le Parti Communiste Chinois s’écroulera, quand il n’y aura plus d’alcool ni de lait frelatés, quand il n’y aura plus de pollution… D’ici là, je ne vais pas me jeter dans la gueule du loup !

Propos recueillis par Pascale Nivelle

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